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Numéro(s) recherché(s): Gaudium et Spes 11-45

Gaudium et Spes11L'Eglise et la vocation humaine

Répondre aux appels de l'Esprit

1. Mû par la foi, se sachant conduit par l'Esprit du Seigneur qui remplit l'univers, le peuple de Dieu s'efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l'homme, orientant ainsi l'esprit vers des solutions pleinement humaines.

2. Le Concile se propose avant tout de juger à cette lumière les valeurs les plus prisées par nos contemporains et de les relier à leur source divine. Car ces valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes; mais il n'est pas rare que la corruption du coeur humain les détourne de l'ordre requis: c'est pourquoi elles ont besoin d'être purifiées.

3. Que pense l'Eglise de l'homme? Quelles orientations semblent devoir être proposées pour l'édification de la société contemporaine? Quelle signification dernière donner à l'activité de l'homme dans l'univers? Ces questions réclament une réponse. La réciprocité des services que sont appelés à se rendre le peuple de Dieu et le genre humain, dans lequel ce peuple est inséré, apparaîtra alors avec plus de netteté: ainsi se manifestera le caractère religieux et, par le fait même, souverainement humain de la mission de l'Eglise.
Gaudium et Spes12La dignité de la personne humaine

L'homme à l'image de Dieu

1. Croyants et incroyants sont généralement d'accord sur ce point: tout sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet.

2. Mais qu'est-ce que l'homme? Sur lui-même, il a proposé et propose encore des opinions multiples, diverses et mêmes opposées, suivant lesquelles, souvent, ou bien il s'exalte lui-même comme une norme absolue, ou bien il se rabaisse jusqu'au désespoir: d'où ses doutes et ses angoisses. Ces difficultés, l'Eglise les ressent à fond. Instruite par la Révélation divine, elle peut y apporter une réponse, où se trouve dessinée la condition véritable de l'homme, où sont mises au clair ses faiblesses, mais où peuvent en même temps être justement reconnues sa dignité et sa vocation.

3. La Bible, en effet, enseigne que l'homme a été créé "à l'image de Dieu", capable de connaître et d'aimer son Créateur, qu'il a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres (1) pour les dominer et pour s'en servir, en glorifiant Dieu (2). "Qu'est-ce donc l'homme, pour que tu te souviennes de lui? ou le fils de l'homme pour que tu te soucies de lui? A peine le fis-tu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et de splendeur: tu l'établis sur l'oeuvre de tes mains, tout fut mis par toi sous ses pieds" (Ps. 8, 5-7).

4. Mais Dieu n'a pas créé l'homme solitaire: dès l'origine, "il les créa homme et femme" (Gen. 1, 27). Cette société de l'homme et de la femme est l'expression première de la communion des personnes. Car l'homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités.

5. C'est pourquoi Dieu, lisons-nous encore dans le Bible, "regarda tout ce qu'il avait fait et le jugea très bon" (Gen. 1, 31).
(1) Cf. Gen 1, 26; Sag. 2, 23
(2) Cf Eccli. 17, 3-10
Gaudium et Spes13Le péché

1. Etabli par Dieu dans un état de justice, l'homme, séduit par le Malin, dès le début de l'histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu. Ayant connu Dieu, "ils ne lui ont pas rendu gloire comme à un Dieu (...) mais leur coeur inintelligent s'est enténébré", et ils ont servi la créature de préférence au Créateur (1). Ce que la Révélation divine nous découvre ainsi, notre propre expérience le confirme. Car l'homme, s'il regarde au-dedans de son coeur, se découvre enclin aussi au mal, submergé de multiples maux qui ne peuvent provenir de son Créateur, qui est bon. Refusant souvent de reconnaître Dieu comme son principe, l'homme a, par le fait même, brisé l'ordre qui l'orientait à sa fin dernière, et, en même temps, il a rompu toute harmonie, soit par rapport à lui-même, soit par rapport aux autres hommes et à toute la création.

2. C'est donc en lui-même que l'homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres. Bien plus, voici que l'homme se découvre incapable par lui-même de vaincre effectivement les assauts du mal; et ainsi chacun se sent comme chargé de chaînes. Mais le Seigneur en personne est venu pour restaurer l'homme dans sa liberté et sa force, le rénovant intérieurement et jetant dehors le prince de ce monde (cf. Jean 12, 31), qui le retenait dans l'esclavage du péché (2). Quant au péché, il amoindrit l'homme lui-même en l'empêchant d'atteindre sa plénitude.

3. Dans la lumière de cette Révélation, la sublimité de la vocation humaine, comme la profonde misère de l'homme, dont tous font l'expérience, trouvent leur signification ultime.
(1) Cf. Rom. 1, 21-25.
(2) Cf. Jn 8, 34.
Gaudium et Spes14Constitution de l'homme

1. Corps et âme, mais vraiment un, l'homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l'univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur (1). Il est donc interdit à l'homme de dédaigner la vie corporelle. Mais, au contraire, il doit estimer et respecter son corps qui a été créé par Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour. Toutefois, blessé par le péché, il ressent en lui les révoltes du corps. C'est donc la dignité même de l'homme qui exige de lui qu'il glorifie Dieu dans son corps (2), sans le laisser asservir aux mauvais penchants de son coeur.

2. En vérité, l'homme ne se trompe pas lorsqu'il se reconnaît supérieur aux éléments matériels et qu'il se considère comme irréductible, soit à une simple parcelle de la nature, soit à un élément anonyme de la cité humaine. Par son intériorité, il dépasse en effet l'univers des choses: c'est à ces profondeurs qu'il revient lorsqu'il fait retour en lui-même où l'attend ce Dieu qui scrute les coeurs (3) et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu. Ainsi, lorsqu'il reconnaît en lui une âme spirituelle et immortelle, il n'est pas le jouet d'une création imaginaire qui s'expliquerait seulement par les conditions physiques et sociales; bien au contraire, il atteint le tréfonds même de la réalité.
(1) Cf. Dan. 3, 57-90.
(2) Cf. 1 Cor. 6, 13-20.
(3) Cf. 1 Reg. 16, 7; Ier 17, 10.
Gaudium et Spes15Dignité de l'intelligence, vérité et sagesse

1. Participant à la lumière de l'intelligence divine, l'homme a raison de penser que, par sa propre intelligence, il dépasse l'univers des choses. Sans doute son génie au long des siècles, par une application laborieuse, a fait progresser les sciences empiriques, les techniques et les arts libéraux. De nos jours il a obtenu des victoires hors pair, notamment dans la découverte et la conquête du monde matériel. Toujours cependant il a cherché et trouvé une vérité plus profonde. Car l'intelligence ne se borne pas aux seuls phénomènes; elle est capable d'atteindre, avec une authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de la part d'obscurité et de faiblesse que laisse en elle le péché.

2. Enfin, la nature intelligente de la personne trouve et doit trouver sa perfection dans la sagesse. Celle-ci attire avec force et douceur l'esprit de l'homme vers la recherche et l'amour du vrai et du bien; l'homme qui s'en nourrit est conduit du monde visible à l'invisible.

3. Plus que toute autre, notre époque a besoin d'une telle sagesse, pour humaniser ses propres découvertes, quelles qu'elles soient. L'avenir du monde serait en péril si elle ne savait pas se donner des sages. Pourquoi ne pas ajouter cette remarque: de nombreux pays, pauvres en biens matériels, mais riches en sagesse, pourront puissamment aider les autres sur ce point.

4. Par le don de l'Esprit, l'homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le mystère de la volonté divine (1).
(1) Cf. Eccli. 17, 7-8.
Gaudium et Spes16Dignité de la conscience morale

1. Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son coeur: "Fais ceci, évite cela". Car c'est une loi inscrite par Dieu au coeur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera (1). La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre (2). C'est d'une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain (3). Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. Plus la conscience droite l'emporte, plus les personnes et les groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité. Toutefois, il arrive souvent que la conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l'on ne peut dire lorsque l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l'habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle.
(1) Cf. Rom. 2, 14-16.
(2) Cf. Pie XII, nuntius radioph. de conscientia christiana in iuvenibus recte efformanda, 23 03 1952: AAS 44, p. 271.
(3) Cf. Mt. 22,37-40; Gal 5,14
Gaudium et Spes17Grandeur de la liberté

1. Mais c'est toujours librement que l'homme se tourne vers le bien. Cette liberté, nos contemporains l'estiment grandement et ils la poursuivent avec ardeur. Et ils ont raison. Souvent cependant ils la chérissent d'une manière qui n'est pas droite, comme la licence de faire n'importe quoi, pourvu que cela plaise, même le mal. Mais la vraie liberté est en l'homme un signe privilégié de l'image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil (1) pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure. L'homme parvient à cette dignité lorsque, se délivrant de toute servitude des passions, par le choix libre du bien, il marche vers sa destinée et prend soin de s'en procurer réellement les moyens par son ingéniosité. Ce n'est toutefois que par le secours de la grâce divine que la liberté humaine, blessée par le péché, peut s'ordonner à Dieu d'une manière effective et intégrale. Et chacun devra rendre compte de sa propre vie devant le tribunal de Dieu, selon le bien ou le mal accomplis (2).
(1) Cf. Eccli. 15, 14.
(2) Cf. 2 Cor. 5, 10.
Gaudium et Spes18Le mystère de la mort

1. C'est en face de la mort que l'énigme de la condition humaine atteint son sommet. L'homme n'est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son corps, mais plus encore, par la peur d'une destruction définitive. Et c'est par une inspiration juste de son coeur qu'il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d'éternité qu'il porte en lui, irréductible à la seule matière, s'insurge contre la mort. Toutes les tentatives de la technique, si utiles qu'elles soient, sont impuissantes à calmer son anxiété: car le prolongement de la vie que la biologie procure ne peut satisfaire ce désir d'une vie ultérieure, invinciblement ancré dans son coeur.

2. Mais si toute imagination ici défaille, l'Eglise, instruite par la Révélation divine, affirme que Dieu a créé l'homme en vue d'une fin bienheureuse, au-delà des misères du temps présent. De plus, la foi chrétienne enseigne que cette mort corporelle, à laquelle l'homme aurait été soustrait s'il n'avait pas péché (1), sera un jour vaincue, lorsque le salut, perdu par la faute de l'homme, lui sera rendu par son tout-puissant et miséricordieux Sauveur. Car Dieu a appelé et appelle l'homme à adhérer à lui de tout son être, dans la communion éternelle d'une vie divine inaltérable. Cette victoire, le Christ l'a acquise en ressuscitant (2), libérant l'homme de la mort par sa propre mort. A partir des titres sérieux qu'elle offre à l'examen de tout homme, la foi est ainsi en mesure de répondre à son interrogation angoissée sur son propre avenir. Elle nous offre en même temps la possibilité d'une communion dans le Christ avec nos frères bien-aimés qui sont déjà morts, en nous donnant l'espérance qu'ils ont trouvé près de Dieu la véritable vie.
(1) Cf. Sap. 1, 13; 2, 23-24; Rom; 5, 21; 6, 23; Iac. 1, 15.
(2) Cf. 1 Cor. 15, 56-57.
Gaudium et Spes19Formes et racines de l'athéisme

1. L'aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l'homme à communier avec Dieu. Cette invitation que Dieu adresse à l'homme de dialoguer avec Lui commence avec l'existence humaine. Car, si l'homme existe, c'est que Dieu l'a créé par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l'être; et l'homme ne vit pleinement selon la vérité que s'il reconnaît librement cet amour et s'abandonne à son Créateur. Mais beaucoup de nos contemporains ne perçoivent pas du tout ou même rejettent explicitement le rapport intime et vital qui unit l'homme à Dieu: à tel point que l'athéisme compte parmi les faits les plus graves de ce temps et doit être soumis à un examen très attentif.

2. On désigne sous le nom d'athéisme des phénomènes entre eux très divers. En effet, tandis que certains athées nient Dieu expressément, d'autres pensent que l'homme ne peut absolument rien affirmer de lui. D'autres encore traitent le problème de Dieu de telle façon que ce problème semble dénué de sens. Beaucoup outrepassant indûment les limites des sciences positives, ou bien prétendent que la seule raison scientifique explique tout, ou bien, à l'inverse, ne reconnaissent comme définitive absolument aucune vérité. Certains font un tel cas de l'homme que la foi en Dieu s'en trouve comme énervée, plus préoccupés qu'ils sont, semble-t-il, d'affirmer l'homme que de nier Dieu. D'autres se représentent Dieu sous un jour tel que, en le repoussant, ils refusent un Dieu qui n'est en aucune façon celui de l'Evangile. D'autres n'abordent même pas le problème de Dieu: ils paraissent étrangers à toute inquiétude religieuse et ne voient pas pourquoi ils se soucieraient encore de religion. L'athéisme, en outre, naît souvent, soit d'une protestation révoltée contre le mal dans le monde, soit du fait que l'on attribue à tort à certains idéaux humains un tel caractère d'absolu qu'on en vient à les prendre pour Dieu. La civilisation moderne elle-même, non certes par son essence même, mais parce qu'elle se trouve trop engagée dans les réalités terrestres, peut rendre souvent plus difficile l'approche de Dieu.

3. Certes, ceux qui délibérément s'efforcent d'éliminer Dieu de leur coeur et d'écarter les problèmes religieux, en ne suivant pas le "dictamen" de leur conscience, ne sont pas exempts de faute. Mais les croyants eux-mêmes portent souvent à cet égard une certaine responsabilité. Car l'athéisme, considéré dans son ensemble, ne trouve pas son origine en lui-même; il la trouve en diverses causes, parmi lesquelles il faut compter une réaction critique en face des religions et spécialement, en certaines régions, en face de la religion chrétienne. C'est pourquoi, dans cette genèse de l'athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n'est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l'éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d'eux qu'ils voilent l'authentique visage de Dieu et de la religion plus qu'ils ne le révèlent.
Gaudium et Spes20L'athéisme systématique

1. Souvent l'athéisme moderne présente aussi une forme systématique, qui, abstraction faite des autres causes, pousse le désir d'autonomie humaine à un point tel qu'il fait obstacle à toute dépendance à l'égard de Dieu. Ceux qui professent un athéisme de cette sorte soutiennent que la liberté consiste en ceci que l'homme est pour lui-même sa propre fin, le seul artisan et le démiurge de sa propre histoire. Ils prétendent que cette vue des choses est incompatible avec la reconnaissance d'un Seigneur, auteur et fin de toutes choses ou, au moins, qu'elle rend cette affirmation tout à fait superflue. Cette doctrine peut se trouver renforcée par le sentiment de puissance que le progrès technique actuel confère à l'homme.

2. Parmi les formes de l'athéisme contemporain, on ne doit pas passer sous silence celle qui attend la libération de l'homme surtout de sa libération économique et sociale. A cette libération s'opposerait, par sa nature même, la religion, dans la mesure, où, érigeant l'espérance de l'homme sur le mirage d'une vie future, elle le détournerait d'édifier la cité terrestre. C'est pourquoi les tenants d'une telle doctrine, là où ils deviennent les maîtres du pouvoir, attaquent la religion avec violence, utilisant pour la diffusion de l'athéisme, surtout en ce qui regarde l'éducation de la jeunesse, tous les moyens de pression dont le pouvoir public dispose.
Gaudium et Spes21L'attitude de l'Eglise en face de l'athéisme

1. L'Eglise, fidèle à la fois à Dieu et à l'homme, ne peut cesser de réprouver avec douleur et avec la plus grande fermeté, comme elle l'a fait dans le passé (1), ces doctrines et ces manières de faire funestes qui contredisent la raison et l'expérience commune et font déchoir l'homme de sa noblesse native.

2. Elle s'efforce cependant de saisir dans l'esprit des athées les causes cachées de la négation de Dieu et, bien consciente de la gravité des problèmes que l'athéisme soulève, poussée par son amour pour tous les hommes, elle estime qu'il lui faut soumettre ces motifs à un examen sérieux et approfondi.

3. L'Eglise tient que la reconnaissance de Dieu ne s'oppose en aucune façon à la dignité de l'homme, puisque cette dignité trouve en Dieu lui-même ce qui la fonde et ce qui l'achève. Car l'homme a été établi en société, intelligent et libre, par Dieu son Créateur. Mais surtout, comme fils, il est appelé à l'intimité même de Dieu et au partage de son propre bonheur. L'Eglise enseigne, en outre, que l'espérance eschatologique ne diminue pas l'importance des tâches terrestres, mais en soutient bien plutôt l'accomplissement par de nouveaux motifs. A l'opposé, lorsque manquent le support divin et l'espérance de la vie éternelle, la dignité de l'homme subit une très grave blessure, comme on le voit souvent aujourd'hui, et l'énigme de la vie et de la mort, de la faute et de la souffrance reste sans solution: ainsi, trop souvent, les hommes s'abîment dans le désespoir.

4. Pendant ce temps, tout homme demeure à ses propres yeux une question insoluble qu'il perçoit confusément. A certaines heures, en effet, principalement à l'occasion des grands événements de la vie, personne ne peut totalement éviter ce genre d'interrogation. Dieu seul peut pleinement y répondre et d'une manière irrécusable, lui qui nous invite à une réflexion plus profonde et à une recherche plus humble.

5. Quant au remède à l'athéisme, on doit l'attendre d'une part d'une présentation adéquate de la doctrine, d'autre part de la pureté de vie de l'Eglise et de ses membres. C'est à l'Eglise qu'il revient en effet de rendre présents et comme visibles Dieu le Père et son Fils incarné, en se renouvelant et en se purifiant sans cesse (2), sous la conduite de l'Esprit-Saint. Il y faut surtout le témoignage d'une foi vivante et adulte, c'est-à-dire d'une foi formée à reconnaître lucidement les difficultés et capable de les surmonter. D'une telle foi, de très nombreux martyrs ont rendu et continuent de rendre un éclatant témoignage. Sa fécondité doit se manifester en pénétrant toute la vie des croyants, y compris leur vie profane, et en les entraînant à la justice et à l'amour, surtout au bénéfice des déshérités. Enfin ce qui contribue le plus à révéler la présence de Dieu, c'est l'amour fraternel des fidèles qui travaillent d'un coeur unanime pour la foi de l'Evangile (3) et qui se présentent comme un signe d'unité.

6. L'Eglise, tout en rejetant absolument l'athéisme, proclame toutefois, sans arrière-pensée, que tous les hommes, croyants et incroyants, doivent s'appliquer à la juste construction de ce monde, dans lequel ils vivent ensemble: ce qui, assurément, n'est possible que par un dialogue loyal et prudent. L'Eglise déplore donc les différences de traitements que certaines autorités civiles établissent injustement entre croyants et incroyants, au mépris des droits fondamentaux de la personne. Pour les croyants, elle réclame la liberté effective et la possibilité d'élever aussi dans ce monde le temple de Dieu. Quant aux athées, elle les invite avec humanité à examiner en toute objectivité l'Evangile du Christ.

7. Car l'Eglise sait parfaitement que son message est en accord avec le fond secret du coeur humain quand elle défend la dignité de la vocation de l'homme, et rend ainsi l'espoir à ceux qui n'osent plus croire à la grandeur de leur destin. Ce message, loin de diminuer l'homme, sert à son progrès en répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut combler le coeur humain:"Tu nous as faits pour toi, Seigneur et notre coeur ne connaît aucun répit jusqu'à ce qu'il trouve son repos en toi" (4).
(1) Cf. Pie XI, encycl. Divini Redempt. 19.03.37: AAS 29 (1937), pp. 65-106. Pie XII, encycl. Ad Apostol. Principis, 29.06.58: AAS 5O (1958), pp. 601-614. Jean XXIII, encycl. Mater et Magistra, 15.05.61: AAS 53 (1961), pp. 451-453. Paul VI, encycl. Ecclesiam suam, 56.08.54: AAS 56 (1964) pp. 651-653.
(2) Cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n°8.
(3) Cf. Phil. 1, 27.
(4) St Augustin, Confess. I, 1: PL 32, 661.
Gaudium et Spes22Le Christ, homme nouveau

1. En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir (1), le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n'est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culminant.

2. "Image du Dieu invisible" (Col. 1, 15) (2), il est l'Homme parfait qui a restauré dans la descendance d'Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu'en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée (3), par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme (4), il a aimé avec un coeur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché (5).

3. Agneau innocent, par son sang librement répandu, il nous a mérité la vie; et, en lui, Dieu nous a réconciliés avec lui-même et entre nous (6), nous arrachant à l'esclavage du diable et du péché. En sorte que chacun de nous peut dire avec l'apôtre: le Fils de Dieu "m'a aimé et il s'est livré lui-même pour moi" (Gal. 2, 20). En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses pas (7), mais il a ouvert une route nouvelle: si nous la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau.

4. Devenu conforme à l'image du Fils, premier-né d'une multitude de frères (8), le chrétien reçoit "les prémices de l'Esprit" (Rom. 8, 23), qui le rendent capable d'accomplir la loi nouvelle de l'amour (9). Par cet Esprit, "gage de l'héritage" (Eph. 1, 14), c'est tout l'homme qui est intérieurement renouvelé, dans l'attente de "la rédemption du corps" (Rom. 8, 23): "Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts demeure en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous (Rom. 8, 11) (10). Certes, pour un chrétien, c'est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l'espérance, il va au-devant de la résurrection (11).

5. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le coeur desquels, invisiblement, agit la grâce (12). En effet, puisque le Christ est mort pour tous (13) et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal.

6. Telle est la qualité et la grandeur du mystère de l'homme, ce mystère que la Révélation chrétienne fait briller aux yeux des croyants. C'est donc par le Christ et dans le Christ que s'éclaire l'énigme de la douleur et de la mort qui, hors de son Evangile, nous écrase. Le Christ est ressuscité; par sa mort, il a vaincu la mort, et il nous a abondamment donné la vie (14) pour que, devenus fils dans le Fils, nous clamions dans l'Esprit: Abba, Père! (15).
(1) Cf. Rom.5, 14. cf. Tertullien [Tout ce que le limon (dont est formé Adam) exprimait, présageait l'homme qui devait venir, le Christ ]PL 2, 802 (848); CSEL, 47, p. 33, 1. 12-13.
(2) cf. 2 Cor 4, 4.
(3) cf. Conc. Const. II, can. 7: ["sans que le Verbe soit transformé dans la nature de la chair, ni que la chair soit passée dans la nature du Verbe"]. cf. etiam Conc. Const. III: ["car de même que sa chair toute sainte, immaculée et animée, n'a pas été supprimée par la divinisation, mais qu'elle est demeurée dans son état et dans sa manière d'être"]. cf. Conc. Chalc.["nous devons reconnaître en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation"]: Denz. 148 (302).
(4) cf. Conc. Const. III: [de même sa volonté humaine n'a pas été supprimée"]: Denz. 291, (556).
(5) Cf. Heb. 4, 15.
(6) cf. 2 Cor. 5, 18-19; Col. 1, 20-22
(7) cf. Petr. 2, 21; Mt. 16, 24; Lc. 14, 27.
(8) cf. Rom. 8, 29; Col. 1, 18.
(9) cf. Rom. 8, 1-11.
(10) cf. Cor. 4, 14.
(11) cf. Phil. 3, 10; Rom. 8, 17.
(12) cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n. 16.
(13) cf. Rom. 8, 32.0
(14) cf. Liturgie pascale Bysantine
(15) Cf Rom. 8, 15 et Gal. 4, 6; cf aussi Jn 1, 12 et I Jn 3, 1
Gaudium et Spes23La communauté humaine

But poursuivi par le Concile

1. Parmi les principaux aspects du monde d'aujourd'hui, il faut compter la multiplication des relations entre les hommes que les progrès techniques actuels contribuent largement à développer. Toutefois le dialogue fraternel des hommes ne trouve pas son achèvement à ce niveau, mais plus profondément dans la communauté des personnes et celle-ci exige le respect réciproque de leur pleine dignité spirituelle. La Révélation chrétienne favorise puissamment l'essor de cette communion des personnes entre elles; en même temps elle nous conduit à une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale, que le Créateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de l'homme.

2. Mais comme de récents documents du magistère ont abondamment expliqué la doctrine chrétienne sur la société humaine (1), le Concile s'en tient au rappel de quelques vérités majeures dont il expose les fondements à la lumière de la Révélation. Il insiste ensuite sur quelques conséquences qui revêtent une importance particulière en notre temps.
(1) Cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Magistra, 15.05.61: AAS 53 (1961) pp. 401-464; et encyc. Pacem in terris, 11..04.63: AAS 55 (1963), pp. 257-304. Paul VI, encyc. Ecclesiam suam, 6.06.1964: AAS 56 (1964) pp. 609-659.
Gaudium et Spes24Caractère communautaire de la vocation humaine dans le plan de Dieu

1. Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent mutuellement comme des frères. Tous, en effet, ont été créés à l'image de Dieu, "qui a fait habiter sur toute la face de la terre tout le genre humain issu d'un principe unique" (Act. 17, 26), et tous sont appelés à une seule et même fin, qui est Dieu lui-même.

2. A cause de cela, l'amour de Dieu et du prochain est le premier et le plus grand commandement. L'Ecriture, pour sa part, enseigne que l'amour de Dieu est inséparable de l'amour du prochain: "... tout autre commandement se résume en cette parole: tu aimeras le prochain comme toi-même... La charité est donc la loi dans sa plénitude" (Rom. 13, 9-10; cf. 1 Jean 4, 20). Il est bien évident que cela est d'une extrême importance pour des hommes de plus en plus dépendants les uns des autres et dans un monde sans cesse plus unifié.

3. Allons plus loin: quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que "tous soient un..., comme nous nous sommes un" (Jean 17, 21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu'il y a une certaine ressemblance entre l'union des personnes divines et celles des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour. Cette ressemblance montre bien que l'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même (1).
(1) cf. Luc 17, 33.
Gaudium et Spes25Interdépendance de la personne et de la société

1. Le caractère social de l'homme fait apparaître qu'il y a interdépendance entre l'essor de la personne et le développement de la société elle-même.En effet, la personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d'une vie sociale (1), est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions. La vie sociale n'est donc pas pour l'homme quelque chose de surajouté; aussi c'est par l'échange avec autrui, par la réciprocité des services, par le dialogue avec ses frères que l'homme grandit selon toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation.

2. Parmi les liens sociaux nécessaires à l'essor de l'homme, certains, comme la famille et la communauté politique, correspondent plus immédiatement à sa nature intime; d'autres relèvent plutôt de sa libre volonté. De nos jours, sous l'influence de divers facteurs, les relations mutuelles et les interdépendances ne cessent de se multiplier: d'où des associations et des institutions variées, de droit public ou privé. Même si ce fait, qu'on nomme socialisation, n'est pas sans danger, il comporte cependant de nombreux avantages qui permettent d'affermir et d'accroître les qualités de la personne, et de garantir ses droits (2).

3. Mais si les personnes humaines reçoivent beaucoup de la vie sociale pour l'accomplissement de leur vocation, même religieuse, on ne peut cependant pas nier que les hommes, du fait des contextes sociaux dans lesquels ils vivent et baignent dès leur enfance, se trouvent souvent détournés du bien et portés au mal. Certes, les désordres, si souvent rencontrés dans l'ordre social, proviennent en partie des tensions existant au sein des structures économiques, politiques et sociales. Mais, plus radicalement, ils proviennent de l'orgueil et de l'égoïsme des hommes, qui pervertissent aussi le climat social. Là où l'ordre des choses a été vicié par les suites du péché, l'homme, déjà enclin au mal par naissance, éprouve de nouvelles incitations qui le poussent à pécher: sans efforts acharnés, sans l'aide de la grâce, il ne saurait les vaincre.
(1) Cf. S. Thomas, 1 Ethic., lect. 1.
(2) Cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Magistra: AAS 53 (1961) p. 418. Cf. etiam Pie XI, encyc. Quadragesimo anno, 15.05.31: AAS 23 (1931) p.222 ss.
Gaudium et Spes26Promouvoir le bien commun

1. Parce que les liens humains s'intensifient et s'étendent peu à peu à l'univers entier, le bien commun, c'est-à-dire cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée, prend aujourd'hui une extension de plus en plus universelle, et par suite recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes, et plus encore du bien commun de l'ensemble de la famille humaine (1).

2. Mais en même temps grandit la conscience de l'éminente dignité de la personne humaine, supérieure à toutes choses et dont les droits et les devoirs sont universels et inviolables. Il faut donc rendre accessible à l'homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine, par exemple: nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son état de vie et fonder une famille, droit à l'éducation, au travail, à la réputation, au respect, à une information convenable, droit d'agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à une juste liberté, y compris en matière religieuse.

3. Aussi l'ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes et non l'inverse. Le Seigneur lui-même le suggère lorsqu'il a dit:"Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat" (2). Cet ordre doit sans cesse se développer, avoir pour base la vérité, s'édifier sur la justice, et être vivifié par l'amour; il doit trouver dans la liberté un équilibre toujours plus humain (3). Pour y parvenir, il faut travailler au renouvellement des mentalités et entreprendre de vastes transformations sociales.

4. L'Esprit de Dieu qui, par une providence admirable, conduit le cours des temps et rénove la face de la terre, est présent à cette évolution. Quant au ferment évangélique, c'est lui qui a suscité et suscite dans le coeur humain une exigence incoercible de dignité.
(1) Cf. Jean XXIII, encycl. Mater et Magistra: AAS 53 (1961) p. 417.
(2) Cf. Mc. 2, 27.
(3) Cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris: AAS 55 (1963) p. 266.
Gaudium et Spes27Respect de la personne humaine

1. Pour en venir à des conséquences pratiques et qui présentent un caractère d'urgence particulière, le Concile insiste sur le respect de l'homme: que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme "un autre lui-même", tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement (1), et garde d'imiter ce riche qui ne prit nul souci du pauvre Lazare (2).

2. De nos jours surtout, nous avons l'impérieux devoir de nous faire le prochain de n'importe quel homme et, s'il se présente à nous, de le servir activement: qu'il s'agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur étranger, méprisé sans raison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d'une union illégitime qui supporte injustement le poids d'une faute qu'il n'a pas commise, ou de cet affamé qui interpelle notre conscience en nous rappelant la parole du Seigneur: "Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait (Mat. 25, 40).

3. De plus, tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leurs personnalité libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plue encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur.
(1) Cf. Iac. 2, 15-16.
(2) Cf. Lc 16, 19-31.
Gaudium et Spes28Respect et amour des adversaires

1. Le respect et l'amour doivent aussi s'étendre à ceux qui pensent ou agissent autrement que nous en matière sociale, politique ou religieuse. D'ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer de l'intérieur, avec bienveillance et amour, leurs manières de voir, plus le dialogue avec eux deviendra aisé.

2. Certes, cet amour et cette bienveillance ne doivent en aucune façon nous rendre indifférents à l'égard de la vérité et du bien. Mieux, c'est l'amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à tous les hommes la vérité qui sauve. Mais on doit distinguer entre l'erreur, toujours à rejeter, et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de personne, même s'il se fourvoie dans des notions fausses ou insuffisantes en matière religieuse (1). Dieu seul juge et scrute les coeurs; il nous interdit donc de juger de la culpabilité interne de quiconque (2).

3. L'enseignement du Christ va jusqu'à requérir le pardon des offenses (3) et étend le commandement de l'amour, qui est celui de la loi nouvelle, à tous nos ennemis:" Vous avez appris qu'il a été dit: tu aimeras ton prochain, tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis: aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient". (Mat. 5, 43-44).
(1) Cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris: AAS 55 (1963) pp. 299 et 300.
(2) Cf. Lc -, 37-38; Math. 7, 1-2; Rom. 2, 1-11; 14, 10-12.
(3) Cf. Mt. 5, 43-47.
Gaudium et Spes29Egalité essentielle de tous les hommes entre eux et justice sociale

1. Tous les hommes, doués d'une âme raisonnable et créés à l'image de Dieu, ont même nature et même origine; tous, rachetés par le Christ, jouissent d'une même vocation et d'une même destinée divine: on doit donc, et toujours davantage, reconnaître leur égalité fondamentale.

2. Assurément, tous les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique qui est variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses. Mais toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu'elle soit sociale ou culturelle, qu'elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu. En vérité, il est affligeant de constater que ces droits fondamentaux de la personne ne sont pas encore partout garantis. Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de la faculté de choisir librement son époux ou d'élire son état de vie, ou d'accéder à une éducation et une culture semblables à celles que l'on reconnaît à l'homme.

3. Au surplus, en dépit de légitimes différences entre les hommes, l'égale dignité des personnes exige que l'on parvienne à des conditions de vie justes et plus humaines. En effet, les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d'une seule famille humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à l'équité, à la dignité de la personne humaine ainsi qu'à la paix sociale et internationale.

4. Que les institutions privées ou publiques s'efforcent de se mettre au service de la dignité et de la destinée humaines. Qu'en même temps elles luttent activement contre toute forme d'esclavage, social ou politique; et qu'elles garantissent les droits fondamentaux des hommes sous tout régime politique. Et même s'il faut un temps passablement long pour parvenir au but souhaité, toutes ces institutions humaines doivent peu à peu répondre aux réalités spirituelles qui, de toutes, sont les plus hautes.
Gaudium et Spes30Nécessité de dépasser une éthique individualiste

1. L'ampleur et la rapidité des transformations réclament d'une manière pressante que personne, par inattention à l'évolution des choses ou par inertie, ne se contente d'une éthique individualiste. Lorsque chacun, contribuant au bien commun selon ses capacités propres et en tenant compte des besoins d'autrui, se préoccupe aussi, et effectivement, de l'essor des institutions publiques ou privées qui servent à améliorer les conditions de vie humaines, c'est alors et de plus en plus qu'il accomplit son devoir de justice et de charité. Or il y a des gens qui, tout en professant des idées larges et généreuses, continuent à vivre en pratique comme s'ils n'avaient cure des solidarités sociales. Bien plus, dans certains pays, beaucoup font peu de cas des lois et des prescriptions sociales. Un grand nombre ne craignent pas de se soustraire, par divers subterfuges et fraudes, aux justes impôts et aux autres aspects de la dette sociale. D'autres négligent certaines règles de la vie en société, comme celles qui ont trait à la sauvegarde de la santé ou à la conduite des véhicules, sans même se rendre compte que, par une telle insouciance, ils mettent en danger leur propre vie et celle d'autrui.

2. Que tous prennent très à coeur de compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l'homme d'aujourd'hui, et de les respecter. En effet, plus le monde s'unifie et plus il est manifeste que les obligations de l'homme dépassent les groupes particuliers pour s'étendre peu à peu à l'univers entier. Ce qui ne peut se faire que si les individus et les groupes cultivent en eux les valeurs morales et sociales et les répandent autour d'eaux. Alors, avec le nécessaire secours de la grâce divine, surgiront des hommes vraiment nouveaux, artisans de l'humanité nouvelle.
Gaudium et Spes31Responsabilité et participation

1. Pour que chacun soit mieux armé pour faire face à ses responsabilités, tant envers lui-même qu'envers les différents groupes dont il fait partie, on aura soin d'assurer un plus large développement culturel, en utilisant les moyens considérables dont le genre humain dispose aujourd'hui. Avant tout, l'éducation des jeunes, quelle que soit leur origine sociale, doit être ordonnée de telle façon qu'elle puisse susciter des hommes et des femmes qui ne soient pas seulement cultivés, mais qui aient aussi une forte personnalité, car notre temps en a le plus grand besoin.

2. Mais l'homme parvient très difficilement à un tel sens de la responsabilité si les conditions de vie ne lui permettent pas de prendre conscience de sa dignité et de répondre à sa vocation en se dépensant au service de Dieu et de ses semblables. Car souvent la liberté humaine s'étiole lorsque l'homme est dans un état d'extrême indigence, comme elle se dégrade lorsque, se laissant aller à une vie de trop grande facilité, il s'enferme en lui-même comme dans une tour d'ivoire. Elle se fortifie en revanche lorsque l'homme accepte les inévitables contraintes de la vie sociale, assume les exigences multiples de la solidarité humaine et s'engage au service de la communauté des hommes.

3. Aussi faut-il stimuler chez tous la volonté de prendre part aux entreprises communes. Et il faut louer la façon d'agir des nations où, dans une authentique liberté, le plus grand nombre possible de citoyens participe aux affaires publiques. Il faut toutefois tenir compte des conditions concrètes de chaque peuple et de la nécessaire fermeté des pouvoirs publics. Mais pour que tous les citoyens soient poussés à participer à la vie des différents groupes qui constituent le corps social, il faut qu'ils trouvent en ceux-ci des valeurs qui les attirent et qui les disposent à se mettre u service de leurs semblables. On peut légitimement penser que l'avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d'espérer.
Gaudium et Spes32Le Verbe incarné et la solidarité humaine

1. De même que Dieu a créé les hommes non pour vivre en solitaires, mais pour qu'ils s'unissent en société, de même il lui a plus aussi "de sanctifier et de sauver les hommes non pas isolément, hors de tout lien mutuel; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté" (1). Aussi, dès le début de l'histoire du salut, a-t-il choisi des hommes non seulement à titre individuel, mais en tant que membres d'une communauté. Et ces élus, Dieu leur a manifesté son dessein et les a appelés "son peuple" (Ex. 3, 7-12). C'est avec ce peuple qu'il a, en outre, conclu l'Alliance du Sinaï (2).

2. Ce caractère communautaire se parfait et s'achève dans l'oeuvre de Jésus-Christ. Car le Verbe incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette solidarité. Il a prit part aux noces de Cana, il s'est invité chez Zachée, il a mangé avec les publicains et les pécheurs. C'est en évoquant les réalités les plus ordinaires de la vie sociale, en se servant des mots et des images de l'existence la plus quotidienne, qu'il a révélé aux hommes l'amour du Père et la magnificence de leur vocation. Il a sanctifié les liens humains, notamment soumis aux lois de sa patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de sa région.

3. Dans sa prédication, il a clairement affirmé que des fils de Dieu ont l'obligation de se comporter entre eux comme des frères. Dans sa prière, il a demandé que tous ses disciples soient "un". Bien plus, lui-même s'est offert pour tous jusqu'à la mort, lui, le rédempteur de tous. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" (Jean 15, 13). Quant à ses apôtres, il leur a ordonné d'annoncer à toutes les nations le message évangélique, pour faire du genre humain la famille de Dieu, dans laquelle la plénitude de la loi serait l'amour.

4. Premier-né parmi beaucoup de frères, après sa mort et sa résurrection, par le don de son Esprit il a institué, entre tous ceux qui l'accueillent par la foi et la charité, une nouvelle communion fraternelle: elle se réalise en son propre Corps, qui est l'Eglise. En ce Corps, tous, membres les uns des autres, doivent s'entraider mutuellement, selon la diversité des dons reçus.

5. Cette solidarité devra sans cesse croître, jusqu'au jour où elle trouvera son couronnement: ce jour-là, les hommes, sauvés par la grâce, famille bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à Dieu une gloire parfaite.
(1) Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n°9
(2) Cf. Ex. 24, 1-8.
Gaudium et Spes33L'activité humaine dans l'univers

Position du problème

1. Par son travail et son génie, l'homme s'est toujours efforcé de donner un plus large développement à sa vie. Mais aujourd'hui, aidé par la science et la technique, il a étendu sa maîtrise sur presque toute la nature, et il ne cesse de l'étendre; et, grâce notamment à la multiplication des moyens d'échange de toutes sortes entre les nations, la famille humaine se reconnaît et se constitue peu à peu comme une communauté une au sein de l'univers. Il en résulte que l'homme se procure désormais par sa propre industrie de nombreux biens qu'il attendait autrefois avant tout de forces supérieures.

2. Devant cette immense entreprise, qui gagne déjà tout le genre humain, de nombreuses interrogations s'élèvent parmi les hommes: quels sont le sens et la valeur de cette laborieuse activité? Quel usage faire de toutes ces richesses? Quelle est la fin de ces efforts, individuels et collectifs? L'Eglise, gardienne du dépôt de la parole divine, où elle puise les principes de l'ordre religieux et moral, n'a pas toujours, pour autant, une réponse immédiate à chacune de ces questions; elle désire toutefois joindre la lumière de la Révélation à l'expérience de tous, pour éclairer le chemin où l'humanité vient de s'engager.
Gaudium et Spes34Valeur de l'activité humaine

1. Pour les croyants, une chose est certaine: considérée en elle-même, l'activité humaine, individuelle et collective, ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s'acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au dessein de Dieu. L'homme, créé à l'image de Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre la terre et tout ce qu'elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice (1) et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de lui référer son être ainsi que l'univers: en sorte que, tout étant soumis à l'homme, le nom même de Dieu soit glorifié par toute la terre (2).

2. Cet enseignement vaut aussi pour les activités les plus quotidiennes. Car ces hommes et ces femmes qui, tout en gagnant leur vie et celle de leur famille, mènent leurs activités de manière à bien servir la société, sont fondés à voir dans leur travail un prolongement de l'oeuvre du Créateur, un service de leurs frères, un apport personnel à la réalisation du plan providentiel dans l'histoire (3).

3. Loin d'opposer les conquêtes du génie et du courage de l'homme à la puissance de Dieu et de considérer la créature raisonnable comme une sorte de rivale du Créateur, les chrétiens sont au contraire bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable. Mais plus grandit le pouvoir de l'homme plus s'élargit le champ de ses responsabilités, personnelles et communautaires. On voit par là que le message chrétien ne détourne pas les hommes de la construction du monde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurs semblables: il leur en fait au contraire un devoir plus pressant (4).
(1) Cf. Gen. 1, 26-27; 9, 2-3; Sap. 9, 2-3.
(2) Cf. Ps. 8, 7 et 10.
(3) Cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris: AAS 55 (1963), p. 2097.
(4) Cf. Nuntius ad universos homines a Patribus missus inezunte Concile Vatican II, Oct. 1962, AAS 54 (1962), p. 823.
Gaudium et Spes35Normes de l'activité humaine

1. De même qu'elle procède de l'homme, l'activité humaine lui est ordonnée. De fait, par son action, l'homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cet essor, bien conduit, est d'un tout autre prix que l'accumulation possible de richesses extérieures. L'homme vaut plus par ce qu'il est que par ce qu'il a (1). De même, tout ce que font les hommes pour faire régner plus de justice, une fraternité plus étendue, un ordre plus humain dans les rapports sociaux, dépasse en valeur les progrès techniques. Car ceux-ci peuvent bien fournir la base matérielle de la promotion humaine, mais ils sont tout à fait impuissants, par eux seuls, à la réaliser.

2. Voici donc la règle de l'activité humaine: qu'elle soit conforme au bien authentique de l'humanité, selon le dessein et la volonté de Dieu, et qu'elle permette à l'homme, considéré comme individu ou comme membre de la société, de s'épanouir selon la plénitude de sa vocation.
(1) Cf. Paul VI, alloc. ad Corpus diplomaticum, 7.01.65 AAS 57 (1965) p. 232.
Gaudium et Spes36Juste autonomie des réalités terrestres

1. Pourtant, un grand nombre de nos contemporains semblent redouter un lien étroit entre l'activité concrète et la religion: ils y voient un danger pour l'autonomie des hommes, des sociétés et des sciences.

2. Si, par autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence d'autonomie est pleinement légitime: non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C'est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. Une telle exigence d'autonomie est pleinement légitime: non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C'est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques. L'homme doit respecter tout cela et reconnaître les méthodes particulières à chacune des sciences et techniques. C'est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d'une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu (1). Bien plus, celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les êtres et les fait ce qu'ils sont. A ce propos, qu'on nous permette de déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup d'esprits jusqu'à penser que science et foi s'opposaient (2).

3. Mais si, par "autonomie du temporel", on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l'homme peut en disposer sans référence au Créateur, la fausseté de tels propos ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu. En effet, la créature sans Créateur s'évanouit. Du reste, tous les croyants, à quelque religion qu'ils appartiennent, ont toujours entendu la voix de Dieu et sa manifestation, dans le langage des créatures. Et même, l'oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même.
(1) Cf.Conc. Vat. I, Const. dogm. De fide cath. cap. III: Denz 1785-1786 (3004-3005).
(2) Cf. Pius Paschini, Vita e opere di Galileo Galilei, 2 vol. Vatic. 1964.
Gaudium et Spes37L'activité humaine détériorée par le péché

1. En accord avec l'expérience des siècles, l'Ecriture enseigne à la famille humaine que le progrès, grand bien pour l'homme, entraîne aussi avec lui une sérieuse tentation. En effet, lorsque la hiérarchie des valeurs est troublée et que le mal et le bien s'entremêlent, les individus et groupes ne regardent plus que leurs intérêts propres et non ceux des autres. Aussi le monde ne se présente pas encore comme le lieu d'une réelle fraternité, tandis que le pouvoir accru de l'homme menace de détruire le genre humain lui-même.

2. Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit (1) jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure.

3. C'est pourquoi l'Eglise du Christ reconnaît, certes, que le progrès humain peut servir au bonheur véritable des hommes, et elle fait ainsi confiance au dessein du Créateur; mais elle ne peut pas cependant ne pas faire écho à la parole de l'apôtre: "Ne vous modelez pas sur le monde présent" (Rom. 12, 2), c'est-à-dire sur cet esprit de vanité et de malice qui change l'activité humaine, ordonnée au service de Dieu et de l'homme, en instrument de péché.

4. A qui demande comment une telle misère peut être surmontée, les chrétiens confessent que toutes les activités humaines, quotidiennement déviées par l'orgueil de l'homme et l'amour désordonné de soi, ont besoin d'être purifiées et amenées à leur perfection par la croix et la résurrection du Christ. Racheté par le Christ et devenu une nouvelle créature dans l'Esprit-Saint, l'homme peut et doit, en effet, aimer ces choses que Dieu lui-même a créées. Car c'est de Dieu qu'il les reçoit: il les voit comme jaillissant de sa main et les respecte. Pour elles, il remercie son divin bienfaiteur, il en use et il en jouit dans un esprit de pauvreté et de liberté; il est alors introduit dans la possession véritable du monde, comme quelqu'un qui n'a rien et qui possède tout (2). "Car tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu" (1 Cor. 3, 22-23).
(1) Cf. Mt. 24, 13; 13, 24-30 et 36-43.
(2) Cf. 2 Cor. 6, 10.
Gaudium et Spes38L'activité humaine et son achèvement dans le mystère pascal

1. Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair et est venu habiter la terre des hommes (1). Homme parfait, il est entré dans l'histoire du monde, l'assumant et la récapitulant en lui (2). C'est lui qui nous révèle que "Dieu est charité" (1 Jean 4, 8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l'amour. A ceux qui croient à la divine charité, il apporte ainsi la certitude que la voie de l'amour est ouverte à tous les hommes et que l'effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n'est pas vain. Il nous avertit aussi que cette charité ne doit pas seulement s'exercer dans des actions d'éclat, mais, et avant tout, dans le quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs (3), il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix. Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la terre (4) agit désormais dans le coeur des hommes par la puissance de son Esprit; il anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière. Assurément les dons de l'Esprit sont divers: tandis qu'il appelle certains à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à garder vivant ce témoignage dans la famille humaine, il appelle les autres à se vouer au service terrestre des hommes, préparant par ce ministère la matière du royaume des cieux. Mais de tous il fait des hommes libres pour que, renonçant à l'amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s'élancent vers l'avenir, vers ce temps où l'humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu (5).

2. Le Seigneur a laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un aliment pour la route: le sacrement de la foi, dans lequel des éléments de la nature, cultivés par l'homme, sont changés en son Corps et en son Sang glorieux. C'est le repas de la communion fraternelle, une anticipation du banquet céleste.
(1) Cf. Jn 1, 3 et 14.
(2) Cf. Eph. 1, 10.
(3) Cf. Jn 3, 16; Rom.5, 8-10
(4) Cf. Act. 2, 36; Mt. 28, 18.
(5) Cf. Rom. 145, 16.
Gaudium et Spes39Terre nouvelle et cieux nouveaux

1. Nous ignorons le temps de l'achèvement de la terre et de l'humanité (1), nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la figure de ce monde déformée par le péché (2); mais, nous l'avons appris, Dieu nous prépare une nouvelle terre où régnera la justice (3) et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au coeur de l'homme (4). Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans le Christ, et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira l'incorruptibilité (5). La charité et ses oeuvres demeureront (6) et toute cette création que Dieu a faite pour l'homme sera délivrée de l'esclavage de la vanité (7).

2. Certes, nous savons bien qu'il ne sert à rien à l'homme de gagner l'univers s'il vient à se perdre lui-même (8), mais l'attente de la nouvelle terre, loin d'affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller: le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C'est pourquoi, s'il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d'importance pour le royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine (9).

3. Car ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père "un royaume éternel et universel: royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d'amour et de paix" (10). Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra.
(1) Cf. Act. 1, 7.
(2) Cf.1 Cor. 7, 31 - St Irénée, Adv. Haer. V, 36, 1: PG 7, 1222.
(3) Cf. 2 Cor. 5, 2; 2 Petr. 3, 13
(4) Cf. 1 Cor. 2, 9; Apoc. 21, 4-5.
(5) Cf. 1 Cor. 15, 42 et 43.
(6) Cf. 1 Cor. 13, 8; 3, 14.
(7) Cf. Rom. 8, 19-21.
(8) Cf. Lc 9, 25.
(9) Cf. Pie XI, encyc. Quadrg. anno: AAS 23 (1931) p. 207.
(10) [Préface pour le Christ Roi].
Gaudium et Spes40Le rôle de l'Eglise dans le monde de ce temps

Rapports mutuels de l'Eglise et du monde

1. Tout ce que nous avons dit sur la dignité de la personne humaine, sur la communauté des hommes, sur le sens profond de l'activité humaine, constitue le fondement du rapport qui existe entre l'Eglise et le monde, et la base de leur dialogue mutuel (1). C'est pourquoi, en supposant acquis tout l'enseignement déjà fixé par le Concile sur le mystère de l'Eglise, ce chapitre va maintenant traiter de cette même Eglise en tant qu'elle est dans ce monde et qu'elle vit et agit avec lui.

2. Née de l'amour du Père éternel (2), fondée dans le temps par le Christ rédempteur, rassemblée dans l'Esprit-Saint (3), l'Eglise poursuit une fin salvifique et eschatologique qui ne peut être pleinement atteinte que dans le siècle à venir. Mais, dès maintenant présente sur cette terre, elle se compose d'hommes, de membres de la cité terrestre, qui ont vocation de former, au sein même de l'histoire humaine, la famille des enfants de Dieu, qui doit croître sans cesse jusqu'à la venue du Seigneur. Unie en vue des biens célestes, riche de ces biens, cette famille "a été constituée et organisée en ce monde comme une société"(4) par le Christ (5), et elle a été dotée "de moyens capables d'assurer son union visible et sociale"(6). A la fois "assemblée visible et communauté spirituelle", l'Eglise fait ainsi route avec toute l'humanité et partage le sort terrestre du monde; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, l'âme de la société humaine (7) appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu.

3. A vrai dire, cette compénétration de la cité terrestre et de la cité céleste ne peut être perçue que par la foi; bien plus, elle demeure le mystère de l'histoire humaine qui, jusqu'à la pleine révélation de la gloire des fils de Dieu, sera troublée par le péché. Mais l'Eglise, en poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne communique pas seulement à l'homme la vie divine; elle répand aussi, et d'une certaine façon sur le monde entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en guérissant et en élevant la dignité de la personne humaine, en affermissant la cohésion de la société et en procurant à l'activité quotidienne des hommes un sens plus profond, la pénétrant d'une signification plus haute. Ainsi, par chacun de ses membres comme par toute la communauté qu'elle forme, l'Eglise croit pouvoir largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire.

4. En outre, l'Eglise catholique fait grand cas de la contribution que les autres Eglises chrétiennes ou communautés ecclésiales ont apportée et continuent d'apporter à la réalisation de ce même but; et elle s'en réjouit. En même temps, elle est fermement convaincue que, pour préparer les voies à l'Evangile, le monde peut lui apporter une aide précieuse et diverse par les qualités et l'activité des individus ou des sociétés qui le composent. Voici quelques principes généraux concernant le bon développement des échanges entre l'Eglise et le monde et de leur aide mutuelle dans les domaines qui leur sont en quelque sorte communs.
(1) Cf. Paul VI, encyc. Eccl. Suam, III: AAS 56 (1964), pp. 637-659.
(2) Cf. Tit. 3, 4.
(3) Cf. Eph. 1, 3, 5-6. 13-14, 23.
(4) Conc. Vatic. II Cont. dogm. de Ecclesia, n°8.
(5) ibid. n°9; cf. n° 8.
(6) ibid. n° 8.
(7) Cf. Ibid, n°38, cum nota 120.
Gaudium et Spes41Aide que l'Eglise veut offrir à tout homme

1. L'homme moderne est en marche vers un développement plus complet de sa personnalité, vers une découverte et une affirmation toujours croissantes de ses droits. L'Eglise, pour sa part, qui a reçu la mission de manifester le mystère de Dieu, de ce Dieu qui est la fin ultime de l'homme, rejette tout esclavage qui enfin de compte provient du péché (1) (cf Rom. 8, 14-17) et révèle en même temps à l'homme le sens de sa propre existence, c'est-à-dire sa vérité essentielle. L'Eglise sait parfaitement que Dieu seul, dont elle est la servante, répond aux plus profonds désirs du coeur humain que jamais ne rassasient pleinement les nourritures terrestres. Elle sait aussi que l'homme, sans cesse sollicité par l'Esprit de Dieu, ne sera jamais tout à fait indifférent au problème religieux, comme le prouvent non seulement l'expérience des siècles passés, mais de multiples témoignages de notre temps. L'homme voudra toujours connaître, ne serait-ce que confusément, la signification de sa vie, de ses activités et de sa mort. Ces problèmes, la présence même de l'Eglise les lui rappelle. Or Dieu seul, qui a créé l'homme à son image et l'a racheté du péché, peut répondre à ces questions en plénitude. Il le fait par la révélation dans son Fils, qui s'est fait homme. Quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme.

2. Appuyée sur cette foi, l'Eglise peut soustraire la dignité de la nature humaine à toutes les fluctuations des opinions qui, par exemple, rabaissent exagérément le corps humain, ou au contraire l'exaltent sans mesure. Aucune loi humaine ne peut assurer la dignité personnelle et la liberté de l'homme comme le fait l'Evangile du Christ, confié à l'Eglise. Cet Evangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix, enseigne sans relâche à faire fructifier tous les talents humains au service de Dieu et pour le bien des hommes, enfin confie chacun à l'amour de tous (2). Tout cela correspond à la loi fondamentale de l'économie chrétienne. Car, si le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l'histoire humaine et de l'histoire du salut, cet ordre divin lui-même, loin de supprimer la juste autonomie de la créature, et en particulier de l'homme, la rétablit et la confirme au contraire dans sa dignité.

3. C'est pourquoi l'Eglise, en vertu de l'Evangile qui lui a été confiée, proclame les droits des hommes, reconnaît et tient en grande estime le dynamisme de notre temps qui, partout, donne un nouvel élan à ces droits. Ce mouvement toutefois doit être imprégné de l'esprit de l'Evangile et garanti contre toute idée de fausse autonomie. Nous sommes, en effet, exposés à la tentation d'estimer que nos droits personnels ne sont pleinement maintenus que lorsque nous sommes dégagés de toute norme de la loi divine. Mais, en suivant cette voie, la dignité humaine, loin d'être sauvée, s'évanouit.
(1) Cf. Rom.8, 14-17.
(2) Cf. Mat. 22, 39.
Gaudium et Spes42Aide que l'Eglise cherche à apporter à la société humaine

1. L'union de la famille humaine trouve une grande vigueur et son achèvement dans l'unité de la famille des fils de Dieu, fondée dans le Christ (1).

2. Certes, la mission propre que le Christ a confiée à son Eglise n'est ni d'ordre politique, ni d'ordre économique ou social: le but qu'il lui a assigné est d'ordre religieux (2). Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine. De même, lorsqu'il le faut et compte tenu des circonstances de temps et de lieu, l'Eglise peut elle-même, et elle le doit, susciter des oeuvres destinées au service de tous, notamment des indigents, comme les oeuvres charitables et autres du même genre.

3. L'Eglise reconnaît aussi tout ce qui est bon dans le dynamisme social d'aujourd'hui, en particulier le mouvement vers l'unité, les progrès d'une saine socialisation et de la solidarité au plan civique et économique. En effet, promouvoir l'unité s'harmonise avec la mission profonde de l'Eglise, puisqu'elle est "dans le Christ, comme le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen du l'union intime avec Dieu, et de l'unité de tout le genre humain" (3). Sa propre réalité manifeste ainsi au monde qu'une véritable union sociale visible découle de l'union des esprits et des coeurs, à savoir de cette foi et de cette charité, sur lesquelles, dans l'Esprit-Saint, son unité est indissolublement fondée. Car l'énergie que l'Eglise est capable d'insuffler à la société moderne se trouve dans cette foi et dans cette charité effectivement vécues et ne s'appuie pas sur une souveraineté extérieure qui s'exercerait par des moyens purement humains.

4. Comme de plus, de par sa mission et sa nature, l'Eglise n'est liée à aucune forme particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou social, par cette universalité même, l'Eglise peut être un lien très étroit entre les différentes communautés humaines et entre les différentes nations, pourvu qu'elles lui fassent confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour l'accomplissement de sa mission. C'est pourquoi l'Eglise avertit ses fils, et même tous les hommes, qu'il leur faut dépasser, dans cet esprit de la famille des enfants de Dieu, toutes les dissensions entre nations et entre races et consolider de l'intérieur les légitimes associations humaines.

5. Tout ce qu'il y a de vrai, de bon, de juste, dans les institutions très variées que s'est données et que continue à se donner le genre humain, le Concile le considère donc avec un grand respect. Il déclare aussi que l'Eglise veut aider et promouvoir toutes ces institutions, pour autant qu'il dépend d'elle, et que cette tâche est compatible avec sa mission. Ce qu'elle désire par-dessus tout, c'est de pouvoir se développer librement, à l'avantage de tous, sous tout régime qui reconnaît les droits fondamentaux de la personne, de la famille, et les impératifs du bien commun.
(1) Cf. Conc. Vatic. II, Const. dogm. de Ecclesia, n°9.
(2) Cf. Pie XII, alloc. ad cultores historiae et artis, 9.03.56: AAS 48 (1956) p. 212. [son divin fondateur, Jésus-Christ, ne lui a donné aucun mandat ni fixé aucune fin d'ordre culturel. Le but que le Christ lui assigne est strictement religieux (...). L'Eglise doit conduire les hommes à Dieu, afin qu'ils se livrent à lui sans réserve (...) L'Eglise ne peut jamais perdre de vue ce but strictement religieux, surnaturel. Le sens de toutes ses activités, jusqu'au dernier canon de son Code, ne peut être que d'y concourir directement ou indirectement].
(3) Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n° 1.
Gaudium et Spes43Aide que l'Eglise, par les chrétiens, cherche à apporter à l'activité humaine

1. Le Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l'une et de l'autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l'esprit de l'Evangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future (1) croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir plus pressant (2). Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à l'inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités terrestres en agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse - celle-ci se limitant alors pour eux à l'exercice du culte et à quelques obligations morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps. Ce scandale, déjà dans l'Ancien Testament les prophètes le dénonçaient avec véhémence (3) et, dans le Nouveau Testament avec plus de force, Jésus-Christ lui-même le menaçait de graves châtiments (4). Que l'on ne crée donc pas d'opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d'une part, la vie religieuse d'autre part. En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien lus, envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel. A l'exemple du Christ qui mena la vie d'un artisan, que les chrétiens se réjouissent plutôt de pouvoir mener toutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques, techniques, avec les valeurs religieuses, sous la souveraine ordonnance desquelles tout se trouve coordonné à la gloire de Dieu.

2. Aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. Lorsqu'ils agissent, soit individuellement, soit collectivement, comme citoyens du monde, ils auront donc à coeur, non seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d'y acquérir une véritable compétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu'eux. Conscients des exigences de leur foi et nourris de sa force, qu'ils n'hésitent pas, au moment opportun, à prendre de nouvelles initiatives et à en assurer la réalisation. C'est à leur conscience, préalablement formée, qu'il revient d'inscrire la loi divine dans la cité terrestre. Qu'ils attendent des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu'ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu'ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l'enseignement du magistère (5), qu'ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités.

3. Fréquemment, c'est leur vision chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou telle solution, selon les circonstances. Mais d'autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit. S'il arrive que beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n'a le droit de revendiquer d'une manière exclusive pour son opinion l'autorité de l'Eglise. Que toujours, dans un dialogue sincère, ils cherchent à s'éclairer mutuellement, qu'ils gardent entre eux la charité et qu'ils aient avant tout le souci du bien commun.

4. Les laïcs, qui doivent activement participer à la vie totale de l'Eglise, ne doivent pas seulement s'en tenir à l'animation chrétienne du monde, mais ils sont aussi appelés à être, en toute circonstances et au coeur même de la communauté humaine, les témoins du Christ.

5. Quant aux évêques, qui ont reçu la charge de diriger l'Eglise de Dieu, qu'ils prêchent avec leurs prêtres le message du Christ de telle façon que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière de l'Evangile. En outre, que tous les pasteurs se souviennent que, par leur comportement quotidien et leur sollicitude (6), ils manifestent au monde un visage de l'Eglise d'après lequel les hommes jugent de la force et de la vérité du message chrétien. Par leur vie et par leur parole, unis aux religieux et à leurs fidèles, qu'ils fassent ainsi la preuve que l'Eglise, par sa seule présence, avec tous les dons qu'elle apporte, est une source inépuisable de ces énergies dont le monde d'aujourd'hui a le plus grand besoin. Qu'ils se mettent assidûment à l'étude, pour être capables d'assumer leurs responsabilités dans le dialogue avec le monde et avec des hommes de toute opinion. Mais surtout, qu'ils gardent dans leur coeur ces paroles du Concile: "Parce que le genre humain, aujourd'hui de plus en plus, tend à l'unité civile, économique et sociale, il est d'autant plus nécessaire que les prêtres, unissant leurs préoccupations et leurs moyens sous la conduite des évêques et du Souverain Pontife, écartent tout motif de dispersion pour amener l'humanité entière à l'unité de la famille de Dieu" (7).

6. Bien que l'Eglise, par la vertu de l'Esprit-Saint, soit restée l'épouse fidèle de son Seigneur et n'ait jamais cessé d'être dans le monde le signe du salut, elle sait fort bien toutefois que, au cours de sa longue histoire, parmi ses membres (8), clercs et laïcs, il n'en manque pas qui se sont montrés infidèles à l'Esprit de Dieu. De nos jours aussi, l'Eglise n'ignore pas quelle distance sépare le message qu'elle révèle et la faiblesse humaine de ceux auxquels cet Evangile est confié. Quel que soit le jugement de l'histoire sur ces défaillances, nous devons en être conscients et les combattre avec vigueur afin qu'elles ne nuisent pas à la diffusion de l'Evangile. Pour développer ses rapports avec le monde, l'Eglise sait également combien elle doit continuellement apprendre de l'expérience des siècles. Guidée par l'Esprit-Saint, l'Eglise, notre Mère, ne cesse d'exhorter ses fils à se purifier et à se renouveler, "pour que le signe du Christ brille avec plus d'éclat sur le visage de l'Eglise" (9).
(1) Cf. Héb. 13, 14.
(2) Cf. 2 Thess. 3, 6-13; Eph. 4, 28.
(3) Cf. Is. 58, 1-12.
(4) Cf. Mt. 23, 3-33; Mc. 7, 10-13.
(5) Cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Magistra, IV, AAS 53 (1961),pp.456-457; cf. I: AAS, l.c. pp. 407, 410-411.
(6) Cf. Conc. Vat. II, Cons. dogm. de Ecclesia, n°28.
(7) Ibid. n°28.
(8) Cf. St Ambroise, De virginitate, VIII 48: PL 16,278.
(9) Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n° 15.
Gaudium et Spes44Aide que l'Eglise reçoit du monde d'aujourd'hui

1. De même qu'il importe au monde de reconnaître l'Eglise comme une réalité sociale de l'histoire et comme son ferment, de même l'Eglise n'ignore pas tout ce qu'elle a reçu de l'histoire et de l'évolution du genre humain.

2. L'expérience des siècles passés, le progrès des sciences, les richesses cachées dans les diverses cultures, qui permettent de mieux connaître l'homme lui-même et ouvrent de nouvelles voies à la vérité, sont également utiles à l'Eglise. En effet, dès les débuts de son histoire, elle a appris à exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues des divers peuples et, de plus, elle s'est efforcée de le mettre en valeur par la sagesse des philosophes: ceci afin d'adapter l'Evangile, dans les limites convenables, et à la compréhension de tous et aux exigences des sages. A vrai dire, cette manière appropriée de proclamer la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation. C'est de cette façon, en effet, que l'on peut susciter en toute nation la possibilité d'exprimer le message chrétien selon le mode qui lui convient, et que l'on promeut en même temps un échange vivant entre l'Eglise et les diverses cultures (1). Pour accroître de tels échanges, l'Eglise, surtout de nos jours où les choses vont si vite et où les façons de penser sont extrêmement variées, a particulièrement besoin de l'apport de ceux qui vivent dans le monde, et en épousent les formes mentales, qu'il s'agisse des croyants ou des incroyants. Il revient à tout le peuple de Dieu, notamment aux pasteurs et aux théologiens, avec l'aide de l'Esprit-Saint, de scruter, de discerner et d'interpréter les multiples langages de notre temps et de les juger à la lumière de la parole divine, pour que la vérité révélée puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme plus adaptée.

3. Comme elle possède une structure sociale visible, signe de son unité dans le Christ, l'Eglise peut aussi être enrichie, et elle l'est effectivement, par le déroulement de la vie sociale: non pas comme s'il manquait dans la constitution que le Christ lui a donnée, mais pour l'approfondir, la mieux exprimer et l'accommoder d'une manière plus heureuse à notre époque. L'Eglise constate avec reconnaissance qu'elle reçoit une aide variée de la part d'hommes de tout rang et de toute condition, aide qui profite aussi bien à la communauté qu'elle forme qu'à chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui contribuent au développement de la communauté humaine au plan familial, culturel, économique et social, politique (tant au niveau national qu'au niveau international), apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non négligeable à la communauté ecclésiale, pour autant que celle-ci dépend du monde extérieur. Bien plus, l'Eglise reconnaît que, de l'opposition même de ses adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré de grands avantages et qu'elle peut continuer à le faire (2).
(1) Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia n°13.
(2) Cf. Justin, Dialogus cum Tryphone, 110: PG 6, 729; éd. Otto 1897, pp. 391-393: [... au contraire, plus nous sommes persécutés, plus s'accroît le nombre de ceux que le nom du Christ amène à la foi et à la religion"] Cf. Tertullien, Apologeticus, cap. L, 13: [nous devenons même plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez (=persécutez): c'est une semence que le sang des chrétiens!"] Cf. Const. dogm. de Ecclesia, n°9.
Gaudium et Spes45Le Christ alpha et oméga

1. Qu'elle aide le monde ou qu'elle reçoive de lui, l'Eglise tend vers un but unique: que vienne le règne de Dieu et que s'établisse le salut du genre humain. D'ailleurs, tout le bien que le peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l'Eglise est "le sacrement universel du salut (1)" manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l'amour de Dieu pour l'homme.

2. Car le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui. Le Seigneur est le terme de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les coeurs et la plénitude de leurs aspirations (2). C'est lui que le Père a ressuscité d'entre les morts, a exalté et à fait siéger à sa droite, le constituant juge des vivants et des morts. Vivifiés et rassemblés en son Esprit, nous marchons vers la consommation de l'histoire humaine qui correspond pleinement à son dessein d'amour:"ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre" (Eph. 1, 10).

3. C'est le Seigneur lui-même qui le dit: "Voici que je viens bientôt et ma rétribution est avec moi, pour rendre à chacun selon ses oeuvres. Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin" (Apoc. 22, 12-13).
(1) Conc. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia, n° 48
(2) Cf. Paul VI, alloc. du 3 février 1965 habita.
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Publié: 30/11/1959