5e dimanche de Pâques

1. Il y a quelque temps, au cours d’une réunion, une personne déclarait : « Pour moi, la vie en société, c’est très simple : il suffit de s’aimer les uns les autres. » Et elle a ajouté : « Excusez-moi de dire cela ! » On la sentait un peu gênée d’avoir repris à son compte cette expression s’aimer les uns les autres, comme si c’était aujourd’hui quelque chose de dévalué. Effectivement, il faut reconnaître que cela fait un peu langage de curés. Dire : « Il faut s’aimer », c’est un peu comme répéter : « Tout le monde, il est beau tout le monde, il est gentil. » Un peu comme si on était à côté de la réalité de la vie. Il faut reconnaître, d’ailleurs, que la réalité de la vie est à l’opposé de la loi de l’amour. On observe partout une âpre compétition, depuis le plus jeune âge, sur tous les plans, scolaire, professionnel, politique : il faut être le plus fort, ou le plus malin, et ne pas hésiter à dominer l’autre. Les médias, la presse, la télévision déversent chaque jour des rivalités dues à une irrépressible volonté de puissance, un appétit de pouvoir, un désir de possession. Sur le plan individuel comme au niveau des entreprises et des nations. Il faut être compétitif, il faut être un gagneur. Il y aura donc des perdants.

2. « Je vous donne un commandement nouveau. » Mais ce commandement est-il si nouveau que cela ? Chaque jour, le croyant juif doit redire le Shema Israël dans lequel figure en deuxième place : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » On avait vite limité le cercle des prochains aux croyants mais Jésus dit que ce cercle n’avait pas de limites. Chez les philosophes grecs, notamment Platon, on retrouve également ce précepte. A la même époque, Confucius enseignait : « Le sage aime tous les hommes et n’a de partialité pour personne. » Alors, la parole du Christ, son testament, ce commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres » est-il donc si nouveau que cela ?

3. A une nuance près selon Jésus : « Comme je vous ai aimés. » Que cache ce comme qui rendrait le commandement nouveau ? La réponse est à chercher dans les événements qui vont suivre cette dernière prière de Jésus. Dernière parce qu’il sait que l’un de ses disciples va le livrer et il s’est en dit troublé. Lorsqu’il quittera la pièce dans laquelle il vient de prononcer ces paroles, dans laquelle il vient de s’abaisser aux pieds de ses disciples pour les laver en signe d’exemple, ce sera pour se rendre au jardin des Oliviers et se préparer à affronter les heures dramatiques de sa passion, de ses souffrances. Il sait ce que veut dire être livré au pouvoir des Romains. Il sait la peur de ses disciples et leur abandon. Il aurait pu ne pas monter à Jérusalem comme ses disciples le lui avaient conseillé. Il aurait pu rester plus discret et ne pas provoquer les gens du Temple en venant bouleverser le culte. Il aurait pu se taire. Mais il ne voulait pas, il ne pouvait pas ne pas dire ce pourquoi il était venu ; dire et montrer aux homme jusqu’où l’amour pouvait aller, devait aller. Il avait donné un exemple à ses disciples en leur lavant les pieds. Il allait leur donner le dernier exemple, celui au-delà duquel il ne pouvait plus aller.

4. Dans le livre de la Genèse, on lit que Dieu « fit l’homme à son image et à sa ressemblance ». A l’image de Dieu dont Jean nous dit son nom, sa nature, ce qu’il est : « Amour. » Jean-Paul II a cette très belle expression : « Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance : en l’appelant à l’existence par amour, il l’a appelé en même temps à l’amour. » Mais depuis Caïn, l’homme montra un autre visage. Et depuis, l’histoire humaine, celle que nous apprenons dans les livres, n’est faite que de conquêtes, de conflits, de guerres dues à l’intolérance ethnique, politique, religieuse, toujours d’actualité hélas. Nos propres inimitiés à l’intérieur de nos villages, de nos familles, en participent. Et il sera toujours ainsi. C’est alors qu’il nous faut regarder le Christ-Jésus. On n’est pas véritablement disciple de Jésus parce qu’un jour on a été baptisé mais on le devient. François de Sales disait aux sœurs Visitandines : « Faites profession non pas d’être chrétien, mais je dis de vouloir l’être et n’ayez pas honte des actions qui nous y conduisent. »

5. Aujourd’hui a lieu la canonisation du Charles de Foucauld. En 1902, immergé au milieu des Touaregs du Hoggar, il écrivait à sa cousine Marie de Bondy : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs, à me regarder comme leur frère, le frère universel. » Plus de 60 ans avant Vatican II ! « Mon apostolat doit être l’apostolat de la bonté. En me voyant on doit se dire : “Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne.” Si l’on me demande pourquoi je suis bon, je dois dire : “Parce que je suis le serviteur d’un plus bon que moi. Si vous saviez comme est bon mon maître Jésus !” » Chaque jour, il passe des heures aux pieds du Tabernacle. « L’Eucharistie, dit-il, c’est Jésus, c’est tout Jésus… Quand on aime, on voudrait parler sans cesse à l’être qu’on aime, ou au moins le regarder sans cesse : la prière n’est pas autre chose : l’entretien familier avec notre Bien-Aimé : on Le regarde, on Lui dit qu’on L’aime, on jouit d’être à Ses pieds. »

Aujourd’hui, nous sommes entrés à notre tour au Cénacle, avons entendu ce qui s’était dit à cette table et allons repartir un peu comme les disciples sans avoir vraiment compris tout ce que tu voulais nous dire. Alors, Seigneur, après nous être assis à ta table, lorsque nous serons rentrés chez nous, ne cesse pas de frapper à notre porte.

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 15/05/2022