3e dim. de Pâques (14/4) : Commentaire

Non le deuxième dimanche après Pâques, mais le troisième de Pâques, car la fête continue, une fête unique. La montée du Carême nous a conduits vers un sommet, un sommet large, tel un haut plateau qui ne connaît pas de descente et sur lequel nous avançons dans la joie. Le cœur ne s’habitue pas à l’incroyable nouvelle. Comme hébété par la hauteur, il lui faut du temps pour réaliser l’inouï : Christ n’est plus "selon la chair", tel que nous l’avions médité pendant le Carême, peinant, luttant, souffrant - il est maintenant "selon l’Esprit".

Avec la première communauté de Jérusalem, dont Pierre se fait l’écho, scrutons les Écritures pour y trouver l’annonce du Christ (première lecture). Jésus lui-même vient parmi nous pour nous ouvrir l’esprit à l’intelligence des Écritures et prendre avec nous le repas eucharistique (évangile). Mais que cette rencontre se traduise dans les faits : Celui qui garde fidèlement sa parole, en lui l’amour de Dieu est vrai (deuxième lecture).

Première lecture : Ac 3,13-15,17-19

La version liturgique du passage prend quelques libertés avec le texte et détache d’un résumé plus étendu la partie centrale plus directement pascale.

Des sermons que les apôtres ont prononcés à Jérusalem, et dont les Actes nous ont gardé le résumé, il n’en est pas un dont le centre ne soit Jésus livré, rejeté, tué et que Dieu a ressuscité des morts pour le faire "Seigneur". C’est dire assez combien mort et résurrection du Christ sont le contenu même de notre foi, la raison d’être des apôtres : nous en sommes les témoins. On perçoit ici avec combien de raison la liturgie considère le Temps pascal non comme une fête un peu plus grande que les autres, mais comme la fête tout court, dont les autres ne sont que le reflet. Faut-il le dire encore, notre propre spiritualité devra toujours, au-delà des préférences pour l’Incarnation, le Sacré-Cœur, la Vierge et les Saints, se recentrer sur la spiritualité pascale qui les justifie toutes.

Comme les apôtres s’adressent à des Juifs, ils ont le souci constant d’appuyer leur prédication sur les prophètes qui ont annoncé que le Messie souffrirait. Méthode biblique riche, encore aujourd’hui la nôtre, quand, tous les dimanches nous lisons un Ancien Testament qui pourrait paraître dépassé.

Après les accusations du début : vous l’avez livré, vous l’avez rejeté, vous l’avez tué... le sermon se fait conciliateur : vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs, verset qui, avec le fameux chapitre 9 de la Lettre aux Romains, nous préservera d’un naïf antisémitisme.

Le sermon de Pierre se termine par une pressante interpellation : Convertissez-vous et revenez à Dieu. Croire à la résurrection de Jésus est encore autre chose que l’admettre théoriquement. Croire, c’est se laisser toucher, c’est ressusciter en changeant de conduite. Tout le reste est littérature.

Psaume : Ps 4

Jésus ressuscité dit au Père : Tu m’as libéré dans ma détresse, je me suis couché, j’ai dormi dans la mort. Mais en paix, car je sais que tu me donnes d’habiter dans la confiance près de toi.

Et nous pouvons dire avec lui : Dans la paix, je me confie à toi ; car si je meurs, ce sera un : je dors. Tu me feras vivre. Ah Seigneur ! que s’illumine sur nous ton visage de gloire.

Deuxième lecture : 1 Jn 2,1-5

Bien au centre se détache l’affirmation : Jésus est la victime offerte pour nos péchés. Si nous venons à pécher - et qui donc est sans fautes ? - il ne faut pas nous décourager. Jésus est notre défenseur devant le Père.

Encore faut-il croire au Christ ; croire, non d’une connaissance intellectuelle, mais engagée : le connaître en gardant ses commandements, en les mettant en pratique. Celui qui a cette foi, l’amour de Dieu en lui atteint sa perfection. Non que ce croyant soit parfait, mais en lui l’amour de Dieu est accompli, réalisé vraiment.

Toi, l’inquiet, l’angoissé sache-le : tu as un défenseur. Pâques apaise.

Toi qui fais de beaux discours, qui dis : "Je le connais" - tu n’es vrai qu’en gardant ses commandements. Sinon tu es un menteur. Pâques réveille.

Évangile : Lc 24,35-48

A quelques versets près, ce passage constitue la fin de l’évangile de Luc, dans lequel, on s’en doute, il concentre toute la force de son message.

Nous sommes au soir de Pâques. Les deux disciples qui rentraient d’Emmaüs étaient juste en train de raconter leur expérience (). Comme ils en parlaient encore, lui-même était au milieu d’eux. Quand ils l’avaient déposé dans le tombeau, c’était pour l’enterrer. Définitivement. Avec leurs propres espoirs. Et maintenant il est là. Pas n’importe où, au milieu d’eux. Voilà le plus profond de notre foi et, bien sûr, de nos eucharisties. Il est au milieu de nous. Nous ne sommes pas seuls. Il nous dit : La paix soit avec vous. Non la tranquillité égoïste, mais la paix qu’il a promise à la Cène : Lui-même, son Esprit. Voilà notre force.

Mais, pour l’instant, c’est trop inouï. Ils sont frappés de stupeur et de crainte. Ce n’est pas l’effroi sacré devant la majestueuse splendeur du Ressuscité, c’est, bêtement, la frousse devant un fantôme : Ils croyaient voir un esprit.

Pourquoi êtes-vous bouleversés, pourquoi ces pensées ? Ne vous rappelez-vous pas ce que je vous avais dit ? Mais voyez, regardez, touchez-moi, constatez. Voyez mes mains et mes pieds transpercés, voyez les traces des clous. C’est bien moi. Alors, la joie les inonde, mais c’est trop formidable, ils n’osaient encore y croire et restaient saisis d’étonnement. Apôtres, et vous, leurs compagnons, merci d’avoir hésité, d’avoir gardé les pieds sur terre, afin que notre foi repose sur des constatations solides et non sur des fantômes.

Et, pour bien leur prouver qu’il n’est pas un esprit, Jésus mangea, devant eux, un morceau de poisson grillé.

Il y a cependant une grande différence avec autrefois. C’est le même Jésus, mais c’est un Jésus transformé. S’il se montre avec de la chair et des os, s’il mange, il n’est pas un ressuscité du genre Lazare, avec notre nature lourde, limitée. Si son corps glorifié peut reprendre des propriétés de son corps d’autrefois, c’est un corps transfiguré, animé par l’Esprit. Jésus vient les portes closes, il disparaît de même. Le comment relève de la curiosité. Le fait - de la foi. A quoi bon, pour le Christ, ressusciter dans "l’ancien régime" ? Nous ne serions pas sauvés. C’est parce qu’il est revenu changé, transformé que nous pourrons être transformés à notre tour. Et Jésus de le leur expliquer, de les ouvrir à l’intelligence des Écritures, de ce qui est écrit dans la loi de Moïse, des Prophètes et des Psaumes : le plan du Père qui passait inévitablement par les souffrances pour aboutir à la résurrection d’entre les morts le troisième jour. Et tout cela pour le pardon des péchés, expression large pour notre libération.

Voilà le nœud, le noyau de notre foi. Voilà le vrai Évangile, la grande et unique Bonne Nouvelle. C’est cela qu’il faut proclamer, clamer à toutes les nations. Et c’est à quoi Jésus m’appelle dans cette admirable vision : C’est vous qui en êtes les témoins.

Chrétien, chrétien triste et abattu comme les apôtres au soir de Pâques, fais l’expérience de Jésus. Puis va dire ton expérience. Tant d’hommes aimeraient l’entendre.

Dieu, qu’on ne peut voir,
donne-nous de reconnaître Jésus en rompant le pain
et rends-nous capables de le découvrir dans nos frères.


Le Christ ressuscité, comment est-il ?

A-t-il des cheveux noirs ou châtains, les yeux bleus ou vert-pâle ? Son pas est-il lent ou alerte ?

Voilà une curiosité impossible à satisfaire. Car le Ressuscité échappe aux lois de notre temps, de nos lieux, de notre matière. Saint Paul parle d’un corps spirituel (). Non un corps gazeux, volatilisé ; c’est un corps transformé par l’Esprit Saint. Et tout ce que nous pouvons imaginer est inadéquat pour le représenter. Les icônes le peignent le moins mal, parce qu’elles évitent de faire ressemblant ; elles transfigurent le visage et portent le regard vers l’ailleurs.

Dans ta vie tu as eu, je l’espère, des moments bénis où tu te savais proche du Christ. Il te parlait au cœur. Tu en étais transporté. Tu n’as pas vu de visage corporel, tu as vu le visage intérieur. Que pour l’instant il te suffise. La surprise sera pour "après".


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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 14/03/2024