L’homosexualité : qu’en dit l’Église ?

L’opinion publique, après avoir brocardé l’homosexualité, tend aujourd’hui à en faire une autre manière de vivre la sexualité. Refusant de s’affronter à la différence sexuelle, l’homosexualité est une déviation objectivement grave. Souvent victimes de leur éducation ou du milieu où elles ont vécu, les personnes homosexuelles doivent être reçues et accueillies avec respect, mais dans la vérité. On doit les aider à dépasser leur déviation et à en porter les souffrances. Il ne faut d’ailleurs pas confondre les tendances homosexuelles, qui peuvent être vécues dans une chasteté parfois difficile, avec les actes homosexuels. Mais une société qui prétend reconnaître l’homosexualité comme une chose normale est elle-même malade de ses confusions.
Les évêques de France, Catéchisme pour adultes, 1991, n° 607

Cet enseignement fait suite à une "Lettre aux évêques de l’Eglise Catholique sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles" émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et datée de 1986. Il est repris dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique aux n° 2357 à 2359 ainsi que dans une note du cardinal Basil HUME, archevêque de Westminster, publiée [1] en 1995.

Quatre affirmations méritent attention :

1. Il n’y a pas une homosexualité, mais des homosexualités dont la signification est sans doute différente d’un cas à l’autre !

Le paragraphe 607 du catéchisme pour adultes des évêques de France porte d’ailleurs pour titres : "Homosexualités"... au pluriel ! Quant au catéchisme de l’Eglise Catholique, il note que l’homosexualité "revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. [n° 2357]

Comme celui porté par la société, le regard porté par l’Eglise sur les personnes homosexuelles a changé avec le temps, notamment en raison des récents apports des sciences humaines et de la réflexion de théologiens moralistes [Thèse de Xavier THÉVENOT sur "Homosexualités masculines et morale chrétienne" publiée en 1985]. Découvrant l’ambivalence des désirs et des fixations possibles à certains stades du développement psychique et affectif de la personnalité, au cours de l’enfance et de l’adolescence notamment, ou encore la part de compulsivité qui affecte certaines pratiques homosexuelles, le moraliste devra affiner son jugement sur une réalité aussi complexe, qui ne peut plus simplement se réduire à du vice.

2. Une distinction s’impose entre les tendances et les actes.

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique en prend acte : "Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières. Ils ne choisissent pas leur condition homosexuelle ; elle constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste." [n° 2358]

Autre est le jugement à porter sur les actes homosexuels : "S’appuyant sur la Sainte Ecriture, qui les présente comme des dépravations graves, la tradition a toujours déclaré que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas." [n° 2357]

Sans doute faut-il avoir ici en mémoire les précisions apportées par le cardinal HUME : « L’orientation ou l’inclination particulière de la personne homosexuelle n’est pas une faute morale. L’inclination n’est pas un péché. Une inclination vers des actes contraires à la doctrine de l’Eglise a été, cependant, décrite comme ’’désordonnée’’. »

Le mot "désordonné" résonne durement. Il suggère de prime abord une situation peccamineuse, ou du moins implique un rabaissement de la personne, voire une maladie. Il ne doit pas être interprété ainsi. Tout d’abord, il s’agit d’un terme appartenant au vocabulaire de la théologie et de la philosophie morale traditionnelle dans le catholicisme. Il est employé pour décrire une inclination qui s’écarte de ce qui est généralement regardé comme la norme. La norme consiste en une inclination vers une relation sexuelle avec une personne du sexe opposé et non entre personnes du même sexe. Etre une personne homosexuelle n’est donc ni moralement bon, ni moralement mauvais : ce sont les actes génitaux homosexuels qui sont moralement mauvais. [n° 7]

En somme, si nul n’est responsable des tendances qui l’habitent et de toutes les limites qui structurent sa personnalité, il est en revanche responsable de la manière dont il les gère. "De toute façon, on doit éviter la supposition, injustifiée et dégradante, que le comportement homosexuel des personnes homosexuelles est toujours et absolument compulsif, et dès lors irresponsable. En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière." [Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 1er octobre 1986, n° 11]

3. La personne homosexuelle ne peut pas être enfermée dans son homosexualité !

Réduire une personne au point de la définir par sa seule éventuelle tendance homosexuelle est aussi injuste que peu évangélique. L’existence, chez telle ou telle personne, d’une déviation ou d’un blocage malheureux empêchant d’assumer pleinement la différence sexuelle, ne doit pas occulter toutes ses richesses et vertus. Les profondes ambiguïtés des amitiés homosexuelles elles-mêmes ne doivent pas nous conduire à nier pour autant les authentiques valeurs dont elles peuvent être porteuses.

"Lorsque l’Eglise parle de l’inclination vers l’homosexualité comme étant ’’un désordre objectif’’, elle ne peut penser qu’à l’inclination vers des actes génitaux homosexuels. L’Eglise ne regarde donc pas la totalité de la personnalité et du caractère de l’individu comme étant désordonnée par le fait même. Les homosexuels, de même que les hétérosexuels, peuvent faire preuve, et souvent le font, de beaux exemples d’amitié et d’amour chaste." [Cardinal Basil HUME, texte déjà cité, n° 7]

Jamais d’ailleurs, dans l’évangile, on ne voit Jésus enfermer les gens dans ce qui est tordu dans leur vie, même s’il est trop lucide pour l’ignorer. Il n’y a qu’à relire les rencontres avec Zachée, la Samaritaine et tant d’autres !

4. Raison et Ecriture se rejoignent cependant pour désigner l’homosexualité, non pas comme une expression parmi d’autres de la sexualité, mais comme une régression qui ne saurait être ni légitimée, ni a fortiori valorisée !

Il faudrait ici relire les fines analyses de X. THÉVENOT [2], fortement inspirées des écoles freudienne et lacanienne de la psychanalyse. Pour acquérir son autonomie et croître en humanité, l’enfant doit peu à peu se différencier du monde fusionnel qu’il forme avec son origine. Par le long apprentissage de la socialisation, il va découvrir des différences structurantes pour sa propre identité : différence des sexes, différence des générations (cf. l’interdit universel de l’inceste). Au fur et à mesure de ces découvertes, ses pulsions sexuelles évolueront et se déplaceront vers d’autres "objets" que son propre corps. Sa capacité relationnelle d’homme ou de femme adulte dépendra, à terme, de la manière dont il aura intégré ces grandes différences et dont il saura résister à la tentation du retour au fusionnel, à la réduction de l’autre au même.

Dans cette perspective, l’homosexualité, comme déni de ce "roc anthropologique" qu’est la différence sexuelle, constitue un triste blocage à un stade archaïque du développement psychique et sexuel, plutôt qu’une alternative intéressante à l’hétérosexualité.

D’ailleurs, affirmer que toutes les pratiques sexuelles se valent en revendiquant notamment pour les couples homosexuels un même statut social que les couples hétérosexuels, n’est-ce pas précisément proposer à notre société de s’installer dans le fusionnel et l’indifférencié ? N’est-ce pas en outre une étonnante contradiction que celle qui consiste, au nom du droit à la différence des personnes homosexuelles, à dénier à la société le droit de respecter la différence qui est au fondement même de l’institution matrimoniale, à savoir la différence sexuelle ? Fortement confortés par les enseignements de l’Ecriture et de la tradition, les chrétiens flairent davantage ici une dangereuse régression sociale qu’une authentique libération humaine.

Plus encore que l’épisode de Sodome [Gn 19:1-29] qui parle davantage de désirs de viol homosexuel que d’homosexualité en général, la ferme condamnation des actes homosexuels par le Lévitique [Lv 19:22 et Lv 20:13] mérite attention. La vigueur de la condamnation tient non seulement à l’idolâtrie dont ils seraient l’une des manifestations, mais plus encore, semble-t-il, à leur structure anti-créationnelle : "Il semble que l’homosexualité fait partie de tous ces actes qui ne respectent pas les vraies différences et qui risquent de semer la confusion dans une création que Dieu a pourtant ordonnée et hiérarchisée. Ainsi Lv 19:19 demande de ne pas accoupler deux espèces différentes de bétail, de ne pas semer dans un même champ deux semences différentes, de ne pas porter de vêtement en étoffe hybride. De même Lv 18 demande, semble-t-il, que l’on ne sème pas la confusion par des relations sexuelles avec quelqu’un de la parenté car les parents sont de la même chair. Si toutes les unions sont permises, les différences n’apparaissent plus, différences entre parents et enfants (inceste), différences entre l’homme et la femme (homosexualité), différence entre l’animal et l’homme (bestialité). C’est en ce sens que l’homosexualité apparaît comme une ’abomination’. Elle est anti-créationnelle dans sa structure, puisqu’elle estomperait les séparations que Dieu a mises dans le chaos originel [Gn 1]." [3]

Le Nouveau Testament prolonge cet enseignement : la pratique homosexuelle, pourtant fort répandue à l’époque dans certaines villes portuaires comme Corinthe, y est perçue comme un désordre manifeste dans la création [Rm 1:24-27 ; 1 Co 6:9-10 ; 1 Tm 1:10].

[1Cardinal George Basil HUME : "L’enseignement de l’Eglise catholique concernant les homosexuels", La Documentation Catholique no. 2115, 7 mai 1995

[2Xavier THÉVENOT : "Repères éthiques pour un monde nouveau", Mulhouse, Salvator, 1983, pages 44-52

[3Xavier THÉVENOT : "Homosexualités masculines et morale chrétienne", Paris, Cerf, 1985, pages 222-223

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Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 30/11/1995
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