La belle-mère de Pierre

Ah non, je n’avais pas été contente quand Simon, après André, était venu me dire qu’il abandonnait son métier, sa maison, et qu’il partait pour suivre le prophète Jésus de Nazareth, dont certains disaient qu’il était le Messie.

Le Messie, le Messie, c’est bien beau, c’est surtout vite dit. J’en ai déjà connu un qui se disait le Messie... Il a disparu comme il était venu, et personne n’en a plus entendu parler. Alors, je ne voyais pas pourquoi Simon s’était entiché de celui-là. Un simple charpentier, pourquoi pas un berger, un ouvrier agricole, que sais-je ?

Non, le Messie, quand il viendrait, tout le monde le reconnaîtrait pour être le Saint de Dieu. Nos chefs religieux de Jérusalem nous le présenteraient ; il n’y aurait aucune hésitation. Il serait descendant de David, il serait puissant, écouté, on éprouverait sûrement un peu de crainte. Mais Jésus de Nazareth, je vous demande un peu, et de Nazareth encore.

Simon était fou, fou à lier ; sûr, si son père était encore vivant, ça ne se serait pas passé comme ça. Encore que Zébédée, le pauvre, il a beau être vivant, chef de famille, il a quand même perdu ses deux fils, Jacques et Jean, qui ont fait comme Simon. Je vous dis pas, mais les jeunes d’aujourd’hui sont incompréhensibles !

Hier soir, Simon m’a dit qu’il avait invité ce Jésus à venir chez nous pour dîner ; je n’ai rien dit, mais j’ai fait comprendre à Simon qu’il aurait à s’occuper du dîner lui-même, parce que moi, je n’allais pas me mettre en quatre pour le servir, ce Jésus. Faut pas exagérer ! Trop c’est trop. Qu’est-ce que je vais devenir, moi, si Simon ne subvient plus à mes besoins ? Je vendrai ou je louerai la barque, les filets, mais ça n’ira pas bien loin...

Pauvre de moi, je suis dans de beaux draps.

Et ce matin, je me suis réveillée avec un fort mal de tête. Je n’aurais pas dû manger de ce brochet ; mais vous savez ce que c’est : ce sont les pêcheurs qui mangent le plus mauvais poisson, parce que les bons, on les vend, pardi. Alors, hier au soir, j’ai voulu profiter d’un brochet, qui, question fraîcheur, laissait un peu à désirer. Ça me faisait peine de le jeter, surtout qu’il va falloir que je fasse des économies draconiennes pour vivre maintenant. Donc, je l’ai mangé, et résultat, ce matin je crois que ma tête va éclater.

Mauvaise humeur ou pas mauvaise humeur, je suis absolument incapable de mettre un pied devant l’autre, et rien qu’à l’idée de faire de la cuisine, je vois les murs de la salle qui se mettent à tourner... Faut que je me couche ; je le sens, j’ai une forte fièvre. Je pense que j’en ai pour un ou deux jours à être alitée.

Pauvre Simon, il va vraiment falloir qu’il se débrouille pour la faire sa carpe à la juive ! Vous savez, avec du pain rassis, des œufs, des oignons, des épinards.. Parce que je lui avait dit que je ne préparerais rien, mais je me connais, je lui aurais fait son dîner à ce garçon. En règle générale, il est un peu soupe au lait, fort en gueule mais bon fond et je l’aime bien car il a un cœur d’or. On se dispute souvent parce qu’on se ressemble dit-on, et c’est vrai. Mais, là, il ne faut pas y penser. Je suis KO et je m’assoupis. C’est ce qui peut m’arriver de mieux.

Quand j’ouvre les yeux, le soir, je souffre toujours atrocement, mais Simon est là avec son prophète qui me regarde avec un bon sourire. Il me prend par la main, et, immédiatement, je me sens bien : ma tête est claire, fraîche, à croire que je n’ai jamais été malade. Qui aurait cru ça ?

Naturellement, je me suis précipitée à la cuisine, et j’ai fait tout ce qu’il fallait faire, et sans fatigue encore. Après le dîner, la maison a été envahie par une foule énorme dont je ne connaissais pas la moitié, et qui tous avaient un malade à présenter. Jésus les touchait, les regardait, leur disait un mot et tous étaient guéris. Incroyable ! Je commence à penser que Simon n’est pas si fou que ça de vouloir suivre ce prophète. Je ne le dirai pas à Zébédée parce que j’ai pas envie de me fâcher avec lui, d’autant qu’il me donne des poissons quand il en a beaucoup.

Mais après tout si, je vais en parler à Zébédée, parce qu’il vaut mieux qu’il ne s’entête pas dans sa colère contre ses fils. Comme Simon, ils ont sans doute fait un bon choix en acceptant de suivre Rabbi Jésus, et je crois que j’ai bien envie d’en faire autant. Je pourrais toujours leur faire la cuisine, s’ils veulent bien de moi. Comme quoi, quand on fait fausse route, mieux vaut ne pas persister dans sa colère ; je vais vous dire : je suis drôlement contente d’avoir servi Rabbi Jésus.

Et pourtant, si on me l’avait dit hier, j’étais prête à parier une jolie somme qu’il n’en serait jamais question.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 30/11/2002