Ainsi naquit le Credo

Le Christ était-il vraiment Dieu ? Vraiment homme ? Et comment faut-il entendre ces expressions de la foi ? Suscités par l’empereur, des conciles s’y emploient.

La nécessité de rassembler les fondements de la foi dans une formule commune à l’ensemble des chrétiens n’est apparue qu’assez tard, près de trois cent ans après la mort de Jésus. Il a fallu à cela un motif grave : une divergence sur la nature du Christ qui mettait en péril l’unité de la chrétienté. "Engendré, non pas créé, de même nature que le Père..." Quel chrétien songe aujourd’hui, en récitant le Credo lors de la messe dominicale, aux innombrables débats, affrontements et anathèmes auxquels la rédaction de ce seul membre de phrase a donné lieu, entre évêques, aux IVe et Ve siècles de notre ère ?

Arius : le Fils est dans une position secondaire par rapport au Père

C’est, aux environs de l’an 320, l’enseignement d’Arius sur les rapports du Père et du Fils qui crée la contestation. Ce prêtre d’Alexandrie professe un monothéisme strict et ne reconnaît qu’"un seul Dieu, seul inengendré, seul éternel, seul sans commencement, seul véritable, seul possédant l’immortatilité". La conséquence de cette affirmation est que le Fils, créé, n’est pas éternel, mais immortel, et se trouve dans une position secondaire par rapport au Père. Ce qui radicalise une suggestion de la théologie d’Origène qui, cent ans plus tôt, déjà à Alexandrie, évoquait la subordination du Fils à l’égard du Père.

Arius est condamné par son évêque, mais trouve de nombreux soutiens parmi les fidèles de la ville et auprès d’autres évêques des Eglises d’Orient. La querelle sur la divinité du Christ est lancée, et l’arianisme s’apprête à déstabiliser pour longtemps la chrétienté.

Nicée : un Credo proclame l’égalité des trois personnes de la Trinité

Au même moment, Constantin, qui a entamé la christianisation de l’Empire par l’édit de Milan (313), achève d’étendre son pouvoir sur l’Orient romain. Soucieux de maîtriser les querelles doctrinales, il convoque un concile à Nicée en 325, pour traiter de cette question et de quelques autres, comme la fixation de la date de Pâques. Ce sera le premier concile dit œcuménique, tous les évêques y étant invités. En réalité, peu d’Occidentaux y participent : soit ils ignorent encore la controverse, soit ils n’en voient pas l’intérêt..

Reprenant la doctrine des premiers Pères de l’Eglise, les évêques présents à Nicée adoptent un symbole de foi (un Credo) qui proclame l’égalité des trois personnes de la Trinité. Ils affirment aussi l’incarnation du Christ, et donc la double nature - divine et humaine - de sa personne, soulignant l’originalité fondamentale du christianisme : la foi au Fils de Dieu fait homme. D’autres articles concernent la résurrection, le jugement dernier et l’Eglise "catholique et apostolique".

Jésus, homme ou Dieu ? La controverse traverse les siècles

Constantin prend d’abord parti contre Arius, et plusieurs évêques ariens sont déposés. La querelle ne s’interrompt par pour autant et, de réhabilitations en condamnations nouvelles, elle occupe tout le IVe siècle. Mais, souligne Pierre Maraval [1], il convient de ne pas se méprendre sur les dimensions de la controverse : c’est un débat de théologiens, donc essentiellement de clercs. En même temps, la question reste assez douloureuse - Jésus, homme ou Dieu ? - pour que ses rebondissements aboutissent à la convocation de deux nouveaux conciles œcuméniques à Ephèse (431) en Asie Mineure et à Chalcédoine (451), une ville située sur le Bosphore, face à Constantinople.

Chalcédoine : Jésus-Christ est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu

Le concile de Chalcédoine réfute la doctrine d’Eutychès, un moine pieux et âgé de Constantinople, pour qui l’humanité de Jésus se perd dans sa divinité comme une goutte d’eau dans la mer. Contre les partisans d’Eutychès, le concile adopte le point de vue de l’évêque de Rome, le pape Léon le Grand, et déclare que Jésus-Christ a deux natures "qui demeurent sans confusion, sans changement, sans division ni séparation " : Jésus-Christ est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu. Certaines Eglises locales d’Orient profitent de ces polémiques christologiques pour rompre avec la sphère politico-religieuse de Byzance : désormais réputées "monophysites" (tenants d’"une seule nature" du Christ), elles constituent dès lors des communautés indépendantes coptes, syriennes et arméniennes, avec leurs traditions et leurs rites propres.

Le passage des peuples barbares à l’arianisme renforce le rejet de l’hérésie

Non sans mal, le Credo de Chalcédoine devient aux Ve et VIe siècles la doctrine officielle de l’Eglise. L’Orient n’en restera pas moins troublé par d’âpres querelles. En revanche, l’Eglise d’Occident affichera une profonde orthodoxie vis-à-vis de Nicée et de Chalcédoine. Le passage de plusieurs peuples barbares à l’arianisme y renforcera le rejet de l’hérésie, et la conversion de Clovis favorisera le succès de l’Eglise romaine. En fait, ce ne sont pas tant les problèmes christologiques qui agitent l’Eglise latine que le débat sur le libre arbitre et la grâce, à partir de la pensée de saint Augustin [2]. Un débat qui, en ce Ve siècle, ne fait que commencer...

[1Lire Christianisme de Constantin à la conquête arabe, de Pierre Maraval (PUF, 1997).

[2Lire Etre chrétien en France au Moyen-Age, de Noël-Yves Tonnerre (Seul, 1996).

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Jean-Luc POUTHIER

Directeur du Monde de la Bible.

Publié: 01/01/2022