Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : Ce que l’on oublie souvent de dire
Introduction
Un grand nombre de nos concitoyens ne perçoit dans la revendication du mariage homosexuel qu’une étape supplémentaire de la lutte démocratique contre l’injustice et les discriminations, dans la continuité de celle engagée contre le racisme.
C’est finalement au nom de l’égalité, de l’ouverture d’esprit, de la modernité et de la bien-pensance dominante qu’il nous est demandé d’accepter la mise en cause de l’un des fondements de notre société. Et d’ailleurs, sondages à l’appui, cette mise en cause serait déjà acceptable par une majorité de nos concitoyens et son inscription dans la Loi n’appellerait, de ce fait, aucun débat à la mesure des enjeux.
Je pense, au contraire, qu’il est de la plus haute importance d’expliciter les véritables enjeux liés à la négation de la différence sexuelle et de débattre publiquement sur ces bases – plutôt que sur des principes, comme l’égalité, qui flattent ceux qui s’en font les porte-étendards, mais dont l’invocation pour faire passer dans la Loi le mariage homosexuel, l’homoparentalité et l’adoption par les homosexuels ne résiste pas longtemps à l’analyse.
Dans cet essai, je propose de décrypter le discours des partisans d’une Loi, de passer au crible leurs arguments et de mettre en lumière les effets négatifs des dispositions qu’ils revendiquent. Mon objectif est de contribuer à l’émergence d’un véritable débat sur la place publique car le sujet mérite mieux que le tribunal des bonnes consciences, où ses partisans entendent le maintenir jusqu’au vote de la Loi, à coup de caricatures disqualifiantes contre ceux qui chercheraient à questionner leur projet et leurs motivations.
Les caricatures ont la vie dure et certains pourraient avoir envie de rejeter l’ensemble de mon propos au motif qu’un Rabbin ne devrait pas sortir de sa sphère religieuse ou que la Bible interdisant l’homosexualité, je n’aurais rien de plus à ajouter.
A ces deux objections, je veux répondre d’emblée car je sais trop l’efficacité des attaques ad hominem qui permettent de décrédibiliser un intervenant, de faire l’économie de l’analyse de ses propos et donc d’esquiver le débat.
Je m’exprime en qualité de Rabbin, et plus particulièrement de Grand Rabbin de France. Je ne suis pas le porte-parole d’un groupe d’individus, mais le référent et le porte-parole du judaïsme français dans sa dimension religieuse.
Comme tous les autres Rabbins, je suis un lecteur, un enseignant et un commentateur des textes de la sagesse juive qui sont empreints d’une grande tradition de dialogue, de dialectique, d’herméneutique, bref de pluralisme. J’ai toujours regardé comme un devoir l’engagement intellectuel dans les grands choix de l’histoire et en premier lieu dans les grands choix de mon pays. A ce titre, le projet d’autoriser le mariage homosexuel, de même que le projet de donner une réalité juridique à des faits d’homoparentalité et d’adoption, me concernent.
C’est pourquoi je récuse la posture de repli d’une minorité de responsables religieux, consistant à se mettre hors-jeu et à s’exclure du débat, au motif qu’il existe la possibilité d’un mariage religieux en aval du mariage civil. Le hors-jeu est une faute quand il pratique l’autopromotion.
Ma prise de parole est l’expression réfléchie de la solidarité qui me lie à la communauté nationale dont je fais partie. Elle est aussi l’expression responsable des principes universels que cette communauté a forgés et défendus au cours des siècles, principes sur lesquels la République est fondée et sans lesquels elle ne saurait subsister. Si quelqu’un qui n’est pas juif veut bien m’écouter, il recevra mes propos en fonction de son jugement personnel, de son propre système de valeurs et de sa propre identité religieuse, agnostique ou athée. Il pourra, s’il le souhaite, leur reconnaître de la sagesse et leur attribuer une valeur morale.
Ma vision du monde est guidée par la Bible et par les commentaires rabbiniques – ce qui ne surprendra personne. Concernant les sujets-clés de la sexualité et de la filiation, elle est fondée sur la complémentarité de l’homme et de la femme. Dans cet essai, je me suis référé exclusivement au livre de la Genèse et ai donc choisi ne pas mentionner les interdits homosexuels inscrits dans le Lévitique car j’ai considéré que l’enjeu n’est pas ici l’homosexualité qui est un fait, une réalité, quelle que soit mon appréciation de Rabbin à ce sujet, mais le risque irréversible d’un brouillage des généalogies, des statuts (l’enfant-sujet devenant enfant-objet) et des identités – brouillage préjudiciable à l’ensemble de la société et perdant de vue l’intérêt général au profit de celui d’une infime minorité.
Enfin, j’ajouterai que ma vision biblique du monde, où la justice est un principe central, me conduit naturellement à condamner et à combattre avec force les agressions physiques et verbales dont sont victimes les personnes homosexuelles, au même titre que je condamne et combats avec force les actes et propos racistes et antisémites.
Je tiens à remercier T. Collin, J.P. Winter, M. Gross, B. Bourges et L. Roussel pour la richesse de leurs réflexions qui a nourri ce projet et dire toute ma gratitude à Joël Amar pour son aide si précieuse dans l’accompagnement de cet essai.
Première partie : Analyse des arguments invoqués par les partisans d’une loi
Le mariage homosexuel au nom de l’égalité ?
Ce que l’on entend :
« Les homosexuels sont victimes de discriminations. Ils doivent avoir, comme les
hétérosexuels, le droit de se marier. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
L’argument du mariage pour tous ceux qui s’aiment ne tient pas : ce n’est pas parce que des gens s’aiment qu’ils ont systématiquement le droit de se marier, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Par exemple, un homme ne peut pas se marier avec une femme déjà mariée, même s’ils s’aiment. De même, une femme ne peut pas se marier avec deux hommes, au motif qu’elle les aime tous les deux et que chacun d’entre eux veut être son mari. Ou encore, un père ne peut pas se marier avec sa fille même si leur amour est uniquement paternel et filial.
Au nom de l’égalité, de la tolérance, de la lutte contre les discriminations et de tant d’autres principes, on ne peut pas donner droit au mariage à tous ceux qui s’aiment.
N’est pas en cause ici la sincérité d’un amour. Et il est compréhensible que des personnes amoureuses souhaitent voir leur amour reconnu. Toutefois, des règles strictes délimitent aujourd’hui et continueront demain de délimiter les alliances autorisées et les alliances interdites au mariage. En ce sens, le mariage pour tous est uniquement un slogan car l’autorisation du mariage homosexuel maintiendrait des inégalités et des discriminations à l’encontre de tous ceux qui s’aiment, mais dont le mariage continuerait d’être interdit.
L’argument du mariage pour tous occulte les deux visions actuelles du mariage.
Dans la vision du monde, que je partage avec de très nombreuses personnes, croyantes ou non, le mariage n’est pas uniquement la reconnaissance d’un amour. C’est l’institution qui articule l’alliance de l’homme et de la femme avec la succession des générations. C’est l’institution d’une famille, c’est-à-dire d’une cellule qui crée une relation de filiation directe entre ses membres. Au-delà de la vie commune de deux personnes, il organise la vie d’une Communauté composée de descendants et d’ascendants. En ce sens, c’est un acte fondamental dans la construction et dans la stabilité tant des individus que de la société. Dans une autre vision du monde, le mariage est jugé comme une institution dépassée et compassée, comme l’héritage absurde d’une société traditionnelle et aliénante. Mais alors, n’est-il pas paradoxal d’entendre les tenants de cette vision du monde élever leurs voix en faveur du mariage homosexuel ? Pour quelle raison celles et ceux qui refusent le mariage et lui préfèrent l’union libre, défilent-ils aujourd’hui aux côtés des militants LGBT [1] pour les soutenir dans leur combat pour le mariage homosexuel ?
Que l’on ait l’une ou l’autre des visions du monde, on voit bien que ce qui se joue derrière « le mariage pour tous », c’est une substitution : une institution chargée juridiquement, culturellement et symboliquement serait ainsi remplacée par un objet juridique asexué, sapant les fondements des individus et de la famille.
En effet, au nom de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, faudrait-il supprimer toute référence sexuée dans les relations entre les citoyens et l’Etat, à commencer par la cérémonie du mariage et par le livret de famille qui est remis à l’issue de cette cérémonie ?
Le mariage homosexuel au nom de la protection du conjoint ?
Ce que l’on entend :
« Des personnes homosexuelles se retrouvent sans droit et en grande précarité après un
décès ou une séparation. Le mariage homosexuel permettrait d’y remédier. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
Les décès et les séparations sont des moments de peine et de souffrance. Ils peuvent aussi être à l’origine de situations sociales très difficiles, par exemple en matière de logement. Ceci vaut pour tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, qu’ils soient mariés, pacsés ou en union libre. Quand on aborde le mariage sous l’angle concret et matériel du domicile, du train de vie, des dettes, de la fiscalité, de l’héritage…, on voit vite que le mariage ne peut pas être réduit à un engagement affectif et à une lointaine promesse d’entraide. Car la promesse peut se transformer, un jour, en questions de justice. Je suis attaché à la protection du conjoint, quel que soit son sexe, quel que soit le sexe de la personne qui l’a quitté après une période de vie commune.
Sur la protection du conjoint, je veux commencer par une évidence. Le mariage, comme le PACS, n’est générateur de droits et d’obligations que s’il a été contracté. En d’autres termes, l’autorisation du mariage homosexuel en France ne garantirait pas, de façon automatique, la protection de tous les conjoints dans tous les couples homosexuels. Encore faut-il que chacun des partenaires ait envie de se marier ! La même évidence vaut pour les couples hétérosexuels qui sont nombreux à choisir l’union libre.
Si les couples hétérosexuels sont de plus en plus nombreux à choisir le PACS (cf. données de l’INSEE), ils doivent bien trouver un intérêt à cette union, en particulier sur les paramètres économiques et juridiques qui en fixent le cadre matériel (logement, fiscalité, protection sociale…). On trouve facilement sur Internet des tableaux comparant le mariage et le PACS sur chacun de ces paramètres.
Si certaines dispositions ne sont pas automatiques dans le cas du PACS, elles sont néanmoins possibles. Je prendrai l’exemple de la succession. Un conjoint pacsé peut hériter avec les mêmes réserves et limites que dans le cas d’un couple marié, mais il faut que son partenaire ait rédigé un testament et qu’il l’ait désigné comme héritier. Dans le cas du PACS comme dans celui du mariage, l’héritage reçu par le conjoint est exonéré de droits de succession.
Une analyse, ligne à ligne, des tableaux comparatifs montre que l’écart entre les deux formules est limité. Est néanmoins posée la question de la prestation compensatoire en cas de séparation entrainant une perte significative de niveau de vie pour l’un des conjoints, même si celui-ci peut, dans le cas d’un PACS, saisir le juge aux affaires familiales pour statuer sur les conséquences patrimoniales et la réparation des préjudices.
Mon intention n’est pas de procéder à une analyse, ligne à ligne, de ces tableaux comparatifs.
Elle est de souhaiter que des solutions techniques soient trouvées pour mettre au même niveau la protection du conjoint marié et celle du conjoint pacsé en cas de décès ou de séparation. Aussi et surtout, elle est de souligner qu’au regard de ce qui existe déjà en France dans le cadre du PACS, la protection du conjoint ne peut pas suffire à remettre en cause l’institution du mariage de façon aussi radicale que le ferait l’autorisation du mariage homosexuel.
L’homoparentalité au nom de l’amour ?
Ce que l’on entend :
« Le plus important, c’est l’amour. Un couple homosexuel peut donner beaucoup d’amour à un enfant, parfois même plus qu’un couple hétérosexuel. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
L’amour ne suffit pas, même si la capacité des homosexuels à aimer n’est évidemment pas en cause. Aimer un enfant est une chose, aimer un enfant d’un amour structurant en est une autre. Il ne fait pas de doute que des personnes homosexuelles ont les mêmes capacités à aimer un enfant et à lui témoigner cet amour que des personnes hétérosexuelles, mais le rôle des parents ne consiste pas uniquement dans l’amour qu’ils portent à leurs enfants. Résumer le lien parental aux facettes affectives et éducatives, c’est méconnaître que le lien de filiation est un vecteur psychique et qu’il est fondateur pour le sentiment d’identité de l’enfant.
Toute l’affection du monde ne suffit pas, en effet, à produire les structures psychiques de base qui répondent au besoin de l’enfant de savoir d’où il vient. Car l’enfant ne se construit qu’en se différenciant, ce qui suppose d’abord qu’il sache à qui il ressemble. Il a besoin, de ce fait, de savoir qu’il est issu de l’amour et de l’union entre un homme, son père, et une femme, sa mère, grâce à la différence sexuelle de ses parents. Les enfants adoptés, eux aussi, se savent issus de l’amour et du désir de leurs parents, bien que ceux-ci ne soient pas leurs géniteurs.
Le père et la mère indiquent à l’enfant sa généalogie. L’enfant a besoin d’une généalogie claire et cohérente pour se positionner en tant qu’individu. Ce qui fait l’humain depuis toujours et pour toujours est une parole dans un corps sexué et dans une généalogie.
Nommer la filiation, ce n’est pas seulement indiquer par qui l’enfant sera élevé, avec qui il aura des relations affectives, qui sera son adulte « référent », c’est aussi et surtout permettre à l’enfant de se situer dans la chaîne des générations.
Depuis des millénaires, le système sur lequel est fondée notre société est une généalogie à double lignée, celle du père et celle de la mère. La pérennité de ce système garantit à chaque individu qu’il peut trouver sa place dans le monde où il vit, car il sait d’où il vient. Un exercice courant, dès le cours préparatoire, est d’ailleurs de demander à l’enfant de reconstituer son arbre généalogique car, grâce à cet exercice, l’enfant se situe par rapport à son père et à sa mère et aussi par rapport à la société.
Aujourd’hui, le risque de brouiller la chaîne des générations est immense et irréversible. De même que l’on ne peut détruire les fondations d’une maison sans que celle-ci ne s’effondre, on ne peut renoncer aux fondements de notre société sans mettre celle-ci en danger.
L’homoparentalité n’est pas la parenté. Le terme « homoparentalité » a été inventé pour pallier l’impossibilité pour des personnes homosexuelles d’être parents. Ce mot nouveau, forgé pour instaurer le principe d’un couple parental homosexuel et promouvoir la possibilité juridique de donner à un enfant deux « parents » du même sexe, relève de la fiction. En effet, ce n’est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage ni la parenté, mais d’abord le sexe, c’est-à-dire la distinction anthropologique des hommes et des femmes.
Ainsi, en délaissant la distinction hommes-femmes et en mettant en exergue la distinction hétérosexuels-homosexuels, les personnes homosexuelles revendiquent non pas la parenté (la paternité ou la maternité), qui implique le lien biologique unissant l’enfant (engendré) à ses deux parents (géniteurs), mais la « parentalité » qui réduit le rôle du « parent » à l’exercice de ses fonctions éducatives notamment. Or, même dans le cas des enfants adoptés, il ne s’agit pas seulement d’éduquer, mais de recréer une filiation.
Il faut donc réaffirmer ici avec force qu’être père ou mère n’est pas seulement une référence affective, culturelle ou sociale. Le terme « parent » n’est pas neutre : il est sexué. Accepter le terme « homoparentalité », c’est ôter au mot « parent » la notion corporelle, biologique, charnelle qui lui est intrinsèque.
L’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL) propose ainsi plusieurs substituts au mot « parent » en fonction des rôles et statuts susceptibles d’être remplis : « beau-parent », « coparent », « homoparent », « mère pour autrui », « parent biologique », « parent légal », « parent social », « second parent ». Il est peu probable que l’enfant arrive naturellement et de façon structurante à se situer par rapport à toutes ses terminologies.
L’homoparentalité au nom de la protection juridique ?
Ce que l’on entend :
« L’homoparentalité existe de fait : des centaines de milliers d’enfants sont élevés par
des couples homosexuels. Il faut créer un cadre juridique pour protéger ces enfants. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
La loi permet déjà d’organiser la vie quotidienne des familles recomposées. L’article 372 du Code civil indique que l’exercice de l’autorité parentale revient au père et à la mère de l’enfant et que les parents n’ont pas la possibilité de céder, à leur convenance, leur autorité à un tiers. En revanche, le Code civil envisage la possibilité de déléguer l’exercice de l’autorité parentale à un tiers sur décision du juge aux affaires familiales (articles 377 et suivants du Code civil). La délégation peut être totale (elle concerne alors tous les droits relatifs à l’enfant sauf celui de consentir à son adoption), ou partielle (elle concerne alors simplement certains aspects, comme la garde ou la surveillance). Le juge aux affaires familiales peut, seul, décider de la délégation ou restitution de l’autorité parentale.
Toutefois, le mécanisme de la délégation présente l’inconvénient de déposséder les parents de ce qui est délégué au tiers. C’est pourquoi, devant le phénomène croissant des familles recomposées, le mécanisme a été assoupli en 2002 (Loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale) et donne désormais au juge aux affaires familiales la possibilité d’organiser, pour les besoins d’éducation de l’enfant et avec l’accord des parents, le partage de l’exercice de l’autorité parentale (article 377-1 du Code civil).
Un tel partage permet d’associer un tiers à l’exercice de l’autorité parentale sans que cela entraine, pour le parent, la perte de prérogatives.
La compagne homosexuelle peut déjà partager l’exercice de l’autorité parentale avec la mère. La question de savoir si ce partage de l’autorité parentale avec un tiers peut s’opérer au sein d’un couple homosexuel a déjà été posée à la Cour de cassation, laquelle a accepté que l’autorité parentale puisse être partagée entre la mère et la compagne homosexuelle de celle-ci (Cour de cassation, 24 février 2006). Dans son arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que le Code civil « ne s’oppose pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant ». « Il est ainsi jugé que l’intérêt supérieur des enfants peut justifier, en pareilles circonstances, que l’autorité parentale soit partagée entre une mère et sa compagne », a expliqué la Cour de cassation.
Il n’est pas nécessaire d’ajouter encore à la loi. Le droit français est suffisamment riche pour répondre aux situations des familles recomposées actuelles, y compris les « familles » homoparentales. Au lieu d’ajouter encore au dispositif légal, ne faut-il pas simplement chercher à mieux faire connaître ce qui existe déjà et qui répond aux situations existantes ? Mieux informer sur ce dispositif permettrait de l’utiliser pleinement et de trouver aussi des solutions souples, sur mesure, pour permettre au « beauparent » ou à un autre tiers d’être associé à l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, si cela s’avère nécessaire et conforme à l’intérêt de cet enfant.
L’adoption au nom du droit à l’enfant ?
Ce que l’on entend :
« Les homosexuels sont victimes de discriminations. Ils doivent avoir, comme les hétérosexuels, le droit d’avoir des enfants. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
Le droit à l’enfant n’existe pas. Il n’existe pas de droit à l’enfant, pas plus chez les homosexuels que chez les hétérosexuels. Personne n’a droit à avoir un enfant, au prétexte qu’il désire avoir un enfant.
Non, le droit à l’enfant n’existe ni pour les hétérosexuels, ni pour les homosexuels. Un couple désireux d’avoir un enfant peut décider de s’unir pour le concevoir. Un couple désireux d’adopter un enfant peut faire les démarches nécessaires. Mais aucun de ces couples n’a droit à l’enfant qu’il désire, au seul motif qu’il le désire. On peut refuser un agrément à un couple hétérosexuel si l’on considère que les conditions optimales pour la construction de l’enfant ne sont pas réunies. On peut considérer par exemple qu’il vaut mieux confier un enfant à un couple jeune ou en bonne santé qu’à un couple âgé et à la santé fragile.
Dans l’éventualité d’un droit à l’enfant pour les couples homosexuels, tous les couples hétérosexuels auxquels on refuse l’agrément se sentiraient discriminés, à un titre ou à un autre, et seraient fondés à réclamer pour eux le même droit.
Aussi douloureuse soit-elle, la stérilité ne donne pas, pour autant, droit à l’enfant. Des personnes connaissent la stérilité ou l’absence de procréation, à cause de la maladie, de l’âge avancé, du célibat ou de la configuration sexuelle du couple. Il ne saurait être question de nier la souffrance qu’éprouvent des couples homosexuels, féminins ou masculins, du fait de leur infertilité – souffrance commune à celle de couples hétérosexuels qui ne peuvent pas procréer. Ces couples homosexuels demandent aujourd’hui à ce que leur souffrance soit reconnue et soulagée. Seulement, personne n’a le droit de se soulager de son fardeau aux dépens des autres, et encore moins sur le dos d’innocents et de faibles. La souffrance du couple infertile n’est pas une raison suffisante pour que ce couple obtienne le droit d’adopter.
L’enfant n’est pas un objet de droit mais un sujet de droit. Parler de « droit à l’enfant » relève d’une instrumentalisation inacceptable. Si quiconque veut l’enfant a droit à l’enfant, alors l’enfant devient un enfant-objet. Dans le débat actuel, l’enfant en tant que personne, en tant que sujet est absent des propos de ceux qui réclament l’adoption par les couples homosexuels. Et cette absence leur permet d’éviter de se demander à quoi l’enfant pourrait avoir droit, de quoi il pourrait avoir besoin, s’il préfère avoir un père et une mère ou deux parents du même sexe. Ici, la désinvolture confine parfois au cynisme. Le droit de l’enfant est radicalement différent du droit à l’enfant. Ce droit est fondamental. Il consiste, en particulier, à donner à l’enfant une famille où il aura le maximum de chances de se construire au mieux.
L’adoption au nom des enfants attendant d’être adoptés ?
Ce que l’on entend :
« Plusieurs milliers d’enfants sont en attente d’adoption et mieux vaut pour eux être adoptés par un couple homosexuel que de rester dans un orphelinat. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
L’enfant adopté a, plus qu’un autre, besoin d’un père et d’une mère. L’abandon est vécu par l’enfant comme une déchirure très profonde. L’enfant abandonné cherche ses repères et aspire à retrouver ce qu’il a perdu. Au plus profond de lui-même, viscéralement, il désire se replacer au plus près de la cellule de base qui lui a donné la vie : un père et une mère. L’enfant adopté doit assumer les traumatismes simultanés de l’abandon et de la double identité familiale. Plus qu’un autre, il a besoin d’une filiation biologique évidente. Car, plus qu’un autre, il ne se croit pas découler du fruit de l’amour. Il n’a pas été désiré, il n’a les yeux de personne et il ne se reconnaît en personne dans sa famille d’accueil. Il est fréquent que l’enfant adopté rejette l’un des deux sexes. Il importe donc qu’il puisse s’identifier à deux parents de sexes différents : à sa mère, car il a besoin de se réconcilier avec la femme ; à son père pour connaître la présence d’un homme sans qui sa mère n’aurait pu avoir d’enfant.
De ce fait, l’adoption par un couple homosexuel risque d’aggraver le traumatisme de l’enfant abandonné car la chaîne de filiation serait doublement rompue : dans la réalité du fait de son abandon, dans la symbolique du fait de l’homosexualité de ses parents adoptifs. A un enfant déjà blessé par son passé, a-t-on le droit d’imposer de s’adapter à la situation affective de ses parents, différente à la fois de celle de la très grande majorité des autres enfants et de celle qu’il aspire à retrouver ? Incombe-t-il à l’enfant adopté de s’adapter aux choix de vie affective de ses parents ?
L’adoption est là pour donner une famille à un enfant, et non l’inverse. L’adoption est destinée à réparer une situation de détresse pour l’enfant. Il est donc indispensable de bien discerner la démarche de chaque couple qui dépose une demande d’adoption : est-ce que l’enfant est adopté pour lui-même ou pour satisfaire un besoin du couple ? Est-ce que le couple veut remédier à la situation de détresse de l’enfant ou est-ce qu’il désire remédier à sa situation douloureuse de ne pas pouvoir avoir d’enfant ? Bien entendu, un couple n’adopte pas d’enfant s’il n’en ressent pas le besoin. Cependant, il faut veiller à ce que l’intérêt de l’enfant soit premier, comme le résume notre droit de la famille : tout enfant a droit à une famille, au premier rang la sienne, et à défaut celle qui a vocation à devenir la sienne par l’adoption, si tel est son intérêt. C’est pourquoi il est nécessaire de rappeler que désirer un enfant ne suffit pas pour adopter, et que les solutions compassionnelles et apparemment simples ne sont pas toujours de bonnes solutions : il est possible de causer beaucoup de blessures au nom du bien.
De nouvelles formes d’homoparentalité au nom de l’égalité ?
Ce que l’on entend :
« La parentalité évolue dans les faits, en particulier grâce à la procréation médicalement assistée. Il faut en tenir compte dans le droit. »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
L’association lesbienne et féministe « Les Biens Nées » indique sur son site Internet les quatre cas de figures de l’homoparentalité si cette dernière venait à être autorisée : « Elle peut être issue d’une recomposition familiale avec un partenaire de même sexe après une union hétérosexuelle. Elle peut s’établir avec un système de coparentalité dans lequel des gays et des lesbiennes s’accordent pour avoir un enfant qui évoluera entre leurs deux foyers. Elle peut aussi résulter d’une adoption. Ou, enfin, elle peut aussi résulter d’une insémination artisanale ou d’un recours à l’aide médicale à la procréation. »
Ces quelques lignes ne sont ni un cadre conceptuel, ni un guide pratique, mais une véritable plateforme de revendications politiques pour l’inscription de nouveaux droits au profit des personnes homosexuelles. En effet, si le mariage homosexuel était autorisé au nom de l’égalité, pourquoi l’égalité cesserait-elle de s’appliquer concernant la parentalité – mot qui s’est substitué à la parenté, la maternité et la paternité, ainsi que nous l’avons déjà souligné ?
Les militants LGBT cherchent à installer l’idée qu’il y aurait ici une incohérence au principe d’égalité et donc une injustice, marginalisant le fait qu’un enfant naît toujours de l’union d’un homme et d’une femme – même si cette union peut parfois être médicalement assistée. Ils appuient sur cette « incohérence » pour faire levier et pour obtenir davantage – en particulier l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de lesbiennes.
Ce faisant, ils confirment que l’autorisation du mariage homosexuel est, pour nombre d’entre eux, un cheval de Troie. Leur projet est plus ambitieux : la négation de toute différence sexuelle.
Les nouvelles formes d’homoparentalité ouvrent la voie à d’affolantes combinatoires. Par exemple, une lesbienne fait don d’un ovocyte à sa compagne qui se fait inséminer et porte ainsi l’enfant du « couple ». Le sperme peut être apporté par un couple d’homosexuels qui exercera ensuite une « coparentalité » sur l’enfant – celui étant alors pourvu de quatre parents. Ou encore, s’il ne peut ou ne souhaite pas conclure un tel « partenariat » avec un couple de lesbiennes, le couple d’homosexuels peut recourir à un service de gestation pour autrui, mais seulement dans quelques pays à l’étranger – ce qui pose la question de la reconnaissance et des droits de l’enfant au moment du retour en France.
Ces combinatoires sont aujourd’hui une réalité. Nul ne peut le nier, même si nul ne peut les quantifier avec rigueur et précision (sauf preuve du contraire, nous ferons l’hypothèse qu’elles sont extrêmement minoritaires, comparées aux 827.000 naissances enregistrées en France en 2011). Elles font l’objet de deux revendications. Autoriser les nouvelles formes d’homoparentalité, au motif qu’elles existent. Et créer un droit permettant à chacun d’y accéder, au motif que les pratiques actuelles à l’étranger coûtent cher et sont sources d’inégalités.
Chacun comprend que, dans de nombreux domaines de la vie, une infraction, c’est-à-dire le non-respect d’un interdit, ne peut pas être un motif suffisant pour lever l’interdit qui n’a pas été respecté. En d’autres termes, la réalité de faits ne suffit pas pour créer une réalité dans le droit. Ceci vaut aussi pour les nouvelles formes d’homoparentalité.
Chacun comprend également que les enjeux posés par la procréation médicalement assistée d’une part et par la gestation pour autrui d’autre part sont bien plus larges que les seuls enjeux de l’homoparentalité et qu’ils vont bien au-delà du code de la Famille. Il est donc clé que ces sujets continuent d’être traités dans le seul cadre des lois sur la bioéthique et que ce cadre ne soit pas pris en otage par des revendications visant à faire disparaître toute différence sexuelle dans notre société.
La Loi et l’intérêt général à l’épreuve des chiffres
Ce que l’on entend :
« Des centaines de milliers d’adultes et d’enfants sont concernés. Les Français sont favorables au mariage homosexuel. D’autres pays l’ont déjà autorisé. Pourquoi rester à la traine ? »
Ce que l’on oublie souvent de dire :
Les chiffres invoqués étaient largement surestimés en 1999 pour le PACS et continuent de l’être en 2012 pour le mariage homosexuel.
En 1999, il était urgent d’adopter le PACS car on annonçait alors que 5 millions de personnes voulaient se « pacser ». Des analyses de l’INSEE, il ressort aujourd’hui que 904.746 PACS ont été signés entre 2000 et 2010, dont seulement 7% entre personnes du même sexe (soit 63.609 PACS en 11 ans). La même surenchère est à l’oeuvre aujourd’hui : une proposition de loi [2] indique que les gays et lesbiennes sont 3,5 millions en France et se réfère à l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiennes (APGL) à propos du désir de 45% des lesbiennes et de 36% des gays d’avoir des enfants. Si l’on croise ces trois chiffres, on aboutit à environ 700.000 mariages homosexuels.
Il est utile d’ajouter qu’en Espagne, pays de 46 millions d’habitants, on compte environ 3.100 mariages homosexuels par an, après une première année, en 2006, à 4.300 mariages.
Le nombre d’enfants dans des couples homosexuels fait, lui aussi, le grand écart.
Il y aurait urgence à légiférer, selon l’APGL, car 300.000 enfants seraient élevés en France par des parents de même sexe. A côté des chiffres militants, il est utile de lire les travaux de l’Institut National des Etudes Démographiques (INED), organisme d’Etat faisant référence sur tous les sujets démographiques : l’INED estime le nombre d’enfants concernés entre 24.000 et 40.000. S’il est, en revanche, un chiffre facile à vérifier et donc ne faisant pas débat, c’est le nombre d’adhérents à l’APGL : ils sont 1.800 sur l’ensemble de la France.
L’autorisation du mariage homosexuel n’est un marqueur ni du progrès, ni de l’avancée d’une nation. On entend souvent que la France serait en retard par rapport à d’autres pays qui ont autorisé le mariage homosexuel ou l’adoption dans le cadre d’une union civile.
Cette notion de retard mérite d’être interrogée. Suffirait-il d’autoriser le plus grand nombre de choses interdites dans d’autres pays pour être au premier rang des nations ?
Comme marqueur du progrès et de l’avancée d’une nation, je préfère me référer, au-delà des traditionnelles données sur le social, l’économie, l’éducation ou la recherche, au bien-être de la population et à sa confiance dans l’avenir. Quand on se soucie de justice sociale, n’y a-t-il pas tant d’autres classements internationaux à faire, au risque de constater que l’on a à la fois du retard et de fortes marges de progression ?
On peut certes se faire plaisir avec un classement sur le mariage homosexuel, mais encore, faudrait-il démontrer qu’il est de l’intérêt général de la nation de faire la course en tête ? On peut, enfin, invoquer un classement sur les droits accordés aux minorités, mais là encore, ne serait-il pas prioritaire de se concentrer sur l’intégration de certaines minorités dans la République et surtout de réduire fortement le nombre d’agressions racistes, antisémites et homophobes ?
La mesure par les sondages de l’acceptabilité sociale doit porter sur toutes les revendications et sur leurs conséquences.
Au cours des 10 dernières années, plusieurs instituts de sondage ont régulièrement demandé à des échantillons représentatifs de la population de 18 ans et plus s’ils étaient favorables ou opposés au mariage homosexuel et à l’adoption d’enfants par des couples de même sexe. Ces deux questions ont pour angle l’ajout de droits aux personnes homosexuelles et pour arrière-plan la lutte pour l’égalité et contre les discriminations.
De façon indéniable, il ressort de ces sondages que la proportion de Français favorables au mariage homosexuel, en augmentation régulière depuis 10 ans, est aujourd’hui largement majoritaire : 65% dans le sondage le plus récent à date, celui de l’IFOP en août 2012. Les résultats sont plus nuancés concernant le droit à l’adoption par les couples de même sexe puisque, selon ce même sondage, 53% des Français y seraient favorables et surtout la proportion d’opinions favorables a diminué de 5 points en un an.
Il serait utile de débattre sur une certaine vision de la politique consistant à inscrire des faits dans le droit, dès lors que des sondages auraient constaté une opinion majoritaire favorable ou, en d’autres termes, l’acceptabilité sociale de ces faits. Ce débat, toutefois, nous éloignerait de notre propos sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité.
Chacun peut constater en de nombreux domaines que l’opinion est volatile. Des résultats de sondage supérieurs à 50% ne peuvent donc pas suffire à légitimer une loi ou à décréter qu’un débat n’a pas lieu d’être.
Si l’on accepte, néanmoins, de prendre les sondages pour boussole sociétale, ne conviendrait-il pas d’interroger aussi les Français sur toutes les revendications des militants LGBT au titre de l’égalité et de la lutte contre les discriminations ? Aussi et surtout, ne conviendrait-il pas de leur poser des questions anglées sur le point de vue des enfants adoptés ou sur les conséquences concrètes dans leur vie quotidienne de l’effacement des différences sexuelles ? Les deux questions posées régulièrement depuis 10 ans ne permettent pas, en effet, d’appréhender l’état de l’opinion sur l’ensemble des enjeux associés au mariage homosexuel et à l’homoparentalité. Lorsqu’un sondage aborde ces enjeux sous un autre angle en demandant aux personnes interrogées un choix exclusif et la définition de priorités, les réponses sont sensiblement différentes.
Pour preuve : le sondage réalisé par l’IFOP les 27 et 28 septembre 2012 et mis en ligne le 10 octobre. Lorsqu’on demande, parmi deux principes, lequel il faut garantir prioritairement, 63% des Français (48% des sympathisants de gauche et 70% des sympathisants de droite) pensent qu’il faut que les enfants adoptés puissent avoir un père et une mère, tandis que 34% des Français (49% des sympathisants de gauche et 17% des sympathisants de droite) pensent qu’il faut que les couples homosexuels puissent adopter des enfants.
Deuxième partie : Derrière les arguments, la confrontation de deux visions du monde
La volonté des militants LGBT de nier la différence sexuelle
La « gender theory »
D’abord utilisée par les féministes dans leur combat pour l’égalité des sexes, la « gender theory » (théorie du genre) a été reprise par les militants homosexuels dans leur combat pour la non-différence des sexes. Dans les années 1960, les mouvements féministes anglo-saxons dénonçaient les différences sociales qui persistaient entre les hommes et les femmes, du seul fait de leur différence de sexe. Ces idées ont donné naissance à la notion de « genre », pouvant être défini comme le rôle social attribué à chaque sexe. Le genre est relatif aux normes, aux standards sociaux de ce qui est considéré comme masculin ou féminin. En d’autres termes, il définit la différence et la hiérarchisation des rapports sociaux entre les hommes et les femmes en fonction de leur sexuation.
C’est lui qui aurait systématiquement maintenu la femme en position de dominée.
Si le sexe fait référence aux différences biologiques entre l’homme et la femme, le genre fait donc référence aux différences sociales dues justement à cette différence de sexes. Le genre est ainsi ce que l’on pourrait appeler « le sexe social ». Les théories maintenant les individus dans des rôles, métiers ou images tels que « l’homme au travail et la femme à la maison » sont alors dénoncées comme étant porteuses d’oppression.
« On ne naît pas femme, on le devient »
Les théoriciens du genre pensent, avec Simone de Beauvoir, que l’« on ne naît pas femme, on le devient », à cause de ces « caractéristiques du genre » qui sont, pour une grande part, une construction culturelle qu’ils dénoncent. On naît « neutre », selon eux, et c’est la société qui imposerait à chaque homme d’être homme parce qu’il a un sexe masculin et à chaque femme d’être femme parce qu’elle a un sexe féminin, avec toutes les inégalités que cela implique.
Ces théoriciens ne définissent pas l’individu par son sexe (homme ou femme), mais par sa sexualité (homo, hétéro…). Ils effacent la dimension biologique et anatomique séparant deux sexes pour ne voir que des genres multiples, dictés par la culture et par l’histoire.
Considérant la sexuation des individus comme une construction sociale et culturelle, donc artificielle, les mouvements féministes dénoncent les rapports sociaux et revendiquent une culture à même de protéger les femmes. Protection qui, entre autres, passerait par le renoncement à l’hétérosexualité.
La « queer theory » : en finir avec la différence sexuelle comme donnée naturelle
Les théoriciens les plus radicaux vont plus loin : ils expriment la volonté d’éliminer toutes les disparités entre hommes et femmes et de parvenir à une parfaite égalité entre eux.
Au nom de cette égalité, et considérant qu’il ne peut y avoir de différence sans inégalité (il n’y a pourtant aucune antinomie entre la différence et l’égalité ; le contraire de l’égalité n’est pas la différence et l’égalité n’est pas contradictoire avec la sexuation), ils demandent à faire disparaître la différence sexuelle entre hommes et femmes (percevoir la différence comme un problème, quel paradoxe dans une société où l’on ne jure que par l’acceptation de la différence !).
Puisque c’est la différence sexuelle qui ferait perdurer la soumission de la femme à l’homme, l’égalité passerait forcément par la non-différenciation sexuelle. Il apparaît alors que le but définitif de la révolution féministe est non seulement d’en finir avec le privilège masculin, mais encore avec la distinction même des sexes. Si le genre est une pure construction sociale, alors toute représentation sociale de la sexualité devient construite, acquise et artificielle. Petit à petit, le sexe en tant que catégorie naturelle est remis en question et la sexuation en tant que donnée naturelle est relativisée.
Le déni de la sexuation
La queer theory (bizarre, étrange en anglais, par opposition à straight) pousse la théorie du genre à son extrême et lui reproche d’être bâtie sur un présupposé hétérosexiste : tenir pour acquis que l’hétérosexualité est la norme et qu’il s’agit, de ce fait, d’une orientation sexuelle supérieure aux autres. Dès lors que l’hétérosexualité n’est plus « évidente », toutes les formes de sexuation sont envisageables.
La queer theory revendique la création d’une nouvelle anthropologie qui ne serait pas soumise à « l’hétérosexualité obligatoire » ou à « l’hétérosexualité comme donnée évidente », dans l’objectif de revenir à un état premier où il n’aurait pas existé de différence sexuelle ou « genrée ». Elle veut en finir avec la perception « genrée » de l’individu et avec toute utilisation « genrée » des mots, de façon à ce que « homme » ou « masculin » puisse désigner un corps féminin, au motif que le corps lui-même n’est plus une réalité donnée. N’étant qu’une construction sociale, l’identité sexuelle n’est en aucun cas déterminante quant au psychisme de l’individu. Il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte.
Du projet politique de remplacer l’identité sexuelle par l’orientation sexuelle...
A la place de l’identité sexuelle, qui est comme éliminée, la queer theory propose une « orientation sexuelle » qui serait choisie par chaque individu en fonction du genre qui s’impose à lui comme une essence intérieure.
Distinguant le sexuel (le sexe comme donnée de fait) et le sexué (la sexualité comme comportement), la queer theory défend l’idée selon laquelle on peut être physiquement masculin mais psychiquement féminin, et inversement. Et qu’indépendamment de sa biologie et de son genre, on peut avoir un désir homosexuel, hétérosexuel, bisexuel ou asexuel.
La queer theory invite ainsi l’individu à sortir du carcan d’« homme » ou de « femme » qu’il n’a pas choisi, et à s’exprimer de la façon dont il se perçoit. Par exemple, un être masculin au plan biologique et « genré » comme une femme pourrait avoir un désir hétérosexuel et vivre, de ce fait, avec un autre homme.
Dans cette perspective, l’orientation sexuelle choisie par l’individu n’aurait jamais rien de définitif et pourrait varier au cours de la vie. Si le genre est construit, il peut donc être déconstruit. Le féminin ou le masculin deviennent de simples rôles que l’on peut choisir ou non d’endosser, de parodier ou d’échanger à loisir. Femmes, hommes, hétéros, homos, bisexuels ou transsexuels… Dans cette farandole des genres, les identités sexuelles sont remplacées par des individus, qui ne cessent de se fabriquer et de se re-fabriquer dans leur rapport aux autres.
C’est au nom de la tolérance que les défenseurs de la queer theory réclament la reconnaissance sociale de toutes les formes d’orientations sexuelles : homo, bi, trans… Mais la tolérance ne joue ici que le rôle d’un cheval de Troie dans leur combat contre l’hétérosexualité, norme sociale qu’ils jugent imposée et dépassée, puisque bâtie sur la différence sexuelle.
...au projet politique de détruire le mariage
Ce combat vise bien évidemment l’actuel modèle familial, vécu comme un conditionnement social et comme un obstacle à l’expression de leur « moi profond » : leur genre (la médecine et l’état civil devant s’adapter à ce choix d’appartenance sexuelle).
En effet, si ce n’est plus l’identité sexuelle des individus qui prime mais leur orientation sexuelle, si un individu physiquement masculin peut en fait être psychiquement féminin ou inversement, si c’est la volonté de l’individu et non plus la nature qui détermine son sexe, pourquoi ne pas institutionnaliser l’union de deux personnes, quelles qu’elles soient ? Et surtout au nom de quoi refuser de leur confier des enfants puisque les différents modèles sont considérés comme équivalents ?
Face à cette déferlante de revendications, il est légitime de se demander si l’objectif des militants n’est pas finalement la destruction pure et simple du mariage et de la famille, tels qu’ils sont traditionnellement conçus. Dans cet objectif, le mariage homosexuel et le droit à l’adoption pour les couples de même sexe ne seraient qu’un moyen de mieux faire exploser les fondements de la société, de rendre possible toutes les formes d’union, enfin libérées d’une morale ancestrale, et de faire ainsi disparaître définitivement la notion même de différence sexuelle.
La vision biblique de la complémentarité homme-femme
La complémentarité homme-femme est un principe structurant dans le judaïsme, dans d’autres religions, dans des courants de pensée non religieux, dans l’organisation de la société ainsi que dans l’opinion d’une très large majorité de la population. Ce principe trouve, pour moi, son fondement dans la Bible. Il peut, pour d’autres, trouver son fondement ailleurs. Je vais me concentrer ici sur la vision biblique, non exclusive des autres visions.
Une différence irréductible
« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1,27). Le récit biblique fonde la différence sexuelle dans l’acte créateur. La polarité masculin-féminin traverse tout ce qui existe, depuis la glaise jusqu’à Dieu. Elle fait partie du donné primordial qui oriente la vocation respective - l’être et l’agir - de l’homme et de la femme. La dualité des sexes appartient à la constitution anthropologique de l’humanité.
Ainsi, chaque personne est-elle amenée à reconnaître tôt ou tard qu’elle ne possède qu’une seule des deux variantes fondamentales de l’humanité, et que l’autre lui reste à jamais inaccessible. La différence sexuelle est ainsi une marque de notre finitude. Je ne suis pas tout l’humain. Un être sexué n’est pas la totalité de son espèce, il a besoin d’un être de l’autre sexe pour produire son semblable.
Une différence constitutive sur la transcendance
La Genèse ne voit la ressemblance de l’être humain avec Dieu que dans l’association de l’homme et de la femme (Gn 1,27) et non dans chacun d’entre eux pris séparément. Ce qui suggère que la définition de l’être humain n’est perceptible que dans la conjonction des deux sexes. Car chaque personne, du fait de son identité sexuelle, est renvoyée au-delà d’elle-même. Dès qu’elle est consciente de son identité sexuelle, toute personne humaine se voit ainsi confrontée à une sorte de transcendance. Elle est obligée de penser un au-delà d’elle-même et de reconnaître comme tel un autre inaccessible, qui lui est essentiellement apparenté, désirable et jamais totalement compréhensible.
L’expérience de la différence sexuelle devient ainsi le modèle de toute expérience de la transcendance qui désigne une relation indissoluble avec une réalité absolument inaccessible. On peut comprendre à partir de là pourquoi la Bible use volontiers de la relation entre homme et femme comme métaphore de la relation entre Dieu et l’homme : non parce que Dieu serait masculin et l’homme féminin, mais parce que la dualité sexuelle de l’homme est ce qui manifeste le plus clairement une altérité indépassable dans la relation la plus étroite.
De la solitude à la relation
Il est remarquable que dans la Bible, la différence sexuelle soit énoncée juste après l’affirmation du fait que l’homme est à l’image de Dieu. Cela signifie que la différence sexuelle s’inscrit dans cette image, et est bénie de Dieu.
La différence sexuelle est donc à interpréter comme un fait de nature, pénétré d’intentions spirituelles. Nous en voulons pour preuve que dans la création en sept jours, les animaux ne sont pas présentés comme sexués. Ce qui les caractérise, ce n’est pas la différence des sexes, mais la différence des ordres et, à l’intérieur de chaque ordre, la différence des espèces : il y a les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bêtes de la terre… Tous les êtres vivants sont produits, comme un refrain, « selon leur espèce » (Gn 1,21).
Dans ce récit, la sexuation n’est mentionnée que pour l’homme car c’est précisément dans la relation d’amour, qui inclut l’acte sexuel par lequel l’homme et la femme « deviennent une seule chair », que tous deux réalisent leur finalité propre : être à l’image de Dieu.
Le sexe n’est donc pas un attribut accidentel de la personne. La génitalité est l’expression somatique d’une sexualité qui affecte tout l’être de la personne : corps, âme et esprit. C’est parce que l’homme et la femme se perçoivent différents dans tout leur être sexué, tout en étant l’un et l’autre des personnes, qu’il peut y avoir complémentarité et communion.
« Masculin » et « féminin », « mâle » et « femelle » sont des termes relationnels. Le masculin n’est masculin que dans la mesure où il est tourné vers le féminin ; et par la femme, vers l’enfant – en tout cas vers une paternité, qu’elle soit charnelle ou spirituelle. Le féminin n’est féminin que dans la mesure où il est tourné vers le masculin ; et par l’homme, vers l’enfant – en tout cas vers une maternité, qu’elle soit charnelle ou spirituelle.
Le second récit de la création approfondit cet enseignement en présentant l’acte de création de la femme sous forme d’une opération chirurgicale par laquelle Dieu extrait du plus intime d’Adam, celle qui deviendra sa compagne (Gn 2,22). Désormais, ni l’homme ni la femme ne seront le tout de l’humain, et aucun des deux ne saura tout de l’humain.
Est exprimée une double finitude :
- Je ne suis pas tout, je ne suis même pas tout l’humain.
- Je ne sais pas tout sur l’humain : l’autre sexe me demeure toujours partiellement inconnaissable.
Ce qui conduit à l’impossible autosuffisance de l’homme. Cette limite n’est pas une privation, mais un don permettant la découverte de l’amour qui naît de l’émerveillement devant la différence.
Le désir fait découvrir à l’homme l’altérité sexuée au sein de la même nature : « Pour le coup, c’est l’os de mes os, et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23), et l’ouverture à cet autre lui permet de se découvrir dans sa différence complémentaire : « elle s’appellera Isha car elle est tirée de Ish » (ibid.).
« L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un – une chair unique » (Gn 2,24). En hébreu, « une chair unique » renvoie à l’« Unique », Ehad – le Nom divin par excellence, selon la prière du Shema Israël : « Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est Un – Adonaï Ehad » (Dt 6,4).
C’est dans leur union à la fois charnelle et spirituelle, rendue possible par leur différence et leur orientation sexuelle complémentaire, que l’homme et la femme reproduisent, dans l’ordre créé, l’image du Dieu Un.
En contre-point, le chapitre trois de la Genèse présente le péché comme le refus de la limite et par là de la différence : « Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn 3,5).
« L’arbre de la connaissance du bien et du mal » – « l’arbre du bien connaître et du mal connaître » – symbolise précisément les deux manières d’appréhender la limite :
- le « bien connaître » respecte l’altérité, accepte de ne pas tout savoir et consent à ne pas être tout ; cette manière de connaître ouvre à l’amour et ainsi à « l’arbre de la vie », planté par Dieu au centre du Jardin (Gn 2,9) ;
- le « mal connaître » refuse la limite, la différence ; il mange l’autre dans l’espoir de reconstituer en soi le tout et d’acquérir l’omniscience. Ce refus de la relation d’altérité conduit à la convoitise, la violence et ultimement à la mort.
N’est-ce pas ce que propose la gender : le refus de l’altérité, de la différence, et la revendication d’adopter tous les comportements sexuels, indépendamment de la sexuation, le don premier de la nature ? Autrement dit la prétention de « connaître » la femme comme l’homme, de devenir le tout de l’humain, de s’affranchir de tous les conditionnements naturels, et ainsi « d’être comme des dieux » ?
Conclusion
Après l’analyse des arguments, après l’éclairage des théories sous-jacentes, il va falloir trouver une issue au débat qui s’engage. Comme d’autres, j’ai été auditionné par Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, et par Mme Dominique Bertinotti, Ministre Déléguée chargée de la Famille. Comme d’autres, j’ai été écouté respectueusement, mais seuls le projet de loi et les positions que prendra le Gouvernement permettront de dire si la concertation fut véritable ou de façade, si elle a fait émerger un cheminement de la pensée ou si elle était seulement une procédure conçue par la bien-pensance et à son seul service.
A l’heure de conclure, il ressort que les arguments invoqués d’égalité, d’amour, de protection ou de droit à l’enfant se démontent et ne peuvent, à eux seuls, justifier une loi.
Que les droits en termes d’homoparentalité et d’adoption soient étendus ou limités, il ressort également que les militants LGBT utiliseront le mariage homosexuel comme un cheval de Troie dans leur entreprise, bien plus large, de nier la sexuation, d’effacer les différences sexuelles et de leur substituer des orientations permettant à la fois de sortir du « carcan naturel » et de mieux dynamiter les fondements hétérosexuels de notre société.
Il n’y aurait ni courage, ni gloire à voter une loi en usant davantage de slogans que d’arguments, en se conformant à la bien-pensance dominante par crainte d’anathèmes et en contre-attaquant in extremis par une question du type : « s’il n’y a aucune raison de faire une loi, en quoi est-ce que cela dérange qu’il y en ait une ? ».
Ce qui me dérange, c’est le refus du questionnement, le refus de sortir de ses évidences.
Ce qui pose problème dans la loi envisagée, c’est le préjudice qu’elle causerait à l’ensemble de notre société au seul profit d’une infime minorité, une fois que l’on aurait brouillé de façon irréversible trois choses :
- les généalogies en substituant la parentalité à la paternité et à la maternité,
- le statut de l’enfant, passant de sujet à celui d’un objet auquel chacun aurait droit,
- les identités où la sexuation comme donnée naturelle serait dans l’obligation de s’effacer devant l’orientation exprimée par chacun, au nom d’une lutte contre les inégalités, pervertie en éradication des différences.
Ces enjeux doivent être clairement posés dans le débat sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Ils renvoient aux fondamentaux de la société dans laquelle chacun d’entre nous a envie de vivre.
Je suis de ceux qui pensent que l’être humain ne se construit pas sans structure, sans ordre, sans statut, sans règle. Que l’affirmation de la liberté n’implique pas la négation des limites. Que l’affirmation de l’égalité n’implique pas le nivellement des différences. Que la puissance de la technique et de l’imagination exige de ne jamais oublier que l’être est don, que la vie nous précède toujours et qu’elle a ses lois.
J’ai envie d’une société où la modernité prendrait toute sa place, sans que, pour autant, soient niés les principes élémentaires de l’écologie humaine et familiale.
D’une société où la diversité des manières d’être, de vivre et de désirer soit acceptée comme une chance, sans que, pour autant, cette diversité soit diluée dans la réduction à un plus petit dénominateur qui efface toute différenciation.
D’une société où, malgré le déploiement du virtuel et de l’intelligence critique, les mots les plus simples – père, mère, époux, parents – gardent leur signification, à la fois symbolique et incarnée.
D’une société où les enfants sont accueillis et trouvent leur place, toute leur place, sans pour autant devenir objet de possession à tout prix ou enjeu de pouvoir.
J’ai envie d’une société où ce qui se joue d’extraordinaire dans la rencontre de l’homme et
de la femme continue à être institué, sous un nom spécifique.
[1] LGBT : Lesbiennes Gays Bisexuels Transgenres
[2] Proposition de Loi n°745 présentée par la Sénatrice Esther Benbassa, EELV, le 27 août 2012.
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