La dignité humaine : entre nature et conquête
I. Introduction
Il est très difficile d’aborder de front la nature de la personne humaine, tant le concept de personne est très difficile à cerner. Il m’a paru plus simple, si j’ose dire, de l’étudier à travers le concept de dignité qui comporte beaucoup d’acceptions de sens comme on le verra mais qui a le mérite d’être très utilisé, très opératoire dans le discours tant populaire que diplomatique.
La définition du dictionnaire :
- Fonction, titre ou charge qui donne à quelqu’un un rang éminent.
- Respect que mérite quelqu’un
- Respect de soi (avoir de la dignité, de l’amour propre).
Cette dignité est-elle pour tous ou pour quelques uns ? Voilà une des questions qu’il faudra traverser et à laquelle il nous faudra faire une tentative de réponse.
Beaucoup d’approches existent pour définir ce qui relève de la dignité d’une personne ou ce qui la manifeste : les approches philosophiques et les approches théologiques.
Parmi les approches philosophiques, certaines relèvent de la définition de notre dictionnaire. Mais d’autres relèvent de la nature de l’homme, mais alors de quelle nature ?
Du point de vue de l’histoire des religions, il est assez facile de relever différentes approches selon que l’on est d’une religion sumérienne ou babylonienne, d’avant le christianisme et le judaïsme ; selon que l’on est musulman, indou ou chrétien. Faute de temps, nous n’en évoquerons quelques unes.
L’expérience des dernières guerres mondiales qui ont conduit à la publication de la déclaration universelle des droits de l’homme a été particulièrement déterminante pour l’évolution de la pensée sur la dignité de l’homme.
Aujourd’hui, l’évolution de la science et ses problèmes propres ont conduit à une nouvelle science qui a directement à faire avec la dignité de l’homme : la bioéthique.
Nous verrons assez vite que poser la question de la nature de la dignité humaine conduit à se poser la question d’où vient l’homme et où il va ? Mais cela conduit tout aussi vite à poser la grande question de l’éthique : Que puis-je faire ? Que dois-je faire ? Que m’est-il interdit de faire ? Y a-t-il des actes que l’on ne peut jamais faire ? … N’oublions jamais qu’entre la vision du monde (philosophique ou théologique) ; l’anthropologie ; l’éthique ; il y a une cohérence très forte. C’est à tel point que si tu me dis quel est ton éthique je pourrais assez vite te dire quel est ta vision de l’homme et ainsi de suite. Cette grille de lecture est tellement connue que c’est toujours celle-là à laquelle sont affrontés les chrétiens lorsqu’on leur reproche de ne pas toujours faire ce qu’ils disent, c’est-à-dire de manquer de cohérence entre leur foi et leur morale.
II. Des babyloniens à la compréhension biblique.
L’histoire des religions est particulièrement précieuse pour comprendre ce qu’il en est de la dignité humaine. Ainsi la façon dont est posé l’origine de l’homme est extrêmement déterminante. Nous verrons combien il y a une cohérence extrême entre la position de départ que représente l’origine de l’homme, la façon dont il se comprend comme être humain et la façon dont il gère sa vie ici-bas (toute la question de l’éthique).
D’après les textes du Proche-Orient ancien [1].
Il n’y a pas besoin d’être long pour vous présenter comment les babyloniens se comprenaient. On a beaucoup de récits avec des scenarii semblables. J’en choisis un [2] qui est assez clair.
A l’origine, les grands dieux faisaient travailler sur terre les petits dieux pour qu’ils fabriquent des digues afin de contenir les fleuves…
Révolte des petits dieux. Bien sûr ils perdent. Le chef de la révolte (Kingou) est mis à mort. Mais avec son sang, mélangé à de la terre, on « fabrique » les hommes qui vont être chargés de porter les paniers de terre à la place des petits dieux. C’est Mardouk qui prend la parole :
« Que me soit livré celui qui a causé le combat ;
je lui ferai porter le châtiment ; demeurez en repos.
Les Igigou lui répondirent :
C’est Kingou qui a causé le combat, a fait se révolter Tiamat et a organisé la bataille !
L’ayant capturé, ils le tiennent en présence d’Ea ; ils lui imposèrent le châtiment et lui tranchèrent le sang ; de son sang il forma l’humanité, il lui imposa la tâche des dieux et libéra les dieux. Après qu’Ea le sage eut formé l’humanité, lui eut imposé la tâche des dieux. »
De ce très bref extrait, il ressort deux choses :
Dans les sphères célestes tout se règle par la puissance.
Sur terre, l’homme est créé comme la conséquence d’une punition et pour souffrir à la place des petits dieux.
Ceci donne évidemment une saveur de douleur et de lutte à la condition humaine avec pour conséquence une certaine légitimité à l’oppression du plus fort envers le plus faible mais aussi un certain fatalisme à l’égard de la douleur et de la souffrance. Ethique et anthropologie ont toujours parties liées.
Il en va tout autrement dans le récit biblique.
III. Une nature donnée, perdue et retrouvée : l’approche chrétienne.
La Bible, dans le second chapitre de la Genèse, reprend le matériau des mythes babyloniens. L’homme est tiré de la terre, animé par « quelque chose » du Dieu vivant (le souffle) et non le sang d’un dieu mort. Mais la grande différence est qu’il est mis dans le jardin pour le cultiver et y vivre en paix. D’emblée, l’homme est voulu pour lui-même et non pour palier à une révolte des dieux et souffrir à leurs places. C’est considérable ! D’emblée la nature humaine possède une dignité chez les hébreux que l’on est bien loin de trouver chez les babyloniens.
A. L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Gn 1, 26 - Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.
27 - Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.
Ce verset de la Bible et les suivants sont absolument déterminants pour construire l’anthropologie, c’est-à-dire ce qu’est l’homme, d’où il vient, quelle est sa place dans l’univers… Et il y a fondamentalement deux approches possibles pour les chrétiens de mener la réflexion. Soit on réfère ce que nous sommes à Dieu ; soit on le fait par rapport à la Trinité. Ces deux démarches sont possibles et il ne faut surtout pas les opposer.
Dans le premier cas, dire que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est mettre l’accent sur la dimension créatrice de Dieu. L’homme, comme être personnel, comprend alors sa dignité comme la capacité à « procréer » c’est-à-dire non seulement à se reproduire mais à prendre des initiatives pour lui aussi, dans le cadre de son humanité, commencer du neuf. C’est là tout le thème de la liberté qu’il faudrait déployer mais le temps manque. Entendons bien cependant qu’il ne s’agit pas d’une liberté comprise comme l’aptitude à faire ce que l’on veut mais bien comme aptitude à initier, à commencer.
Dans le second cas, se comprendre comme créé à l’image de la sainte Trinité engendre une vision de l’homme dans sa dimension relationnel. C’est alors le couple hétérosexuel, qui porte plus spécifiquement l’image du Dieu qui est toute relation en lui-même. Les relations intra-trinitaires se comprennent essentiellement en termes de don et d’accueil. Et c’est bien ainsi que les couples se marient aujourd’hui : « Je me donne à toi et je t’accueille ».
Il me semble qu’il est une dimension très spécifique qui rassemble ces deux approches : l’amour. Ainsi que l’écrit Jean-Paul II : « Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance : en l’appelant à l’existence par amour, il l’a appelé en même temps à l’amour » [3].
L’anthropologie chrétienne est fondamentalement une anthropologie où l’homme est voulu pour lui-même et où chaque être humain est capable de vivre de l’amour en raison même de son origine. Nous ne sommes vraiment plus dans le monde babylonien.
B. Le péché qui masque d’un voile de laideur sa ressemblance.
Le premier péché est décrit symboliquement en Gn 3 sous la forme d’une révolte contre Dieu organisée par le serpent. Cette révolte est motivée par l’idée que l’interdit du jardin empêche l’homme d’être comme des dieux, d’être tout puissant, de connaître le bien et le mal. Bref ! Pour rapprocher cette symbolique de notre sujet, le serpent instille un soupçon subtile qui laisse entendre que la dignité de l’homme est bafouée par l’interdit qui le contraint à être plus limité qu’il ne le devrait. Or c’était cet interdit qui manifestait et rendait possible la dignité de l’homme en instaurant une distance entre lui et le créateur. Cette distance rendait possible une relation vraie. L’homme-créature, en voulant supprimer cette distance s’aperçoit durement qu’elle est infranchissable. C’et an voulant l’abolir qu’il s’y heurte violemment et qu’il s’éprouve faible et nu.
On pourrait croire, à la lecture du troisième chapitre de la Genèse que l’homme, à cause de son péché, a perdu sa dignité puisqu’il est chassé du Paradis. Ce serait presque vrai si la Bible s’arrêtait là. En effet, les conséquences du péché sont redoutables. Il n’y a plus de relation sereine entre l’homme et la femme qui ne peuvent plus voir leur nudité sans être troublés ; le rapport au travail et à l’enfantement devient pénible ; l’homme se met à se cacher de Dieu.
Mais la Bible poursuit son « récit » des relations entre l’homme et son Dieu. Comme si Dieu, en envoyant ses prophètes manifestait à l’homme cette dignité incomparable qu’il tient de son créateur et qui est ineffaçable. Il reste au fond de l’homme ce qui le constitue humain : son état d’image même si le péché voile la ressemblance d’un masque de laideur. C’est là une approche plus catholique que protestante.
C. C’est Jésus qui va reconquérir pour nous notre dignité perdue.
Jésus, qui vient sauver l’honneur de Dieu en montrant qu’être homme jusqu’au bout, c’est possible. Que le péché n’était pas inévitable. Que l’humanité est digne de Dieu. Qu’il n’est pas indigne pour Dieu d’habiter les limites de l’homme. Que l’homme est capable de Dieu. Que la mort peut être vaincue par les armes de la foi !
De ce combat radical, l’homme s’est relevé en Jésus bien plus grand à ses propres yeux qu’il ne se voyait dans le jardin paradisiaque.
Désormais la dignité de l’homme n’est pas seulement sa nature liée à son état de créature, mais elle est le don que Dieu lui fait en le rachetant au prix de son fils et en le faisant héritier avec son fils. Autrement dit, la dignité de l’homme, dans la vision chrétienne, est non seulement de nature mais plus encore une dignité reconquise par le Christ et offerte.
De plus, c’est pour tous les hommes que Jésus est mort. Le salut est universel. Il n’y a pas d’exclus de cette nouvelle dignité. Cela va inévitablement engendré un regard très particulier des chrétiens sur les relations que nous pouvons vivre entre nous, surtout lorsqu’elles sont éclairées par cet exceptionnel passage du Sermon sur la Montagne en Mt 5, 43-48 : « " Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (…). »
La prière du Notre Père nous pose, justement dans cette fraternité que Dieu veut pour nous. Une fraternité qui se construit fondamentalement et dans la contemplation du Père et dans la pratique du pardon.
Autrement dit la dignité de l’homme ne peut être mise à jour que si l’on prend en compte aussi sa dimension spirituelle. De sa création à son salut, l’homme peut découvrir que sa dignité est plus profonde, plus vaste qu’il ne l’avait jamais perçu. Et si cette dignité demeure en Christ jusque dans sa déchéance mortelle sur la croix, cela nous révèle une dignité qui ne dépend pas de l’apparence ou de l’état de santé immédiat.
Les conséquences de l’approche chrétienne sont évidemment très nombreuses. Prenons simplement un exemple dans le cadre de la bioéthique. Celui des personnes en fin de vie. La dignité de l’homme se présente alors sous un double aspect : visible et invisible, biologique et spirituelle. Il se peut bien que dans sa dimension visible, avec la vieillesse, cette dignité connaisse une certaine déchéance. « Une violation de la dignité visible (corporelle) par la maladie ne justifie pas pour autant que l’on ajoute une autre violation de la dignité ontologique par la médecine ou le patient lui-même (par le suicide, assisté ou non). » [4]
IV. Descartes, le renversement de la pensée et la réappropriation par l’homme de sa dignité.
René Descartes (1596 1650), célèbre savant, philosophe et auteur du discours de la méthode (1637).
Nous connaissons tous son fameux : « Je doute donc je pense, je pense donc je suis ». Cette expérience fondamentale est, pour faire vite, à la source de sa méthode qui consistait à douter systématiquement de tout pour reconquérir de manière certaine, mais désormais à partir de soi, de la raison humaine, le réel. C’est ce que l’on a appelé le renversement copernicien [5] de la pensée. La vérité sur le monde sublunaire, au lieu d’être objet de révélation et de foi est devenue une conquête de l’homme raisonnable. De même que par l’observation la terre n’était plus au centre du monde, de même Dieu n’était plus au centre du monde. C’est à partir de l’homme que la réalité est comprise, quitte à poser Dieu au bout du raisonnement. On a ici complètement changé de paradigme !
Les conséquences de cette nouvelle approche furent très nombreuses. Notamment au regard de l’accélération de la recherche scientifique. Mais au moins aussi importantes furent les conséquences philosophiques, théologiques et anthropologiques.
Ce bouleversement dans l’approche intellectuelle de la compréhension qu’a l’homme de lui-même est d’une importance capitale dans la façon dont il comprend aujourd’hui sa dignité.
Chez Descartes, la dignité d’un homme sera d’aller jusqu’au bout de son autonomie intellectuelle, jusqu’au bout de ses idées. Ceci engendrera la première conception de la tolérance dont il est question à la fin de ce travail.
V. Kant : une dignité absolue.
Emmanuel Kant (1724-1804), reconnaît bien volontiers que dans un premier temps, la dignité désigne un statut honorable, qu’autrui doit reconnaître et qui impose certaines attitudes cohérentes avec la charge. C’est le premier niveau de compréhension : celui d’une charge acquise.
Cependant, chez Kant demeure cependant un souci fondamental pour la morale : élaborer une morale valable pour tous, en toutes circonstances et donc vraiment universelle. Pour la trouver, il va partir de ce qui est commun à tous les hommes et qui ne dépend d’aucune contingence : la raison. A l’aide de cette raison il va construire des principes qui sont d’ailleurs encore très utilisés aujourd’hui.
Ce que Kant trouve bon dans la nature humaine, c’est la capacité que l’homme a de s’imposer à lui-même une contrainte morale, une loi, bref ! d’être autonome. Sa dignité est de respecter la loi qu’il s’est donné. Le mal consiste à déroger à cette règle et manifeste par là un manquement au respect de soi que l’on s’était donné.
A. La personne n’est jamais réductible à un simple moyen
Une des conséquences de cette approche à propos de la dignité de tous les hommes se trouve exprimée dans son fameux impératif pratique.
Impératif pratique : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ».
Ne pas voir, ne pas réduire quelqu’un à un simple moyen est extrêmement difficile. Il s’agit en définitive de se demander à chaque fois que je demande un service à quelqu’un, si je lui permets concrètement de s’accomplir comme personne digne à travers le service que je lui demande.
Par exemple, si vous souhaitez « embaucher » une religieuse pour un service diocésain, une aumônerie, une tâche pastorale, il importe au plus haut point de vérifier dans ses constitutions si parmi les intuitions fortes de la congrégation, il y a le souci des pauvres ou de l’éducation des jeunes ou encore de l’accompagnement spirituel et de la retraite, … Oublier cela, c’est prendre le risque de la mettre en porte à faux avec sa vocation et donc sa dignité.
B. Respecter sa propre dignité conduit à respecter la dignité d’autrui
Le second impératif, qui arrive en premier dans la pensée de Kant, est peut-être encore plus connu que le précédent. Il s’agit des lois universelles, qui valent pour tous.
L’impératif catégorique : Il n’y a donc qu’un seul impératif catégorique, et c’est celui-ci : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.
Mais afin d’être respecté dans mon autonomie, l’homme doit respecter l’autonomie d’autrui. Autrement dit, la valeur morale que Kant appelle dignité doit être attribuée à tous les agents moraux, y compris ceux que leurs actions en rendent indignes. Il en va de ma propre dignité.
Dois-je rappeler que l’Evangile ne dit rien d’autre. Il suffit de se reporter à ce qui est connu sous le nom de la règle d’or dans sa version positive ou négative : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent » par exemple.
VI. Le XX° siècle à la recherche de la dignité humaine
L’expérience des camps de concentration a été l’occasion d’un véritable choc pour l’humanité et en particulier pour tous ceux qui avaient mis leur espoir dans la grandeur de la raison humaine. Voilà que l’on découvre que la raison humaine peut être au service de la destruction organisée, méthodiquement planifiée de millions de personnes.
A. Jacques Sommet et l’honneur de la liberté.
Dans son ouvrage, L’honneur de la liberté, Jacques Sommet raconte quelles furent les attitudes des chrétiens et des communistes à l’intérieur du camp de concentration de Dachau. En particulier, quelle attitude avoir à l’égard des malades dans les camps de concentration ? Fallait-il privilégier la dignité de la cause ou la dignité de l’homme malade et de l’homme en bonne santé ? Nous retrouvons là la classique tension entre le bien commun et le bien individuel. Les chrétiens se sont toujours refusés à les opposer.
C’est là qu’il rencontre Edmond Michelet [6] et qu’il se passe l’histoire suivante et qui est très révélatrice du sens de la dignité humaine selon que l’on est communiste ou chrétien.
Déporté à Dachau par la Gestapo, Michelet et les chrétiens étaient très organisés pour survivre. Tout comme les communistes d’ailleurs. Ce sont les deux groupes qui ont le mieux résisté à la violence des camps.
Michelet, Sommet et les autres chrétiens, avaient organisé une forme de solidarité avec les malades du Typhus. La Gestapo avait isolé les malades contagieux dans une baraque, un mouroir à l’intérieur des camps de la mort. Les conditions sanitaires étaient si précaires pour ne pas dire nulles que les chances d’en réchapper étaient inexistantes. Mais quelques chrétiens, dont Michelet, se sont portés volontaires pour se mettre au service des malades. Quitte à en mourir. Les communistes, quant à eux, considérant la cause qu’ils défendaient plus importante que la vie de leurs camarades, ont décidé de ne pas les accompagner par des valides. Michelet, contracta le typhus mais la libération du camp par les alliés lui permit d’en réchapper et de mener la vie politique qu’on lui connaît.
Les deux attitudes choisies par les communistes et les chrétiens révèlent un sens profondément différend de la dignité humaine. On ne peut construire le bonheur de la majorité sur la ruine de quelques uns (voir la mentalité utilitariste).
B. Les diverses déclarations des droits de l’homme
Il y a eu tellement d’horreurs pendant la seconde guerre mondiale que la communauté internationale, dès qu’elle a réformé la Société des Nations en Organisation des Nations Unies, s’est doté d’une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sous l’auspice de laquelle elle a placé toute son action. D’autres déclarations et conventions sont venues compléter ce premier dispositif fondamental.
Pourquoi s’intéresser aux trois déclarations universelles que je vais évoquer ? Tout simplement parce que dans ces textes internationaux c’est sur le concept de dignité humaine que reposent tous les droits de l’homme. Mais voyons encore en quels termes cette dignité est exprimée :
1. La déclaration universelle des droits de l’homme (1948).
Lisons rapidement quelques éléments du préambule : (…)
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.
(…)
Nous pouvons faire quelques remarques :
- Le concept de dignité se comprend comme un concept de nature, inhérent à tous les membres de la nature humaine.
- Le concept de dignité se comprend principalement à travers ce qui l’offense ou le blesse plutôt que de manière positive. N’oublions pas que nous sommes juste après la seconde guerre mondiale qui a vu plus d’horreurs qu’aucune autre époque de la vie humaine connue.
- L’oppression injuste de l’homme engendre révolte et guerre.
- Cette dignité commune à tous les hommes entraîne dans son sillage l’article premier qui est célèbre entre tous : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Il est de la plus haute importance de noter que cette égale dignité entre tous les êtres humains n’engendre pas que des droits mais aussi un devoir d’action. Autrement dit se reconnaître une dignité oblige chacun envers les autres. Notons aussi l’esprit de fraternité auquel les français seront très sensibles. En effet, notre devise nationale, à l’origine, était liberté et égalité. Mais rapidement lui fut adjoint ce terme de fraternité qui est le seul chemin pour gérer l’inévitable conflit qui proviendrait de l’affrontement entre les deux forces égales que sont la liberté et l’égalité. La fraternité, c’est le lieu de la vertu qui supplée à tout ce que les lois ne peuvent prévoir. La fraternité est le jeu qui permet à deux pièces de coulisser sans s’échauffer, sans se bloquer. Sans la vertu de fraternité qui s’incarne essentiellement dans les associations, nos sociétés seraient froides et tristes.
Bref ! Il en va de la dignité de l’homme d’être fraternel. Le concept de dignité que l’on étoffe ici de sa dimension fraternelle montre que la dignité humaine n’est pas que statique mais qu’il oblige à l’action. Il est indigne celui qui ne se soucie pas de son frère humain.
Notons néanmoins une difficulté : c’est la seule description « positive » qui est donnée de l’homme. Les êtres humains sont doués de raison et de conscience (…). Qu’en est-il pour les êtres humains qui semblent ne pas avoir de raison (les débiles mentaux ou les déficients intellectuels, les bébés, les enfants à naître, les vieillards séniles, les malades comateux, … ?
2. La convention internationale des droits de l’enfant (1989).
Cette convention s’inscrit explicitement dans le cadre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, laquelle rappelait déjà dans son texte que « l’enfance a droit à une aide et une assistance spéciale » (Art. 25).
Je retiens trois choses dans cette convention :
Préambule : « L’enfant en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protections spéciale et de sois spéciaux, notamment d’une protection appropriée, avant, comme après la naissance ».
Art. 1 : « Un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable. »
Art. 34 : Les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher : (a) que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale ; (b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales ; (c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique.
Il est très intéressant de noter que nous avons là une partie de la réponse aux questions posées juste avant. L’enfant a une dignité dès avant sa naissance ! On lui doit une protection. Cette protection s’étend à toute les dimensions de sa vie (éducation, santé, …) et aussi à l’égard de toute forme d’atteinte et d’exploitation sexuelle. Ce qui laisse entendre combien la sexualité est une dimension intégrante de la dignité de la personne.
3. La déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme (1997).
Il fallait me semble-t-il aussi s’intéresser à cette déclaration parce que aujourd’hui, nous pourrions nous demander s’il est possible de définir la nature humaine par son génome, le nombre de chromosomes (les 23 paires), ou la pureté génétique. On pourrait alors craindre un grand risque d’eugénisme, c’est-à-dire de sélection des hommes en fonction de leurs gênes, voire de leur sexe, …
Outre le préambule qui reprend à son compte la déclaration universelle des droits de l’homme, il est clair que les quatre premiers articles sont plutôt rassurants :
Article premier
Le génome humain sous-tend l’unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine, ainsi que la reconnaissance de leur dignité intrinsèque et de leur diversité. Dans un sens symbolique, il est le patrimoine de l’humanité.
Article 2
a) Chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques.
b) Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et leur diversité.
Article 3
Le génome humain, par nature évolutif, est sujet à des mutations. Il renferme des potentialités qui s’expriment différemment selon l’environnement naturel et social de chaque individu, en ce qui concerne notamment l’état de santé, les conditions de vie, la nutrition et l’éducation.
Article 4
Le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires.
Notons tout particulièrement que l’article 2 alinéa b stipule que l’on ne peut réduire un être humain à ses caractéristiques génétiques. Autrement dit, le concept de dignité humaine est plus englobant que le génome qui est pourtant un patrimoine symbolique de l’humanité. C’est très fondamental.
Par ailleurs, dans la division des êtres, selon le droit, il y a les personnes et les choses. Les choses se vendent. Les êtres non. En refusant au génome la possibilité d’être l’objet de gains pécuniaires, les signataires de la déclaration lui ont donné une dimension qui dépasse la simple nature d’objet parce que sans doute qu’il touche de trop près au mystère du vivant.
4. Conclusion partielle.
Il me semble que l’on peut dire à partir de ces grands textes internationaux qui font référence, mêmes si tous les états ne l’ont pas signés, que le concept de dignité de la personne est non seulement thématique (on en parle) mais aussi extrêmement opératoire pour décrire tant ce qui abîme l’homme que ce qui le promeut.
On ne peut plus penser la nature de la personne humaine en dehors de ce concept de dignité. Cette dignité est bien la nature innée de l’homme, propre à son existence. Elle n’est donc pas objet de conquête ! « Tous les êtres humains naissent libres et égaux (…) ».
VII. Une nature toujours à reconquérir : « Ni pute, ni soumise ».
Et pourtant, cette reconnaissance de la dignité naturelle et innée de toute personne humaine est toujours à reconquérir. Le collectif « ni pute ni soumise » [7] organisée par des femmes de la banlieue parisienne est très significatif de la fragilité de la réception concrète de cette dignité humaine reconnue à tous et à toutes.
De plus, le nom du collectif est aussi très significatif de l’option de l’approche de leur dignité par ce qui l’offense. Ni pute, ni soumise.
Le manifeste de leur appel est d’ailleurs très intéressant. Je cite : « Nous affirmons ici réunies pour les premiers « Etats Généraux des femmes des Quartiers », notre volonté de conquérir nos droits, notre liberté, notre féminité. Nous refusons d’être contraintes au faux choix, d’être soumises au carcan des traditions ou vendre notre corps à la société marchande. »
VIII. Le respect et la tolérance : deux attitudes qui révèlent notre sens de la dignité de toute personne humaine.
Si j’ai voulu m’intéresser aux concepts de respect et de tolérance, c’est parce qu’ils sont très utilisés dans les problématiques qui touchent à la dignité de l’homme. Ils en sont comme les harmoniques. Il reste que leur usage est parfois dévoyé ou encore s’appuie plus ou moins consciemment sur des approches philosophiques que nous avons plus haut.
A. Le respect :
Vous souvenez-vous de la campagne pour le respect dans l’école [8] qui a été lancée il y a un an et demi. Il s’agissait en définitive de permettre un certain changement des mentalités à travers l’usage d’un mot usité dans les banlieues et marqué d’une valeur positive.
Le boxeur Brahim Asloum et d’autres personnalités susceptibles d’être positivement reçues dans l’univers des banlieues ont été sollicités pour dire comment la notion de respect leur permettait de mener à bien leur carrière. Au respect était associé la réussite sociale. L’objectif de cette campagne visait, entre autres choses, une diminution des agressions sur les élèves et entre élèves des agressions à caractères sexistes ou d’ordre de violence sexuelle.
Mais qu’y a-t-il derrière ce concept de respect ?
1. Travail philosophique
Le concept de respect [9] bénéficie lui aussi d’une longue histoire philosophique liée directement à celui de la dignité. Comme tout concept, les significations du mot se sont entassées les unes sur les autres un peu comme des couches sédimentées. Il faut bien noter, qu’une couche ne remplace pas l’autre mais s’y ajoute. Ainsi, un concept riche d’histoire comme celui de respect, véhicule plusieurs significations en même temps. C’est ce qui fait sa force, sa richesse mais aussi la cause de la difficulté de son emploi. En effet, si tel parle à tel niveau de signification, tel autre l’entendra sur un autre niveau. D’où l’extrême difficulté de communiquer.
Chez les grecs
Selon le mythe évoqué par Platon dans le Protagoras, Zeus demande à Hermès de promulguer sa loi : « Que celui qui se montre incapable de participer au respect et à la justice soit mis à mort, comme une maladie au cœur de la cité ». Les grecs avaient la conviction qu’il ne pouvait y avoir de vie commune et donc de cité qui dure et se développe sans l’inscription au cœur de la cité de valeurs plus fortes que les lois positives que les hommes se donneraient. Donné par les dieux, le sens du respect (?????) et de la justice (????) relève de la loi naturelle et n’est donc pas une option.
Un rapport au temps.
Le terme de respect, comme je le disais, est connoté plutôt positivement. Or il entretient un rapport au temps qui n’est pas familier à notre société moderne. Nous sommes dans une société qui valorise, survalorise devrais-je dire, le présent, l’instant. Nous sommes dans une société de consommation où l’on peut tout acheter à crédit, où l’on développe l’achat pulsionnel, irréfléchi. (Lorsque ce rapport au temps est associé aux pulsions sexuelles, vous voyez ce que cela peut développer chez les personnes les moins équilibrées).
Le mot respect vient du latin : respicere qui signifie regarder derrière soi, garder les yeux fixés sur ce qui précède, sur ce qui assure de la stabilité, ce envers quoi avoir égard, ce sur quoi pouvoir compter, ce envers quoi on peut avoir recours, … Respecter suppose implicitement que l’on est précédé par quelque chose, quelqu’un qui a de la valeur en soi et qui nous précède et vis-à-vis desquels le respect s’impose. Bref ! Intégrer le sens profond d’un mot comme respect n’est pas chose évidente lorsque seul le présent compte.
Chez les anciens, ce qui était à respecter était à l’extérieur de soi. Mais celui qui le faisait, devenait par là digne et respectable aux yeux des autres.
Avec le temps, avec l’apparition de la modernité cartésienne, le respect ne se pense plus à partir de son objet mais à partir du sujet se reconnaissant lui-même comme instance fondatrice. C’est l’estime de soi-même qui rend capable de respecter et d’être juste ou de rendre la justice. Pour Descartes, la seule chose qui permette de s’estimer lui-même, c’est sa capacité à mettre en œuvre sa volonté, et de ne pas faillir à l’instant qui vient. C’est-à-dire, être fidèle à ses idées et les suivre jusqu’au bout, c’est cela qui est le plus estimable, le plus digne de son humanité. Cette position à un risque : celui d’un certain subjectivisme. Être autonome suffit-il à dire que je suis respectable ? Vous sentez ici les risques que devra affronter l’éthique médicale lorsqu’elle devra considérer des patients qui n’ont plus aucune autonomie et aucune conscience.
Kant va faire évoluer cette position un peu arbitraire pour dire que ce n’est pas suffisant de persévérer jusqu’au bout dans ses idées. Il faut encore que la volonté s’applique à la loi universelle. Ce sera le respect pour la loi universelle, qui s’impose donc à tous, qui va engendrer le respect pour nous-mêmes. D’une certaine manière, c’est chez Kant que l’on perçoit le mieux que le respect n’a rien à voir avec l’amour, l’amitié ou des sentiments de quelque sorte que ce soi. Si la loi est universelle, il faut que je l’accomplisse, que je la respecte, qu’elle me plaise ou non. Si je fais cela, alors « ma capacité de respecter la loi devient elle-même objet du plus grand respect et révèle ma dignité ».
Les XIX° et XX° siècles vont résister à l’approche kantienne pour déplacer le respect kantien à l’égard de la loi vers la personne elle-même. « Le respect n’est pas abstrait, il s’adresse nécessairement à quelque chose, à quelqu’un, au mystère personnel à la fois attirant et repoussant qui fait l’inviolabilité de la personne ». Par voie de conséquence, avec Lévinas, le respect sera à la fois « responsabilité pour autrui et allégeance à autrui ».
2. Retour sur la campagne pour le respect.
On comprend alors combien l’appel au concept du respect pour renouveler la vie à l’école est pertinent du moins si on ne le réduit pas à sa période cartésienne et si on se saisit de l’ensemble des significations qui lestent ce concept.
Respecter, c’est tout en même temps
- être tourné vers autrui et vouloir son autonomie de telle sorte qu’il veuille la mienne ;
- être capable de le faire, c’est-à-dire avoir du respect pour soi-même et une certaine autonomie ;
Evidemment, il y a là une dialectique subtile entre ces deux attitudes qui s’appellent l’une l’autre et qui se réalisent l’une par l’autre.
Mais nous sommes très proches de la règle évangélique bien connue : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le vous aussi pour eux ».
3. La question de l’irrespect
De tout temps, il a existé des instances irrespectueuses. Le théâtre grec et ses tragédies ; les bouffons et les comédiens ont toujours joué le rôle de poil à gratter des institutions qui, par nature, ont une tendance conservatrice et attendent d’être préservées et respectées. Mais le bouffon se doit de revenir dans le rang après avoir fait son office. Institutionnellement, il représente l’instance autocritique de la société, promue et encadrée par elle.
Cependant, la dérision et l’ironie n’ont de sens que si elles demeurent enracinées dans leur fonction. Déconnectées de leurs racines institutionnelles, ils deviennent les symptômes de désillusions et de consciences blessées, désabusées qui peuvent être particulièrement violentes et subversives.
Ainsi, vous pouvez rencontrer des personnes, des jeunes amers et violents contre tout ce qui représente la société ou l’Église parce que celles-ci ont couvert, contre toute justice, ce qui est indigne ou n’ont pas, par leur passivité, permis à ces populations d’accéder à ce qui leur était pourtant promis. Parce que eux-mêmes ne se sont pas senti respectés, cela peut parfois déboucher alors sur un manque de respect de toutes les institutions ou alors un manque de respect de soi-même avec des courses à la mort par des prises de risques inconsidérées dans des conduites sexuelles désordonnées, des conduites sur route à « tombeau ouvert », des exactions de toutes sortes.
B. La tolérance
La tolérance [10] est un concept aussi pluriforme. Souvent invoquée à tord et à travers, son usage a pu agacer un certain nombre d’entre nous. Je connais trois usages de ce concept qui permettent aussi de révéler plus ou moins notre sens de la dignité humaine.
Le premier usage est laxiste. Il consiste à dire que tout est possible ou presque, qu’il faut tolérer les choix de chacun au seul fait que c’est leur choix même si dans ce choix, il se perdent ou s’abîment. Ce type de tolérance renvoie à un concept sous-jacent de dignité qui est relève de l’autonomie. Respecter quelqu’un, c’est le laisser mener sa vie comme il l’entend. C’est cela qui est bien. Le bien porte sur le fait qu’il a choisi son mode de vie et non sur le mode de vie choisi. A mon sens, il est difficile de soutenir une telle approche qui permet assez facilement de soutenir que chacun fait ce qu’il veut et que du moment qu’il l’a voulu, c’est bien.
Le second usage du concept de tolérance consiste à dire qu’il est tolérable dans une famille ou dans un état que des approches différentes, voire incompatibles entre elles coexistent pourtant. Ainsi deux avis politiques différents entre l’homme et la femme dans un couple marié ; des religions différentes dans un même état. L’Edit de Tolérance [11] de Louis XVI en est un exemple significatif. Ici, une option politique ou religieuse est le signe de la dignité des personnes mais la capacité de la coexistence de ces options révèlent aussi la dignité et des personnes qui y consentent et des états et institutions qui l’encadrent et l’organisent pourvu que les dites institutions ne soient pas détruites par les choix politiques et religieux des personnes.
Le troisième usage consiste à dire qu’il est tolérable que quelqu’un se fourvoie dans la conduite de sa vie et même qu’il est moralement bon de permettre des choses moralement mauvaises pour peu que cela en reste à un niveau individuel et que cela ne nuise pas à la vie du groupe. C’est un pari au niveau philosophique que l’on retrouve dans les évangiles dans la parabole du bon grain et de l’ivraie. Cela procède de la conviction que l’adhésion au vrai ne peut se faire par aucune pression. Dans ce cas là, il ne s’agit pas de dire que tout est bien. Les repères sont conservés. La dignité ici révélée inclut la perception qu’en tout homme existe une capacité à progresser grâce à sa conscience. La conscience dont on peut ici dire rapidement qu’elle est le goût pour le bien, la force de la volonté pour le mettre en œuvre et la capacité de jugement pour vérifier si c’est bien cela que l’on a fait.
Bref ! « La tolérance est donc rendue nécessaire par la diversité des individus et par l’intérêt qu’ils ont à développer leur autonomie ».
IX. Conclusion :
Pour me résumer, la dignité de la personne était au début de l’histoire de notre civilisation objet de conquête. Puis petit à petit, grâce peut-être au travail de la religion chrétienne, la dignité est devenue un attribut de tout être humain puisque Dieu veut faire de chacun de nous ses enfants adoptifs. Le concept de dignité humaine est passé du résultat d’une conquête à l’état de nature, puis à une dignité perdue et reconquise par le Créateur.
C’est alors que l’on s’est aperçu combien cet état naturel de la dignité humaine pouvait être bafoué et, hélas, de manière infinie.
Dès lors, la dignité est toujours à réaffirmer et par là elle est toujours à reconquérir. Il est, en effet, plus facile d’oublier la dignité d’autrui que de l’accueillir y compris au sein d’une vie différente, fragile, pauvre voire criminelle. Mais il en va de notre dignité même de maintenir notre vigilance, c’en est même un devoir, pour admettre, qu’en définitive, par delà toutes les actions humaines et tous les patrimoines génétiques, tout homme est mon frère.
Bibliographie
Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Nations Unies, 1989.
- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Nations Unies, 10 décembre 1948.
- Déclaration Universelle sur le Génome Humain et les Droits de l’Homme, UNESCO, 11 novembre 1997.
- HILL Thomas E. Jr, « Dignité » in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1997.
- KIRSCHER Gilbert, « Respect » in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1997.
- LANGLOIS Anne, « Dignité humaine », in Nouvelle encyclopédie de bioéthique, DeBoeck Université, Bruxelles, 2001.
- LEBECH A.M.M., « Clarification of the notion of dignity » in The dignity of the dying person, Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 2000, p. 441-455.
- SEUX M.-Joseph et alii, « La création et le déluge d’après les textes du Proche-Orient ancien », Supplément au Cahier Evangile N° 64, 1988.
[1] Cf. « La création et le déluge d’après les textes du Proche-Orient ancien » textes présentés par Marie-Joseph SEUX et alii, Supplément au Cahier Evangile N° 64, 1988
[2] Ibid, le N° 11 p. 35.
[3] JEAN- PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio, N°11.
[4] Cf. LEBECH A.M.M., « Clarification of the notion of dignity » in The dignity of the dying person, Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 2000, p. 453.
[5] COPERNIC Nicolas, 1473-1543. Sa théorie sur le mouvement des planètes l’a fait passer du géocentrisme (le soleil qui tourne autour de la terre) à l’héliocentrisme (la terre qui tourne autour du soleil) a longtemps été rejetée par l’Église parce qu’elle mettait en crise le statut de l’Écriture. La Bible – Parole de Dieu, était-elle non seulement un livre de foi mais aussi un livre de science, d’histoire, … Il faudra des siècles pour y voir plus clair.
[6] Né le 8 octobre 1889 à Paris et engagé volontaire en janvier 1918, il préside l’Association catholique de la jeunesse catholique (ACJF) du Béarn (1922-1925) puis adhère aux Équipes sociales. Résistant dès juin 1940, il constitue le mouvement Liberté, qui participe à la création de Combat en 1941. Chef régional des Mouvements unis de la résistance (MUR) en 1942, arrêté par la Gestapo en février 1943, il est déporté à Dachau. Il est membre de l’Assemblée consultative provisoire, ministre des Armées (novembre 1945-janvier 1946), il est député MRP de Corrèze. Adhèrent du RPF, il est exclu du MRP, puis membre du Conseil de direction du RPF (1949-1953). Battu aux législatives, il est sénateur de la Seine (1952-1959), et sera à la tête de tous les partis gaullistes du RPF à l’UNR-UDT. Il est successivement ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre (1958), puis ministre de la Justice (1959-1961). Membre du Conseil constitutionnel, il succède à André Malraux en 1969 sous la présidence de Pompidou, comme ministre des Affaires culturelles, jusqu’à son décès à Marsillac (Corrèze) le 9 octobre 1970.
[7] « Ni pute, ni soumise », un collectif des femmes des banlieues de la Région Parisienne qui s’est organisé dans le dernier trimestre 2002.
[8] Campagne lancée le 10 octobre 2001 par le ministère de l’Education nationale, sur le thème : " Le respect, ça change l’école. " Avec un parrain - Daniel Costantini, ancien entraîneur de l’équipe de France de handball - et des promoteurs populaires de choix : Lââm, chanteuse, Daniel Pennac, écrivain, Brahim Asloum, champion de boxe, Frédéric Diefentahl et Mouss Diouf, acteurs.
[9] Cf. Gilbert KIRSCHER, « Respect » in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1997. Tout le chapitre est directement inspiré de son travail.
[10] Cf. Suzan MENDUS, « Tolérance » in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1997.
[11] Edit de Versailles dit de Tolérance du 7 novembre 1787 par Louis XVI.
Évêque de Séez, ancien équipier de PSN.
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