Qui sait vraiment ce qui se cache derrière les murs de la psychiatrie ?
À l’occasion de ce dimanche de la santé 2015, voici le témoignage de Maryse, infirmière en psychiatrie à Cambrai :
Quel type de pathologie accompagne-t-on, non pas soigne, car en santé mentale on ne parle jamais de guérison mais de stabilisation.
Peu de monde peut définir ce qu’est une schizophrénie, souffrir de trouble bipolaire, de paranoïa, d’addiction…
Moi-même quand j’ai choisi le métier d’infirmière, ma famille en était fière ; quand j’ai choisi de faire ma carrière en psychiatrie, tout le monde a été déçu. Quels sont les soins que l’on donne dans ces services ? Nul ne sait. Mes soins relationnels ne sont pas quantifiables et peu palpables.
C’est un service qui fait peur, mais tout ce qui est inconnu fait peur. Le travail ne paraît pas valorisant. Certains pensent même que c’est le service punition où les agents peu compétents sont mutés.
C’est peut-être tout cela qui m’a attirée à choisir cette spécialité. Des brebis sans berger, c’est une phrase qui correspond bien à cette population.
Depuis le début de ma carrière, on accueille de plus en plus de syndrome dépressif.
De plus en plus de gens, de tout âge, de tout milieu, en réaction ou non avec un événement traumatisant se retrouvent en milieu psychiatrique pour tenter de refaire surface.
Notre rôle est de les accompagner à traverser cette épreuve, à mettre à plat leur situation. Nous sommes une équipe pluridisciplinaire : assistante sociale, psychologue, psychiatre, infirmière.
Ce n’est surtout pas de faire à leur place, mais de leur redonner le goût des choses. La dépression est un ensemble de symptômes qui met en souffrance la personne. Les troubles du sommeil, de concentration, la fatigue, la perte de l’élan vital, les troubles de l’appétit par excès ou par défaut mais surtout la souffrance morale qui est peu comprise. La personne est vue comme quelqu’un de paresseux, à qui l’on ne cesse de seriner : « bouge-toi ».
Pour l’entourage, c’est aussi difficile. Ils se sentent souvent découragés, impuissants face à ces comportements. Ils sont peu entendus parce qu’ils n’osent pas en parler car peu compris. Le jeune schizophrène qui reste cloîtré dans sa chambre et qui est en échec scolaire passe aux yeux des autres pour un bon à rien, alors qu’il est en incapacité émotionnelle d’affronter l’extérieur.
Les familles se retrouvent isolées, coupées du monde. Elles doivent supporter la violence des crises, les hospitalisations, les traitements parfois très lourds et surtout l’avenir. Que va devenir mon enfant quand je ne serai plus capable de m’en occuper ? Notre pays manque tellement de structures !!!
Le milieu psychiatrique est avant tout un lieu d’écoute, un moment où l’on peut déposer son fardeau, sa souffrance. Un lieu où se poser, être épaulé.
Accompagner une personne en souffrance psychique, c’est lui permettre de s’exprimer en instaurant une relation de confiance, sans jugement.
Dans le service où j’exerce actuellement, j’accompagne avec mon équipe les personnes non hospitalisées à reprendre goût aux choses simples ; à s’intégrer dans la cité. Nous les accompagnons à la piscine, à la médiathèque… Tout comme eux, nous nous mettons en difficulté, pas de blouses.
Chaque activité est choisie en fonction des objectifs à atteindre avec comme priorité la notion de plaisir.
La finalité est de leur devenir inutile, qu’ils soient capables de se réinscrire dans des activités extérieures en reprenant confiance en eux.
Accompagner les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques, c’est beaucoup de joie, de moments inoubliables. C’est savoir pourquoi on se lève le matin.
Pour conclure, je pense que les paroles de la chanson de Jean-Jacques Goldman résument bien tout ce qu’ils nous apportent dans notre quotidien professionnel.
Je te donne toutes mes différences, tous ces défauts qui sont autant de chance
On ne sera jamais des standards, des gens bien comme il faut
Je te donne ce que j’ai, ce que je vaux.
Une épaule fragile et forte à la fois
Je te donne, je donne tout ce que je vaux, ce que je suis, mes dons,
Mes défauts, mes plus belles chances, mes différences.
Maryse, infirmière en psychiatrie
ces lignes ont été publiées initialement dans "Eglise de Cambrai, quinzaine diocésaine" du 22 janvier 2015
Infirmière en psychiatrie à Cambrai.
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