La prière de demande.

Seigneur, une fois de plus, me voilà en pétard, mais pour une fois, pas contre ce que Tu as dit et que j’ai du mal à comprendre, mais contre des "bien-pensants" entre guillemets qui auraient osé dire à des parents écrasés de douleur après la mort d’un de leurs enfants : "Si le petit est mort, c’est parce que vous n’avez pas assez prié, ou pas assez bien prié " Pour tenter de justifier leurs dires, ils s’appuieraient sur une phrase qu’on trouve effectivement dans St. Jean ch. 14, verset 13, phrase qu’ils interprètent de manière fondamentaliste : "Tout ce que vous demanderez en mon nom, Je le ferai."
A mon avis, ils sont à gifler, et je pèse mes mots. Faut-il leur souhaiter de subir ce genre de deuil pour qu’ils se rendent compte de l’inanité et de la cruauté de leur position ? Pourquoi culpabiliser ces pauvres parents accablés de chagrin ? Ils m’écœurent !
Ils Te font passer pour qui ? Est-ce que vraiment, ils Te voient avec une balance dans une main et un chronomètre dans l’autre en train de dire : "Les Untel me demandent la guérison de leur fils, mais leur supplication est insuffisante en poids et en durée, il s’en faut de dix minutes au moins, tant pis pour eux !" Je caricature d’accord, mais eux aussi Te caricaturent ! C’est ce qui me met en colère.
Si on suivait leur raisonnement, on pourrait dire que Toi, Seigneur, Tu as fort mal prié, parce que les coups durs, Tu en as connu : pas de place pour Toi dans un abri à ta naissance : accouchement dans la nature ! Massacre des Saints innocents. Fuite en Egypte avec le statut non enviable d’émigré. Décapitation de ton cousin Jean Baptiste. Décès de ton père légal. Lourdeur et incompréhension de tes Apôtres. Résistance, puis franche hostilité des autorités religieuses de ton pays. Trahison d’un de tes Apôtres et pour couronner le tout, Passion et Crucifixion. On peut difficilement faire mieux.
Alors Tu n’aurais pas bien prié ? C’est tellement absurde qu’il est inutile de s’y attarder. Mais on peut quand même se poser la question : Y a t-il une façon de demander qui rende la demande recevable, pour Toi Seigneur ?
Avec simplement un peu de bon sens on peut dire que la prière de demande n’est pas une formule magique qui permettrait d’obtenir à coup sûr ce que l’on désire, genre : "Seigneur, je récite 5 Pater et 3 Ave, je n’ai rien foutu en classe cette année, mais je Te demande de réussir le bac !" Lors de la tentation au desert, Tu as joliment envoyé promener le Mauvais qui T’incitait à user de sensationnel pour assurer ta mission : "Jette Toi du haut de ce temple, les anges te porteront." Ce n’est pas pour nous pousser à en user de même !
Il faut reconnaître aussi, que bien souvent, mes demandes sont entachées d’une bonne dose de scepticisme intérieur, dans ce cas je reprends la réplique du père du petit épileptique "je crois Seigneur, mais augmente en moi la Foi."
De plus, si nos suppliques sont très nombreuses très matérielles, elles ne peuvent pas toutes être agrées : "Seigneur, j’aimerais que dimanche il y ait du soleil car j’ai organisé un pique-nique" mais mon voisin, qui a planté des salades, a demandé la pluie, et mon frère souhaite un grand vent car il a une compétition de planche à voile. Dans ces trois cas, ce n’est pas bien grave, mais on peut penser qu’en 1914-1918 les prières dans les tranchées françaises et allemandes n’allaient pas toutes dans le même sens.
Alors, pour éviter d’être déçu, parce que Tu as dit que notre Père du ciel savait ce dont on avait besoin avant même que nous l’ayons exprimé, faut-il supprimer ces prières de demande ?
Sûrement pas ! Tu les as inscrites dans le « Notre Père », elles sont donc licites, normales. Et en plus elles nous viennent facilement à l’esprit, beaucoup plus facilement que les prières pour rendre grâce. Faut pas se leurrer ! Car on a toujours quelque chose à demander ou pour soi-même ou pour les autres. Elles font même partie des prières de la célébration eucharistique avec la prière universelle où on est invité chaque dimanche à exprimer les préoccupations essentielles de la communauté paroissiale.
Alors que faut-il attendre de ces prières de demande ? Dans Mathieu au ch.7 versets 7 à 12, je lis une phrase qui ressemble à celle de St. Jean mais qui est beaucoup plus longue et détaillée, il est dit : "Demandez et vous obtiendrez, cherchez vous trouverez, frappez on vous ouvrira... Si vous qui êtes mauvais vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est au ciel, donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent."
Donc, il est bon d’avoir l’habitude de me tourner vers Toi, Seigneur, pour T’associer à ma vie quotidienne, même si elle est très ordinaire. Tu répondras Seigneur, c’est certain, en me donnant ce qui sera le meilleur pour moi (qui ne sera pas forcément ce que j’ai demandé). En me tournant fréquemment vers Toi, je permettrai à ton Esprit de venir un peu plus en moi, et c’est sûr, c’est ce qu’il y a de meilleur pour moi. Et on peut espérer que je finirai par penser de plus en plus comme Toi, à agir comme Tu le souhaites, à prier en m’abandonnant à Toi. Le hic, c’est que ce n’est pas rapide, rapide !
Mais pour en revenir à la situation évoquée plus haut auprès de ces parents inconsolables, il faut certes les entourer, leur dire notre affection ou rester en silence auprès d’eux, mais il ne faut surtout pas chercher à répondre à leur question : « Pourquoi ce deuil ? ». C’est une voie sans issue.
Seulement Seigneur, permets-moi de Te dire que Tu as une bonne part de responsabilité dans la déviance des bien pensants qui m’ont si fort mise en colère. Il est certain que Tu as été déçu, quelque fois irrité, par ces demandes incessantes de guérison et Tu l’as même exprimé : "Vous ne pouvez donc pas croire à moins d’avoir vu des signes et des prodiges" Ce n’était pas Ta mission. D’accord, mais cite-moi une fois, une seule fois où Tu as refusé de guérir quelqu’un qui venait Te le demander. Tu as essayé avec la Syro-Phénicienne, celle que j’ai appelé Myriam, mais Tu as été confondu par son humilité et Tu as exaucé sa prière. Alors ne T’étonnes pas Seigneur, qu’on ait du mal à accepter que Tu n’interviennes pas quand on te le demande avec ferveur pour des causes qui nous paraissent justes et souhaitables. On a des excuses. A la réflexion, mes bien-pensants ne sont pas à gifler. Ils sont à éclairer.
Eclaire les Seigneur, je T’en prie. Et cette fois, j’espère que ma demande sera exaucée car elle doit correspondre à Tes vues, n’est-ce pas Seigneur ?

Une faute d'orthographe, une erreur, un problème ?   
 
Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/03/2006