6e dim. de Pâques (5/5) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Pourquoi trouvons-nous toujours si difficile d’accepter le changement, la nouveauté ?
Sans doute parce que cela dérange, insécurise et demande un effort d’adaptation. C’est plus facile de faire comme on a toujours fait. Et puis l’ancien n’est-t-il pas souvent considéré comme meilleur ?
Souvent on idéalise le passé. On ne retient que les bons souvenirs et on pense à ce « beau temps passé » dont on a oublié les combats, les misères, l’exploitation, les violences…
Ceci est vrai dans la société civile mais tout autant dans la vie religieuse. Même si extérieurement l’Eglise vivait auparavant la belle époque des grands rassemblements, des liturgies fastueuses, des processions… n’était-ce pas au détriment d’une population maintenue dans la peur de l’enfer et au mépris du simple bonheur humain ?
Il a fallu l’audace et le courage de contestataires ou révolutionnaires, qui souvent le payèrent de leur vie, pour qu’un renouveau du monde et de l’Eglise soit possible. Au sein de l’Eglise les changements se sont faits progressivement, les derniers datent du concile Vatican II, cela fait déjà plus de 60 ans. C’est dans la liturgie que les changements furent le plus apparents : la célébration de la messe face au peuple, communion dans la main et non plus sur la langue, le latin remplacé par le français, les prières plus adaptées à la vie…
Ces changements qui aujourd’hui semblent insignifiants ou tout naturels, pour beaucoup ont été difficiles à avaler. Et pourtant ces changements ne sont rien à côté des bouleversements de l’Eglise primitive. Nous venons de l’entendre : alors que l’habitude s’était installée de ne faire baptiser que les Juifs convertis, Pierre en vient à baptiser un païen, Corneille, lui aussi converti. Nous savons combien ensuite il subira des reproches de la part des esprits chagrins de l’époque, des esprits timorés et obtus qui confondaient l’accessoire et l’essentiel, pour qui comptait plus l’emballage que le contenu.
Si le changement est le fondement de tout progrès, il va de soi qu’il ne faut pas changer pour changer, ni adopter n’importe quel changement. Il faut suivre l’impulsion de l’Esprit.
Mais qui peut prétendre qu’il agit selon l’Esprit ?
Certains disent : c’est facile, il suffit de suivre les ordres venant d’en haut, car c’est eux qui ont l’Esprit ! Mais l’histoire a démontré que le changement provient presque toujours de la base. Les révolutions n’ont jamais été suscitées par les nantis et les tenants du pouvoir. Les changements proviennent des personnes qui vivent dans la réalité du monde, au contact des autres et surtout des plus faibles, ceux et celles qui expérimentent dans leur quotidien, dans leur chair, les déficiences d’un système ou d’une structure.
Ce qui signifie en clair que tout chrétien a la mission de transmettre, témoigner le message et d’en imaginer les modalités : créer du neuf, adapter à l’âge, aux circonstances, à la mentalité, à la culture… Pour cela il doit lui-même se laisser modeler par l’Esprit de Dieu, par la prière mais aussi le dialogue et le conseil de sa communauté.
« Mon commandement », dit Jésus, « c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés ». Or nous savons combien ‘aimer’ pour Jésus signifiait « relever les opprimés », les libérer de toutes les pressions que les responsables politiques ou religieux faisaient peser sur eux. C’est pour avoir voulu changer ces structures et ces mentalités qu’il a été condamné.
Pour nous, « aimer », « aimer comme Jésus » n’est-ce pas aussi lutter pour que le monde change, pour que toutes celles et ceux qui souffrent de l’indifférence, la violence, l’exploitation ou autre injustice, puissent vivre en toute dignité et accéder au bonheur.
En résumé, « aimer comme Jésus » c’est, comme le dit l’Evangile, nous laisser porter par l’Esprit d’amour, cet amour qui est le plus grand inspirateur de bonheur, le plus grand créateur d’audace et de liberté.

Piste 2

S’il fallait donner un titre à ce dimanche, il va de soi que nous ne pourrions que l’appeler « le dimanche de l’amour ». Nous avons entendu plus de 20 fois le mot « amour », 10 fois dans la 2e lecture et 9 fois dans l’Evangile ! Le verbe aimer y est aussi conjugué à toutes les personnes : « comme le Père m’aime, comme je vous ai aimés, aimez-vous… »

La répétition de ce mot qui revient si souvent dans nos liturgies comme aussi dans la vie de tous les jours, fait que nous l’avons usé, banalisé, simplement parce que nous restons à la surface de ce mot qui est le plus beau mais aussi le plus ambigu.

« Aimez-vous les uns les autres. » C’est sans doute la Parole de Jésus la plus universellement connue. Ce qui est dommage c’est que nous l’avons amputée de tout ce qui fait son originalité : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Aimer comme Jésus, voilà qui change tout !

Mais quelle est donc la caractéristique de son amour ? Jésus répond lui-même : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie. » « Donner sa vie » ! Très peu se sentent probablement appelés à mourir comme Jésus, nous n’avons pas tous une vocation de héros.

Mais « donner sa vie » peut prendre un sens plus large, c’est aussi le don de soi de chaque instant, chaque jour. Et ce don de soi peut être le regard bienveillant que l’on porte sur l’autre : regarde d’indulgence, de compréhension, c’est prendre à cœur les intérêts des autres aussi bien que les siens.

Aimer jusqu’au don de soi c’est ne plus être obsédé par ce qui est « tien ou mien », c’est partager les joies et porter les peines, c’est être assez libre de ses préoccupations pour assumer aussi les épreuves des autres.

Tel est mon commandement d’amour, nous répète Jésus à trois reprises. « Commandement » est un mot qui a une résonnance négative, il signifie le rapport d’un supérieur vis-à-vis d’un inférieur, du dominant par rapport au dominé. Pourtant tous ceux et celles qui aiment savent que faire la volonté de l’aimé est le fondement même de l’amour.

L’amour vrai, c’est l’acte libre et fort qui consiste à faire la volonté de celui qu’on aime. Ne dit-on pas « tes désirs sont des ordres ». En aimant on se lie, on devient dépendant.

Après avoir parlé de commandement, Jésus change de ton. « Je ne vous appelle plus ‘serviteurs’ mais ‘mes amis’. Il n’est plus le maître, le rabbi, mais l’ami. Qu’il soit centurion romain ou qu’il s’appelle Zachée ou Pierre qui le renie, qu’elle soit samaritaine ou femme adultère, qu’il soit petit ou pécheur… tous sont ses amis.

Ce Dieu qui nous aime à ce point n’a rien de semblable au Dieu puissant et maître de tout. Il est un Dieu « ami » qui fait route avec nous et qui se bat pour que l’homme vive libre, c’est un Dieu qui lutte pour que mangent ceux qui ont faim, que se mettent debout ceux qui sont sur les genoux et pour que soient reconnus ceux qui sont humiliés. Oui, « aimez-vous comme je vous ai aimés », « aimer comme Dieu » c’est aimer jusque là !

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 05/04/2024