Le mot est polyvalent. Si l'on élimine provisoirement son sens de "principe", "voie", "méthode", "perspective" ou "pédagogie" - comme dans l'expression "loi de gradualité" - , l'ancienne définition donnée par St Thomas d'Aquin demeure pertinente et recouvre l'ensemble des significations du mot: "La loi est une ordination de la raison en vue du bien commun, promulguée par l'autorité qui a reçu la charge de ce bien".
Ainsi entendue, la loi exprime le pôle objectif de la moralité qui empêche la conscience de se replier sur elle-même en lui fournissant un éclairage extérieur. Elle a Dieu pour auteur et l'homme pour destinataire.
- La loi éternelle: C'est "la raison suprême à laquelle il faut toujours se soumettre" (St Augustin), autrement dit, la Sagesse divine, le dessein éternel de Dieu, sa Providence.
- La loi naturelle: C'est la loi éternelle, gravée chez les êtres doués de raison et les inclinant vers l'acte et la fin qui leur conviennent. Marque du Dieu Créateur, elle vise à conduire l'homme au bien, à le rendre de plus en plus homme. Elle est universelle (tous les hommes lui sont soumis), immuable (même si on découvre progressivement ses impératifs) et peut être connue par tous les hommes (même privés de la Loi révélée, les païens, notait déjà St Paul, peuvent découvrir par eux-mêmes et accomplir les prescriptions de cette loi naturelle dont la conscience est l'interprète.
- La loi divine révélée: C'est la loi éternelle telle qu'elle se manifeste aux hommes par la révélation de l'Ancien puis du Nouveau Testament. Pédagogue indispensable, la Torah éclaire la conscience d'Israël (Rm 2:20) pour l'aider à discerner entre le bien et le mal. À ce titre, elle demeure valable même pour les disciples du Christ. Mais c'est bien sûr avec le loi nouvelle de Jésus que la morale biblique atteint son sommet (2 Co 3:3-17; Rm 8:2).
- Les lois positives: Ce sont les textes juridiques qui régissent très concrètement les diverses sociétés et que fait appliquer le pouvoir politique. La Bible recommande l'obéissance et le respect envers les diverses autorités humaines, dès lors qu'elles ne s'opposent pas au bien commun qu'elles ont pour mission de servir. Elles tirent en effet leur pouvoir de Dieu et jouent un rôle de médiation dans l'économie du salut (Rm 13:1-7; 1 P 2:13-15; 1 Tm 2:1-2; Tt 3:1).
Ces distinctions classiques ne doivent pas faire oublier l'essentiel: "Les différentes manières dont Dieu veille sur le monde et sur l'homme dans l'histoire non seulement ne s'excluent pas, mais, au contraire, se renforcent l'une l'autre et s'interpénètrent." (encyclique Veritatis splendor no. 45).
Cette notion apparut au synode de 1980 sur la famille et dans l'exhortation apostolique Familiaris consortio qui le suivit en 1981. Cette "loi de gradualité" désigne en fait un "cheminement pédagogique de croissance incontournable pour les êtres insérés dans le temps que nous sommes" (F.C. no. 9). "L'homme (...) est un être situé dans l'histoire. Jour après jour il se construit par ses choix nombreux et libres. Ainsi il connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d'une croissance." (F.C. no. 34).
En clair, cela signifie que nul n'est tenu d'appliquer immédiatement et dans son intégralité la norme morale proposée par le magistère de l'Eglise, s'il se juge incapable de la respecter ici et maintenant. L'important, dans ce cas, est de reconnaître la valeur de la norme, de vouloir la vivre pleinement le plus tôt possible, et de prendre les moyens concrets naturels et surnaturels pour s'en rapprocher.
Si donc l'application immédiate de la lettre de la norme n'est pas toujours exigée, par contre, la tension vers celle-ci l'est. Car, selon une formule célèbre, la loi de gradualité ne signifie pas la gradualité de la loi. La loi est la même pour tous!
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