Inutile ! Avec les années qui passent, vient le temps de l’inutilité

Sur le plan de la rentabilité économique, je deviens de plus en plus inutile, Seigneur. Professionnellement, il y a prés de vingt que je suis à la retraite, que je suis à ne rien faire. Au début de cette retraite, sans me stresser ‑ c’était la grande différence avec le temps du travail ‑ je me suis lancée dans de multiples activités à caractère caritatif le plus souvent, mais pas seulement. En plus, mon jardin a été entretenu pour ma plus grande satisfaction, et j’ai eu aussi le plaisir d’inviter assez souvent des amis à ma table, où les bonnes recettes léguées par ma mère, ont eu beaucoup de succès.

Mais faute de pouvoir assumer, j’ai réduit de plus en plus ces agréables occupations, et je prévois le temps où ne pouvant plus conduire, non seulement je ne pourrai plus rendre service aux autres, mais je serai obligée de demander de l’aide.

Dure perspective ; surtout que dans la majorité de mon temps de vie, je comptais plus sur mes activités que sur mon temps de prière pour m’approcher de toi, Seigneur.
J’avais tendance à te retourner le compliment que tu adressais aux Juifs qui demeuraient sceptiques devant tes allégations de filiation divine : « Si vous ne croyez pas en moi, croyez au moins dans mes œuvres », et, question guérisons, si on en croit tes évangélistes, tu ne lésinais pas. En veux-tu, en voilà !

Je savais que dans mes actes altruistes, il y avait beaucoup de tendances déplaisantes, mais je te disais : « Vois mes œuvres, Seigneur ; elles ne sont pas parfaitement pures, c’est vrai, mais je m’y suis engagée pour te faire plaisir - quand même - et pour qu’il y ait moins d’injustice sur terre. Tu dois en tenir compte, non ?

Alors, quand j’en serai réduite à activité zéro... Je me fais du souci. Mais, dois-je me faire du souci ?

J’aurai du temps pour la méditation, la lecture et la prière. C’est évident. Mais ces activités - si on peut employer ce terme - ne m’attirent pas spécialement, pas pendant toute une journée, tu le sais. Je me lasse vite. Alors comment vivre ce temps de l’inutilité ?

Et inopinément, peut-être faut-il dire providentiellement, je viens de tomber sur une affiche où il est question d’une conférence sur le thème : « Vivre le temps présent ». Vivre aujourd’hui, comme dit souvent un de tes évangélistes.

Au fond, pourquoi m’en faire ? Jusqu’à aujourd’hui, ma vie s’est déroulée paisiblement sur le plan spirituel. Une jeunesse heureuse dans une famille aimante qui a eu à cœur de me transmettre la foi qu’ils avaient eux-mêmes reçue, une crise d’adolescence assez tardive où, question religion, j’ai tout envoyé promener, un retour aux sources avec le scoutisme, une déprime surmontée en suite d’un célibat non choisi, un métier exaltant où il s’agissait d’aider des jeunes et leurs parents à dépasser leurs difficultés, l’arrivée de Vatican Il qui m’a redonné espoir, la rencontre, ô combien bénéfique, avec la Société de Marie qui m’a rabibochée avec ton Eglise, et ensuite ce cadeau royal où tu m’as poussée à me rendre compte que, grâce à mon imagination et un style assez vivant, je pouvais écrire des petits textes pour la radio diocésaine, textes qui m’ont aidée à me mettre petit à petit en meilleure relation avec toi.

Alors, Seigneur, pourquoi me ferai-je du souci ? En relisant le passé, je vois que tu as pris soin de moi, à un rythme assez lent, c’est vrai, mais j’ai toujours détesté la vitesse. Ce serait bien idiot de ma part de ne pas continuer à te faire confiance.

La perspective d’une vieillesse longuette (prévisible, compte tenu de ma bonne santé) n’a rien d’attirant : les petits ennuis de l’âge vont se multiplier, mon autonomie va aller en se rétrécissant, les deuils autour de moi vont devenir de plus en plus nombreux... Autant d’occasions pour essayer d’apprendre à me détacher, à me désencombrer ? Je viens de te le dire, je ne suis pas une rapide et j’ai sans doute besoin de tout ce temps pour me préparer à passer sur le versant le plus somptueux de la vie, comme a dit un de mes amis, père mariste.

N’empêche, Seigneur. Si pour une fois tu étais rapide et si, brutalement d’un coup, je passais de vie à trépas, je t’assure que je ne t’en voudrais pas pour cet excès de vitesse. Il m’arrive même d’en rêver. Humainement, c’est ça qui serait bien. S’il te plaît, penses-y !
Mais en attendant, aide-moi à bien profiter de Toi Seigneur, aujourd’hui.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/04/2010