Tergiversations devant la prière de Charles de Foucauld

Texte de la prière d’abandon de Charles de Foucauld.

Tu le sais, Seigneur, car plusieurs fois je t’en ai parlé, je me fais un peu de mouron, en constatant la vie assez confortable que je mène aujourd’hui, vie que j’ai moi-même contribué, en partie, à organiser pendant ma période active. Je vis dans un pays au climat encore tempéré, relativement démocratique, en paix avec ses voisins depuis plus de cinquante ans. Ma maison est agréable, pleine de jolies choses qui me plaisent ; malgré la crise j’ai de quoi satisfaire convenablement mes besoins vitaux.
Voila le bilan sur le plan matériel. Ce qui n’est pas le plus fort, mais a quand même son importance.
D’un autre côté, je profite d’une bonne paroisse, de groupes d’amis dévoués et enrichissants, et d’une famille nombreuse où il n’y a pas, pour le moment, de gros problèmes de santé ou de chômage et qui ont à cœur de m’associer à toutes leurs fêtes et rencontres.
Il y a bien quelques points noirs, naturellement, mais dans l’ensemble j’estime que je suis favorisée, voire très favorisée, c’est indubitable.

Or je le sais, on ne chemine pas vers Toi en se contentant de se laisser entraîner sur un long fleuve tranquille. Devenir chrétien exige un effort certain car grâce au “Mauvais”, on est plutôt attiré par le mal que par le bien. Profondément, en réfléchissant, on voit qu’on pense d’abord à soi, avant de penser aux autres. Je suis plus touchée par les événements bons ou mauvais qui arrivent à mes proches ou à moi-même que par ceux qui arrivent aux autres. Et plus les autres sont éloignés géographiquement ou sur le plan relationnel plus cela me laisse froide. L’amour des autres ne m’étouffe pas, ça aussi c’est indubitable. Saint Jean dans son évangile () m’en donne la preuve quand il raconte l’entretien qui a eu lieu entre Toi-même, Seigneur, et Pilate devant qui Tu comparais en accusé. Tu es royal et vraiment libre, car Tu penses à Pilate, uniquement à Pilate et pas du tout à Toi, qui pourtant es dans une situation des plus risquées, c’est peu de le dire.

Mais hier, en visitant une maison de retraite, où je serai sans doute contrainte de m’accoutumer, j’ai été très déprimée car ce lieu est rempli de personnes très diminuées sur le plan mental, très défigurées sur le plan physique. Et l’une d’elles m’a dit que c’était dur, très dur de vivre parfois très longtemps cette déchéance. Or il y a de fortes chances pour que ce soit l’avenir qui m’attend.

Toi, Seigneur, tu prends ton temps et Tu vois ce dont j’ai besoin. Alors à moi de profiter au mieux des moments plaisants et de me tenir prête à vivre les moments plus difficiles où je n’aurai plus qu’à essayer d’offrir, sans trop me révolter, ces décrépitudes et ces souffrances. Mais je ne suis pas sûre d’y arriver.

Quant à dire qu’il n’y a aucune mesure entre le mal qu’on est appelé à subir par rapport aux félicités qui nous attendent, je laisse à saint Paul la responsabilité de ses dires.

En ce qui me concerne, j’attends de voir avant de me prononcer car, bien que ce soit idiot, puisque cela ne dépend absolument pas de moi, j’ai du mal à m’associer à la prière de Charles de Foucauld où on dit au Père : "Fais de moi ce qu’il te plaira, je suis prête à tout, j’accepte tout."
Ça me reste en travers de la gorge. J’avoue avoir une nette préférence pour une fin de vie brutale et rapide où on se réveille mort, comme on dit dans le Midi.

Seigneur, je me permets d’insister sur ma préférence.
S’il Te plaît !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/12/2016