Paroisse Saint Nicolas

François Frétellière :
"Cette banlieue que j'aime"

Entretiens avec Jeannine Marroncle, éditions Desclée de Brouwer, 186 pages, ... F. en vente dans les librairies du département. 98 F.


Déracinement, mal de vivre, brassage culturel, chômage, exclusion: la banlieue est souvent symbole des tensions de notre société. Réalité disparate, difficile et insaisissable, elle déroute sociologues et politiques, économistes et éducateurs. Elle échappe aussi, à sa manière, aux chrétiens et aux réseaux d'Eglise classiques.

Evêque de Créteil en banlieue parisienne depuis plus d'une quinzaine d'années, dans un diocèse récent du sud-est parisien créé en 1966, François Frétellière a accepté de parler avec Jeannine Marroncle de cette réalité humaine particulière. Tout en évoquant librement son parcours d'homme, de pasteur, il confronte sa foi, son sens de l'Evangile avec la banlieue telle qu'elle se présente aujourd'hui. L'Eglise, souligne-t-il, n'a pas vocation au prosélytisme. Elle propose sa foi et vise à susciter, mettre à jour les signes du Royaume de Dieu présent dans les réalités du monde. Dans ce contexte où il est urgent de créer des solidarités inédites et une citoyenneté nouvelle, les chrétiens ont à travailler à l'avènement d'une convivialité spirituelle, vraiment évangélique. C'est tout le sens de la démarche, de la pédagogie pastorale que l'évêque de Créteil entend promouvoir et qu'il explicite dans ce livre chaleureux, loin des propos abstraits sur l'Eglise ou le ministère épiscopal.


Table des matières

Introduction

I. "JE SUIS TANT HOMME QUE RIEN PLUS"

1. L'homme François
2. L'évêque François

II. LA BANLIEUE, UNE CHANCE POUR L'EGLISE.
L'EGLISE, UNE CHANCE POUR LA BANLIEUE

1. Une chance réciproque. Pourquoi? Comment?
2. Humaniser la vie des hommes
3. Reconstituer le tissu social
4. Retrouver le sens de la citoyenneté

III. UNE HISTOIRE QUI S'AMORCE

1. Faire un diocèse
2. Faire route ensemble
3. Une pédagogie pastorale
4. Pentecôte 1995

+ Mgr François Frétellière lors de sa visite pastorale en décembre 96 dans le secteur La Queue-en-Brie - Le Plessis-Trévise - Villiers-sur-Marne.
Photo: © Paroisse Saint Nicolas, La Queue-en-Brie


Recension de Daniel COFFIGNY

Enfin un évêque qui dit "Je" et ne s'empêtre pas dans des circonlocutions du langage ecclésiastique! La parole simple et directe sert un échange d'une grande qualité humaine et spirituelle entre François Frétellière et Jeannine Marroncle. Le livre se lit d'un trait!

UN HOMME DE CHEZ NOUS, DE LA GLEBE FECONDE

Après une brève introduction, une pensée de St-François de Sales donne le ton à la première partie: "Je suis tant homme que rien plus". François Frétellière se livre, simplement, tel qu'en lui-même. De la Vendée angevine natale (1925) à l'aujourd'hui du Val-de-Marne, la confidence se fait chaleureuse et retenue. Nous apprenons à connaître d'abord "l'homme François". Il se sait - comme chacun de nous - fragile en son humanité et nous indique comment, à l'école de François de Sales, il a trouvé son équilibre. Avec la certitude de l'inlassable amour de Dieu. "Je cherche à faire avec mes fragilités". Vivre sous le regard de Dieu met en confiance et évite tout stérile découragement. La vie - comme à tout autre - n'épargne pas à l'homme ses vives blessures. On sent l'homme sensible derrière la réponse. S'il "tient", c'est grâce à une foi solide, héritée de ses parents. Savoir prendre du recul quand fait mal l'offense et couler sa prière dans celle des psaumes. "Il me faut au jour le jour faire un pas si petit soit-il" (p. 20). Un homme de foi que traversent aussi les doutes!

Parce qu'il a de solides racines, humaines et chrétiennes, "l'homme François" est disponible à l'appel de Dieu pour "quitter son pays" et s'enraciner ailleurs! Etrange paradoxe de la liberté, même si elle coûte cher à sa sensibilité. Vulnérable il accepte cependant de partir: Issy, Limoges, Angers, Bordeaux, Créteil... On reconnaît sa voix dans ces mots: "nos insécurités peuvent être des tremplins" (p. 22).

Quand il apprend sa nomination comme évêque, son premier réflexe traduit bien l'homme que nous connaissons: "Pourvu que je reste François Frétellière!" (p. 23). En quelques mots, avec discrétion, nous est révélé ce qui peut s'apparenter à une "conversion": "Brader le bazar de la charité" (p.24). Il s'agit de vivre dans la vérité et refuser de "limer les aspects abrupts" sous un fallacieux prétexte de charité. Accepter de dire et de s'entendre dire la vérité, secret de la vraie liberté dans le Christ.

Jeannine Marroncle, avec ténacité, questionne: Et les femmes? et votre vocation? et l'attention aux plus pauvres? Les réponses fusent, claires et profondes. "On me dit chaleureux. J'espère que je le suis. J'ai accueilli l'autre. Ecouter. Entendre. Accueillir. Recueillir. Se recueillir. J'aime bien cette suite d'attitudes. J'essaye de m'y tenir." (p. 27) C'était toute la sagesse de son père. Il aimait apprendre des autres et disait: "Je suis toujours à l'école. Chaque personne a quelque chose à me dire." (p. 27) Décidément "l'homme François" mérite d'être connu... et Jeannine Marroncle lui a permis, merveilleusement, de se livrer !

L'EVEQUE FRANÇOIS

Il lui a fallu découvrir ce diocèse de quarante-sept communes et quatre-vingt huit paroisses! L'évêque est d'abord marqué par l'évidente bonne volonté de tous. Mais il faut aller plus loin: "Il fallait se concerter, résister à la tentation du travail chacun dans son coin! Il fallait promouvoir chez tous le souci, le goût d'accueillir la vie, de coller à la réalité des conditions d'existence faites aux personnes rencontrées." (p. 41) Au détour d'une question, il explique comment il conçoit le gouvernement d'un diocèse: "Il s'agit de mettre en tension les lieux d'organisation et les lieux de créativité. C'est de la tension entre les deux que se nourrit toute vie d'Eglise." (p. 45. Le travail de l'évêque est de "mettre en communication les uns avec les autres. C'est la vie cela. Sans tension pas de vie." (p. 46) Le désir d'unité qui l'anime le rend attentif à trois réalités incontournables:

Ce chapitre nous amène ensuite à regarder un certain nombre de groupes humains qui marquent le diocèse. Avec le regard d'un Pasteur, regard d'amour sur les personnes: les émigrés, les jeunes, le personnel des services diocésains, les prêtres, les religieuses, les diacres...

Cependant, ce chapitre est un peu décevant. La tâche de l'Evêque n'est pas évoquée sous le mode de la collégialité! Comment notre évêque travaille-t-il avec ses autres collègues de France? (sauf quelques lignes p. 111 et 172). Rien non plus sur les liens avec les autres évêques de la région apostolique d'Ile-de-France où est inséré le diocèse de Créteil.... Nul n'est une île!... Par contrecoup, le père Frétellière ne semble avoir d'interlocuteur que le Pape et les services de la Curie romaine (p. 53 à 56).

LA CHANCE RECIPROQUE

La longueur du titre de la deuxième partie exprime bien et la complexité et la richesse de l'affirmation: "La banlieue, une chance pour l'Eglise. L'Eglise une chance pour la banlieue".

Le chapitre 1er détaille constats et convictions. les trois autres chapitres sont des motivations et des propositions.

Avec un regard objectif sur notre banlieue, le Père Frétellière, d'emblée, nous met en garde sur une manière "catastrophique" d'en parler. Existent des secteurs difficiles, mais aussi des endroits plaisants. "Ne retenons pas que ce qui va mal" (p. 62). Cependant, il dénonce courageusement ce dont est, en partie, victime le Val-de-Marne. Paris a refoulé sur la banlieue certaines populations à problèmes. (p. 62) Il illustre d'exemples son affirmation. La conviction suit. Même si les cités et les grands ensembles font problèmes: "Je dis la banlieue est une chance pour l'Eglise" (p. 62). Ses raisons n'ont évidemment de poids qu'à l'aune de l'Evangile. La banlieue telle qu'elle est "oblige" l'Eglise à remplir sa mission. Il faut épouser cette population, avec amour, dans la solidarité et l'échange. Accueillir ces femmes et ces hommes avec leurs joies et leurs désarrois. Enfin, se laisser interroger par ce que tous ces gens charroient. Cela appelle, sans cesse, l'Eglise à sa mission première: être sel, ferment et lumière. Sans succomber à la tentation de gérer le monde, elle doit permettre aux personnes de se rencontrer, de trouver un sens, de cheminer les unes avec les autres et toutes ensemble vers Dieu (p. 64).

Deux constantes doivent être présentes sans cesse au coeur des chrétiens:

"J'aime à traduire ce double mouvement et son importance pour l'Eglise et son avenir, par une formule que j'emploie volontiers: l'avenir de l'Eglise sera mystique ou il ne sera pas" (p. 69).

Cette manière d'être de l'Eglise, dans notre banlieue, n'est pas un rêve. Déjà, beaucoup de chrétiens en vivent avec un cœur de pauvres. Il insiste pour donner la dimension évangélique de cette présence chrétienne: "Je n'ai pas la clé de tout, je n'ai pas le pouvoir sur tout. Il y a une chose que je me dis très souvent: quand j'ai fait tout ce que j'ai pu... il me reste encore l'essentiel à faire, c'est de me mettre à genoux pour dire à Dieu: "Tu fais ce que Tu veux, comme Tu veux, quand Tu veux..." (p. 73). La chance réciproque de la banlieue et de l'Eglise? François Frétellière la résume, merveilleusement, ainsi: "Ce que je reçois de Dieu, je l'offre à la banlieue, mais l'écho que me donne en retour la banlieue me renvoie à Dieu." (p. 76)...

La conclusion de ce chapitre amorce les trois suivants.

HUMANISER LA VIE DES HOMMES

Devant les personnes abîmées par l'argent, la misère, le chômage, la violence ou l'échec de l'amour... que peut faire l'Eglise, sinon apporter dans l'effort commun de justice et de solidarité, une qualité de charité qui vient du Christ. "Là, elle peut devenir une chance pour la banlieue" (p. 82). L'évêque redonne toute sa noblesse à la morale chrétienne qui "fondamentalement ouvre un avenir" (p. 89). Il évoque les grands chantiers humains où il convient de continuer à témoigner: la sexualité, l'avortement, le Sida, la pastorale des divorcés-remariés. Paroles audacieuses et prudentes d'un Pasteur, dites "en tremblant" de peur d'être mal compris ! (p. 93).

RECONSTITUER LE TISSU SOCIAL

À la demande de Jeannine Marroncle, le Père Frétellière liste les endroits où se manifeste l'éclatement social: la famille, les analyses politiques et syndicales, les conflits entre générations, les approches religieuses diverses... "L'éclatement social connaît aujourd'hui une telle ampleur qu'il est caractéristique de notre situation en banlieue" (p. 105). Il énonce ensuite une série de propositions. Dans l'Eglise, déjà, sourd un appel à vivre l'unité, faire toute leur place aux migrants, s'ouvrir à la dimension planétaire. Plus largement, nous avons à intensifier le dialogue œcuménique et accueillir ce qu'ont à nous révéler les musulmans et les juifs, les athées et les agnostiques.

"J'ai donc aujourd'hui à recevoir d'eux puisque l'Esprit les habite, à recevoir la part de vérité dont ils sont porteurs. Ils me rendent service par certaines de leurs questions sur Dieu. Elles peuvent m'éviter les déviations faciles dans ma façon de parler de Dieu ou de vivre en relation avec Lui" (p. 106 et 107).

RETROUVER LE SENS DE LA CITOYENNETE

D'emblée, la définition sonne nette: "Chaque personne a besoin de la société pour vivre et la relation entre deux personnes ne peut jouer que dans le monde où elle peut s'appuyer sur un certain nombre de références sociales communes. La citoyenneté est d'abord la reconnaissance d'un tiers qui s'appelle l'état, la région, le département, la commune" (p. 117). Toutes ces instances ont à mettre en œuvre des réalisations au service de tous : écoles, hôpitaux, routes... qui relèvent du bien commun.

L'individualisme, l'assistanat et la corruption ambiants mettent à mal ce bien commun. Il faut réagir! Cela nous demande "d'entrer vraiment dans la participation, d'une manière ou d'une autre. La démocratie est un moyen de partager". Même si elle aussi subit les contrecoups de la crise, "la démocratie est un des modes de pouvoir le plus enviable: elle respecte les personnes, elle les prend en compte, elle les met en route" (p. 119). Suit, alors, une longue analyse sur l'exercice du pouvoir, non seulement dans la société civile, mais dans l'Eglise. On peut remercier Jeannine Marroncle de s'être faite insistante. Sans être évoquée clairement, l'affaire Gaillot est passée par là. L'évêque de Créteil est amené à clarifier les notions de pouvoir et d'autorité dans l'Eglise avant de conclure: "Le pouvoir n'est pas fait pour asservir, pour se servir, mais pour servir. Et chacun doit apporter sa part personnelle, originale, dans la recherche du bien commun, dans la vie de toute société... que cette société soit l'état ou l'Eglise" (p. 131).

UNE HISTOIRE QUI S'AMORCE

Cette troisième partie parlera davantage aux diocésains de Créteil. Dans un premier chapitre "Faire un diocèse" sont rappelés les temps forts de l'Eglise de Créteil depuis sa création en 1966. Le Père évêque y évoque aussi des personnalités marquantes de cette banlieue, en particulier Madeleine Delbrêl. Les chapitres suivants "Faire route ensemble" et "Une pédagogie pastorale" font le point sur la manière dont s'équipe, dans l'immédiat, le diocèse de Créteil pour faire face à l'avenir proche, tout un apport substantiel sur la place des diacres et celle des laïcs en charge ecclésiale. Le chapitre final s'intitule "Pentecôte 1995". Ce jour-là, 4 juin 1995, plus de 12000 personnes du diocèse se sont retrouvées au Palais Omnisports de Bercy, aboutissement d'une démarche diocésaine, "Compagnons d'Humanité", mise en route deux ans auparavant.

Dans les dernières lignes, le Père François Frétellière écrit en joyeuse conclusion: "C'est la vocation de l'Eglise, en Val-de-Marne et partout, d'inviter tout homme sur la route d'Emmaüs. C'est ma vocation d'évêque. Elle est passionnante. Je vis. Je suis heureux!"

Nous aussi !!! Merci !

Daniel COFFIGNY


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Dernière mise-à-jour: 23/04/97

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