L’ivraie

Vous connaissez tous la parabole du bon grain et de l’ivraie, qui, sur le plan de la science agricole, doit faire doucement rigoler tous ceux qui ont quelques notions, même très élémentaires sur l’attitude qu’il convient d’adopter quand on veut faire pousser quelque chose. Plantez des carottes ou des tomates ou n’importe quoi, et laissez pousser en même temps les bonnes graines et les mauvaises herbes et ça m’étonnerait que vous arriviez à récolter quelque chose de convenable. Même attitude si vous vous occupez d’un groupe de garçons ou de filles ; si l’un ou l’une d’entre eux sème la perturbation dans le groupe d’une façon continue et grave, il n’y a pas d’autre solution, bien souvent, qu’en éliminant l’élément perturbateur, au moins pendant un certain temps ; tous les éducateurs savent ça. Même solution pour la maîtresse de maison qui voit dans sa corbeille de fruits une pomme ou un grain de raisin pourri. Il faut le jeter au plus vite, sinon toute la corbeille subira le même sort...

Et bien dans la parabole du bon grain et de l’ivraie tes recommandations, Seigneur, sont radicalement différentes : « Laissez pousser les deux, vous ferez le tri au moment de la récolte. »

Dans ma paroisse, lors de l’échange qui s’instaure après la lecture du jour, nous avons naturellement admiré ta patience, Seigneur, qui te fait espérer dans l’homme, jusqu’au bout, jusqu’à la dernière heure, et admiré aussi ta puissance, qui est une puissance d’amour. « Qui sait », a dit l’un d’entre nous "si le Seigneur ne transformera pas cette ivraie en bon grain"...

Laissons de côté l’aspect agricole, qui n’a rien à faire là-dedans ; ce n’est qu’une image. Et prenons conscience de l’espérance inconditionnelle qui t’habite, Seigneur. Jamais, Tu ne désespères de nous. Jamais, Tu ne nous condamnes quoi que ce soit que nous fassions, que ce soit des crimes carabinés ou des suffisances, des lâchetés, des paresses, des mesquineries journellement accumulées.

Tu espères toujours.

Mais comment fais-tu, Seigneur ?

Puis-je te faire remarquer que Ton Fils n’a pas toujours appliqué ce principe. Il y a des tas de passage dans les évangiles où Jésus n’y va pas de main morte. Par exemple le fameux épisode des marchands du temple ou même, tout simplement ces conseils donnés aux disciples envoyés en mission, dans les villages : « Si on ne veut pas de vous, partez et secouez la poussière de vos sandales. » C’est à dire n’emportez rien, ne recevez rien de chez eux, pas même un petit grain de poussière. Laissez-les tomber, puisqu’ils vous refusent. Mais c’est vrai, Il a gardé Judas et l’a traité en ami jusqu’au bout, quand celui-ci l’a trahi, en lui donnant (comble de la duplicité) un baiser.

Mon Dieu, que c’est compliqué, quand on veut essayer de Te comprendre !

Mais peut-être, veux-tu tout simplement me donner un conseil de bon sens. Pourquoi vouloir passer tout mon temps ou presque tout mon temps, à me lamenter sur mes ivraies dont je n’arrive pas à me débarrasser rapidement même en Te demandant Ton aide. Pourquoi aussi, ne pas essayer de faire fructifier mes bonnes graines, mes talents. Peut être qu’au contraire des tomates, mes bonnes graines vont étouffer l’ivraie. C’est ça qui simplifierait drôlement les cultures potagères !

Décidément, Seigneur, Tu ne fais rien comme tout le monde, mais finalement, ce n’est pas plus mal. Au contraire, en tout cas, ça ne coûte rien d’essayer. Et puis on sait que s’il en reste des mauvaises herbes à la dernière heure, Tu as prévu un bon feu nommé Purgatoire (le mot n’est pas joli, j’aurais préféré quelque chose dans le genre blanchisserie) qui nous débarrassera de toutes ces saletés. Comme ça, ton espérance ne sera pas déçue. On sera tout blanc, parfait pour Te voir face à face.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/06/2008