Pour lire le Nouveau Testament
Sept remarques préliminaires
1. Un texte ancien qui nécessite un effort d’intelligence
Cet effort s’appelle l’exégèse (du grec exegesis=explication). Les 27 livres qui forment le Nouveau Testament (du latin testamentum = alliance) sont de longueur et de genre littéraire très variés. Ils ont été écrits en un laps de temps relativement court (une quarantaine d’années seulement séparent les lettres de Paul aux Thessaloniciens, écrites à Corinthe en 51, du livre de l’Apocalypse, écrit vers 95), mais dans des contextes culturels et politiques différents.
Entre le contexte de tel écrit du Nouveau Testament et le nôtre, les mêmes mots peuvent recouvrir des réalités très différentes. Comme pour tout texte ancien, il y a un effort à faire pour ne pas commettre de ridicules anachronismes !
Les 27 livres ont tous été écrits en grec. Devant une difficulté de compréhension d’un passage, il peut être intéressant de comparer avec d’autres traductions françaises... à défaut de pouvoir soi-même se reporter au texte grec. Les éditions récentes de la Bible (notamment la TOB=Traduction Œcuménique de la Bible) signalent en notes les quelques traductions possibles des passages qui font problème.
Par ailleurs, on n’attachera qu’une importance toute relative aux sous-titres qui ne font pas partie du texte biblique ainsi qu’aux divisions en chapitres et versets qui ne remontent qu’au 13e siècle pour la première et au 16e pour la seconde.
2. Un texte fiable qui résiste à l’examen critique
Même si nous n’avons pas accès aux textes originaux mais seulement à des copies, voire à des copies de copies, nous sommes, avec le Nouveau Testament, en présence d’un texte bien établi contre lequel il serait bien difficile d’évoquer le soupçon d’une falsification tardive.
Le plus ancien papyrus chrétien actuellement connu est le papyrus Ryland n° 3457 à Manchester. Daté de 125 après J.-C., il vient d’Egypte et atteste l’existence de l’Evangile de Jean dans la première moitié du 2e siècle en Egypte. Il n’y a donc pas 50 ans d’écart entre la date de rédaction de Jean et la date de ce fragment de papyrus... ce qui semble dérisoire par rapport aux quelques 1 300 ans qui séparent les nombreux dialogues de Platon des plus anciens manuscrits qui nous en sont parvenus ("seulement" 400 ans pour les poésies de Virgile, mais 1 600 ans pour les tragédies d’Euripide !). Puisque l’on fait confiance au texte de Platon tel qu’il nous est parvenu, combien plus peut-on faire confiance à celui des évangiles !
A cette donnée matérielle, ajoutons le profond respect que les chrétiens héritèrent des Juifs pour le texte sacré et ce critère d’authenticité que constitue la présence, dans le texte du Nouveau Testament, de nombreux passages choquants ou susceptibles d’une interprétation malveillante (par exemple ; ; ).
3. Un texte engagé, écrit par des croyants pour d’autres croyants
Malgré leur souci d’établir la solidité de leur témoignage (voir par exemple ), les évangiles ne nous livrent pas des faits bruts, mais des événements relus et médités dans la foi, avec un travail d’écriture qui intervient à distance des faits rapportés (l’évangile le plus ancien, celui de Marc, date vraisemblablement de peu avant 70). Typique à cet égard est la conclusion de l’évangile selon saint Jean : "Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom." ().
4. Des textes construits, qui ont chacun leur unité
Cette remarque ne vaut guère pour les écrits de circonstance que sont certaines épîtres (par exemple le court billet de Paul à Philémon), mais s’impose pour la plupart des livres du Nouveau Testament. Ce qui vaut pour n’importe quelle œuvre littéraire vaut pour chacun d’eux : on se condamne à ne rien comprendre - ou aux contresens les plus fantaisistes ! - si l’on isole un verset de son contexte immédiat et du propos général de son auteur.
Même les 3 évangiles dits "synoptiques" [1] ont des constructions et des visées théologiques différentes.
Ainsi Marc, qui écrit à Rome dans le contexte des persécutions de Néron, est l’inventeur d’un genre littéraire nouveau, l’évangile, proclamation de l’actualité du message de Jésus (beaucoup de verbes au présent dans son récit des faits et gestes de Jésus !).
Matthieu, qui s’adresse à des chrétiens d’origine juive, soulignera la continuité de la Nouvelle avec l’Ancienne Alliance (par exemple propre à cet évangile), quitte pour cela à présenter Jésus comme le nouveau Moïse.
Luc est le premier à nous offrir une théologie de l’histoire avec une œuvre en deux volumes : le premier, l’évangile, correspond à l’histoire de Jésus, tandis que le second, les Actes des Apôtres, évoque le temps de l’Eglise dans lequel l’Esprit Saint continue l’œuvre de Jésus.
Quant au quatrième évangile, même s’il ne dédaigne pas de nous donner des indications historiques de premier ordre, il se présente comme une grande méditation, écrite par le vieux saint Jean bien des années après les événements qu’il évoque. Cette méditation, l’évangéliste la met parfois sur les lèvres mêmes de Jésus par le procédé assez conventionnel de discours qu’il attribue au Maître. On n’y recherchera donc pas les notes sténographiques prises par les auditeurs de Jésus au moment même des faits dont il est question, mais la relecture croyante d’un long compagnonnage et le témoignage rendu, en milieu grec et au soir de sa vie, par l’un de ceux qui s’affirmèrent jusqu’au bout, et au péril de leur vie, témoins oculaires de Jésus Ressuscité (voir par exemple le prologue de la 1re lettre de saint Jean).
5. Un texte qui renvoie sans cesse à un autre texte !
Parce que la Nouvelle Alliance ne se comprend pas sans l’Ancienne, le Nouveau Testament ne se comprend pas sans l’Ancien ! Pour rendre compte en effet de l’incroyable nouveauté de Jésus, les premiers témoins, eux-mêmes juifs comme Jésus, ne disposaient pratiquement que des catégories de pensée, des modèles et des images fournies par les vieilles écritures juives. Pour intéressante que puisse être l’étude comparée des religions, spécialement celles qui circulaient au 1er siècle de notre ère sur le pourtour du bassin méditerranéen, c’est l’éclairage apporté par l’Ancien Testament qui est encore le plus fécond pour notre compréhension du Nouveau Testament.
S’il est donc vrai que c’est par la Bible que l’on comprend la Bible, on aura intérêt à se reporter aux passages de l’Ancien Testament signalés en marge des passages néotestamentaires examinés.
6. Un texte au service de la Parole !
La lecture chrétienne de la Bible s’inspire tout naturellement de la manière dont Jésus lui-même lit les Ecritures. Elle sera donc faite à la fois de respect pour cette expression normative de la volonté de Dieu (voir par exemple ou ) et de souveraine liberté à l’égard de la lettre d’un texte dont l’esprit compte davantage (voir par exemple la liberté que prend Jésus par rapport aux règles relatives au sabbat en ). Saint Paul développe cet aspect de la nouveauté chrétienne en de nombreuses occasions (par exemple ), soulignant que c’est désormais le Christ Jésus qui, dans sa personne, devient la clef d’interprétation de toutes les Ecritures.
Car c’est à tort que l’on parle du christianisme comme religion du Livre : au cœur de la foi chrétienne il y a, non pas un écrit, la Bible, mais Celui qui est le Verbe de Dieu, le Christ qui, seul, peut ouvrir les yeux de ses disciples à l’intelligence des Ecritures ( ; ). Ce qui fait le chrétien, ce n’est pas la connaissance ou l’assimilation d’un livre, fût-il inspiré, mais le lien personnel au Christ Ressuscité, capable de sauver même les illettrés ().
C’est donc avec l’humilité de celui qui, dans la prière, se remet face à son Seigneur, que le chrétien est invité à ouvrir le Nouveau Testament.
"C’est par-dessus tout l’Evangile qui m’entretient pendant mes oraisons ; en lui je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre âme. J’y découvre toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux."
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
7. Un texte lu en Eglise
Le Nouveau Testament est né dans l’Eglise, du besoin des communautés chrétiennes (rappel des faits et gestes du Seigneur qui risquaient de s’estomper dans la mémoire de l’Eglise avec la mort des témoins directs de la première génération, réponse à des questions posées concernant l’organisation des communautés, précisions rendues utiles à cause du risque d’hérésie... etc.). C’est encore l’Eglise qui fixa le canon (= la liste officielle des écrits bibliques considérés comme inspirés par Dieu) des Ecritures Saintes. C’est elle qui, aujourd’hui comme hier, me fait connaître le Christ et me donne à méditer sa parole. C’est donc elle qui en est l’interprète le plus sûr.
"Il appartient aux exégètes de s’efforcer, suivant ces règles, de pénétrer et d’exposer plus profondément le sens de la Sainte Ecriture, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement de l’Eglise. Car tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Ecriture est finalement soumis au jugement de l’Eglise, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l’interpréter."
(Concile Vatican II, Dei verbum, 12,3)
[1] Les trois premiers évangiles se présentent de façon tellement semblables que, à la fin du XVIIIe siècle un ouvrage paru sous le nom de "Synopse" (c’est à dire, selon l’étymologie grecque, "vue simultanée") présentait les textes de Matthieu, Marc et Luc sur trois colonnes parallèles afin d’en faciliter la comparaison. Depuis ce temps-là, on appelle "évangiles synoptiques" les trois premiers évangiles.
Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé de la paroisse Saint-Paul d’Ivry-sur-Seine.
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