Peut-on devenir saint en menant une vie ordinaire ?

Lors d’une retraite animée par Nathalie G., retraite dont le thème était « Adhérer à sa vie », elle a attiré notre attention sur le fait que Marie avait vécu de longues périodes ordinaires comme la plupart d’entre nous, et j’ai pensé que Jésus aussi, avait vécu les trois quart, peut être les quatre cinquième de sa vie, de façon très ordinaire, pendant sa jeunesse et son adolescence et les débuts de sa vie d’adulte de Nazareth. Et il était saint. Comme quoi on peut espérer que la vie ordinaire n’est pas, de facto, contraire à la sainteté. Et je me suis sentie pousser à imaginer un dialogue entre Marie et Joseph, son père officiel :

« Si, si, je t’assure Marie, tu t’inquiètes en pure perte, nous avons un bon garçon, un très bon garçon. »

« Mais je le sais bien, Joseph. N’empêche, il a quand même fait une fugue dernièrement à Jérusalem ; souviens-toi pendant trois jours et trois nuits, on l’a cherché comme des fous. Je pleurais à chaudes larmes et toi, tu n’étais pas fier. »

« C’est exact, je te l’accorde. Mais quand on l’a vu au temple, il nous a expliqué sa façon d’envisager la situation, et dès que tu as parlé de notre angoisse, de notre désespoir, il nous a suivis, bien que les prêtres et les lévites aient offert de le garder pour parfaire son éducation. C’est même lui qui leur a dit gentiment, mais fermement : « Je rentre à Nazareth. » Et depuis il est comme avant, c’est-à-dire impeccable. J’aurais envie de dire qu’il est adorable, bien que ce terme ne soit pas à employer pour un simple mortel, mais en ce qui le concerne, c’est ce qui me vient à l’esprit. »

« La, je suis d’accord. Il est parfois étonnant. Tu te rappelles quand il a sauvé Benjamin de la noyade ? C’est sa mère qui me l’a dit. Il n’en avait même pas parlé, et quand je lui ai demandé comment c’était arrivé il m’a dit en riant « mais c’est tout simple maman : Benjamin se promenait avec sa mère le long du ruisseau qui avait grossi, à cause du gros orage d’avant-hier ; son pied a glissé et il est tombé à l’eau. Comme papa m’a appris à nager, j’ai plongé et j’ai pu le ramener. Et du coup, je vais lui apprendre à nager. Il a vu que ça pouvait être utile. »

« Vraiment très simple en effet ! Est-ce que tu as remarqué Marie qu’il m’appelle Papa mais jamais Père. Il nous a dit qu’il n’avait qu’un seul Père, le Père des cieux qui est aussi notre père à tous, en tant qu’enfants adoptifs. Mais j’avoue que je n’ai pas très bien compris ce qu’il disait. »

« Moi aussi je ne comprends pas toujours tout ce qu’il dit. Mais j’y réfléchis et je le porte dans mon cœur. Je pense que ça s’éclairera plus tard, peut-être.
Faut avouer que parfois notre garçon est étrange voire mystérieux. Nous prions chaque jour, tous les trois ensemble, avec les psaumes et nous allons à la synagogue chaque fois qu’il y a une cérémonie. Mais lui, depuis qu’il a sept ans à peu près, je le surprends quelquefois, assis, tranquille, les yeux fermés. Je lui ai demandé la première fois « Ça va mon petit ? » et il m’a répondu : « Oui, oui maman, ne t’inquiète pas. As-tu besoin de moi ? » J’ai dit : non et depuis, je ne le dérange plus dans ces moments de silence qui reviennent assez souvent. Actuellement je le soupçonne de se lever pendant la nuit, car le matin quand je lui demande : « Tu as bien dormi mon poussin ? Jamais il ne parle de son sommeil, il dit seulement « oui, oui maman j’ai passé une très bonne nuit, une nuit excellente » et il est tout épanoui et tout reposé ; il est vraiment attachant ce gosse ! »

« Tu parles ! Est-ce que tu t’es rendu compte que grâce à lui, tous les petits nazaréens savent parfaitement lire maintenant, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Parce qu’enfin, il faut reconnaître que notre chef de synagogue ne brille pas par la patience. Comme Jésus s’est très bien débrouillé, et a su lire assez vite, il ne s’est pas attardé avec les autres qui avaient quelques difficultés. D’autant qu’il s’est rendu compte que notre fils aidait ses petits camarades. Alors, il ne s’est plus du tout gêné, plus du tout et a terminé ses cours en disant : « Si vous n’avez pas compris, demandez à Jésus de vous expliquer…
Cela a fonctionné comme ça pendant quelques temps, mais lui, il ne s’en occupe plus. Il laisse ce soin à d’autres qui le font très bien. Cela passe de génération en génération et depuis tous les gosses savent très bien lire : C’est génial ! »

« Je le sais Joseph, notre fils est extra. Tu te souviens quand il est venu en aide à notre voisine Sarah. Sa chatte qu’elle aime beaucoup, et qui lui tient chaud l’hiver quand elle ronronne sur ses genoux ankylosés, a été poursuivie par un chien errant. La pauvre bête a sauté dans un bougainvillier. Le chien ne pouvait plus l’attraper, mais elle était empêtrée dans les branchages, elle miaulait désespérément, et serait morte si notre garçon qui passait par-là ne s’était précipité, et malgré les épines, il a réussi à la délivrer. Mais lui, il avait des épines un peu partout, surtout sur la tête et les bras. J’ai eu du mal pour le soigner. »

« C’est vrai, moi aussi je l’ai vu. Il n’était pas beau à voir. Mais tu le sais il aime bien les animaux, et il a empêché ce fier à bras de Philippe de battre sauvagement son pauvre chien ; histoire de le faire devenir féroce (le chien pas Philippe encore que ce garçon ne soit pas des plus doux) Philippe a ergoté, a fait mine de fouetter Jésus qui était plus petit que lui, mais finalement notre fils l’a calmé. Il a du cran notre petit ! »

« Tu sais Joseph, ce que j’aime bien aussi chez lui c’est qu’il est câlin. Depuis qu’il est tout petit, il a su me manifester sa tendresse, et même grand garçon ou jeune homme, quand il passe derrière moi, il lui arrive de me faire des tas de petits bisous dans le cou ou alors il m’offre une jolie fleur ou même un gros bouquet suivant ses trouvailles. Vrai, ce garçon est une merveille. Toutes les femmes de Nazareth me le disent, car il est prêt, toujours prêt à rendre service, par exemple à cueillir les cerises sur les plus hautes branches ou de belles pommes sur un vieux pommier rabougri, difficile à escalader. Il lui arrive de porter de l’eau, de rentrer du bois, d’aider à étendre des draps lavés et mouillés pour qu’ils sèchent sur l’herbe ; ce qui est considéré comme un travail réservé aux femmes ; mais quand ça se trouve, il le fait quand même. Il aide tout le monde sans distinction, chaque fois qu’il est libre. Mais il a une préférence pour les personnes malades ou âgées. Et il a appris à faire un tas de choses, que sais-je : étêter la vigne, biner les fèves, ramasser les olives, ce qui n’est pas très agréable en hiver quand souffle le vent froid. Et tout cela il le fait en souriant, à croire que ça lui fait plaisir de dépanner tous ceux qui font appel à lui. C’est sûr, à Nazareth on l’aime bien. Pourvu que ça dure… »

« Tu as raison, Marie ; je sais qu’on l’aime bien et dans mon métier de charpentier, il est devenu un as, appliqué, adroit, inventif, aimant à caresser le bois pour voir où le travailler. Je crois bien que maintenant il me dépasse ; ce qu’il fait devient une vraie beauté.
Bref, ça fait beaucoup de qualités, beaucoup, beaucoup trop peut-être. On pourrait le trouver exaspérant voire décourageant... mais tiens toi bien, il nous donne envie de l’imiter. Je ne sais pas trop comment, il s’y prend, mais c’est comme ça. Il donne l’impression, (mais ce n’est qu’une impression) qu’on a du prix à ses yeux qu’on est important pour lui et qu’il souhaite nous entraîner vers son Père des cieux. Il ne le dit pas aux autres pour le moment mais à moi il me le dit. Il y pense, je le sais, le sens. Et compte tenu de ce que l’ange t’a dit au moment de sa conception, ce serait normal.
Mais il lui faudra quitter Nazareth, c’est un trop petit village. Et pour nous ce sera dur. Et pour lui aussi sans doute.
En attendant, je sais que nous avons eu une chance je ne dis pas, infernale, ce serait impie mais une chance incroyable de l’avoir pour fils. Allez viens que je t’embrasse ! »

Jésus qui passait par-là, leur a jeté : « Ca va les amoureux ? Vous le savez sûrement, mais je vous le signale : c’est aujourd’hui la date anniversaire de votre mariage, aussi je vous ai fait une petite surprise pour le dîner. J’espère que vous allez vous régaler. »

Et oui, en plus il sait faire la cuisine avec talent. Il est confondant ce garçon. On ne peut que l’aimer très, très fort et en tirer une joie profonde, je dirai même exaltante.

Ah ! Merci Seigneur, pour ce cadeau somptueux de ta venue sur terre !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/02/2013