La nouvelle évangélisation ou plutôt l’Évangile toujours nouveau

La plupart du temps, quand je prends ce que j’appelle un moment de prière, je commence par étaler devant Toi mon Père tout ce qui constitue ma vie, ce que j’ai fait ou ce que j’ai omis de faire la veille, le bien, le mal, la banalité de mes petites occupations de ce jour qui commence, le désir malgré tout de Te plaire, en pensant aussi que c’est peut-être mon dernier jour de vie et je Te l’offre ; puis je passe aux recommandations pour tous ceux que j’aime ou que j’aime moins et je termine par la prière des Heures, en m’associant à la louange des clercs de par le monde. Et une fois que je T’ai bien parlé, je Te demande ce que Tu en penses et prends mon livret Prions en Église pour entendre ce que Tu as à me dire.

Aujourd’hui, j’ai droit à la parabole du bon Samaritain. Je la connais par cœur ; et une fois de plus, je vais admirer l’admirable façon dont cet hérétique, cet étranger, va prendre soin du pauvre éclopé qui est tombé dans les mains de bandits qui l’ont blessé et détroussé. Il le fait avec compétence, avec compassion, avec générosité et discrétion. Drôlement bien, ce Samaritain ! On souhaite lui ressembler. Et j’ai bien aimé aussi, ton petit coup de patte humoristique contre les deux BCBG : un lévite et un prêtre qui passent devant le blessé, en accélérant leur course, sans songer à lui venir en aide. Deux personnages socialement bien sous tout rapport, qui se conduisent comme des malpropres. Dans notre droit actuel, ils pourraient être poursuivis pour non-assistance à personne en danger. Mais de leur temps, me dit mon petit livre, ils étaient parfaitement en droit de penser qu’ils ne pouvaient agir autrement. Ils risquaient de se souiller en touchant un homme à demi mort, dit le Lévitique (), et même ils ne pouvaient plus s’acquitter de leur tâche cultuelle pendant sept jours, dit le Livre des Nombres (). Ils avaient donc des raisons, de bonnes raisons de s’abstenir.

Ça me fait réfléchir, et ça m’inquiète. Car je songe qu’en tant qu’ancien magistrat, j’aurais du mal à m’activer dans une association qui œuvre pour permettre à ceux qui sont dans la rue de squatter des immeubles inoccupés (contre la volonté des propriétaires). Quelque part, ça me gênerait.
Car s’il est inadmissible que des personnes et à plus forte raison des familles entières en soient réduites à vivre et à dormir dans la rue, il ne faut pas non plus faire fi du droit des propriétaires, pas forcement fortunés, qui peuvent avoir des raisons très valables pour fermer leur immeuble.
En plus en tant qu’ancien juge chargé de faire appliquer la loi, ça la foutrait mal, si je passais en correctionnelle, Tu ne crois pas, Seigneur ?

Finalement ce que je prenais pour une boutade concernant ta remarque sur le lévite et le prêtre est loin d’en être une. C’est beaucoup plus profond. Cela signifie que quand une loi humaine, voire ecclésiale, est en contradiction absolue avec ton Evangile, il faut savoir choisir son camp.
Jusqu’ici mes activités associatives se sont bornées à alphabétiser quelques musulmanes, dont la situation administrative n’est sans doute pas très régulière, mais ça ne risque pas de me causer un ennui quelconque. Le choix ne se pose pas. Et professionnellement j’ai eu la chance de ne pas avoir à choisir non plus. Mais j’ai entendu parler de magistrats, pendant l’occupation, qui ont eu le grand courage de démissionner, ce qui les réduisait automatiquement au chômage avec des conséquences lourdes s’ils avaient une famille. Ils risquaient même d’être arrêtés et déportés pour refus de suivre Vichy et certaines de ses lois exécrables. Il y avait de quoi hésiter...

N’empêche Seigneur, je ne m’étais jamais penchée sur l’attitude des deux personnages qui figurent dans ta parabole. Ils ne font pas que de la figuration. Ils m’obligent à me poser une question. Qu’est ce que j’aurais fait à leur place ? Et je suis obligée de reconnaître que, placée devant certaines situations, je ne suis pas sûre de ma réponse...

Tu es terrible, Seigneur. J’étais si tranquille au début de ma réflexion... Je note même, Dieu me pardonne, une certaine satisfaction devant le bel ordonnancement de ma prière, et me voilà complètement déboussolée !
Seigneur, aie pitié ! Le voilà, ton coup de patte, mais comme c’est moi qui suis égratignée, je ne le trouve plus du tout humoristique.
Mais après tout, c’est ton boulot, Seigneur, de me réveiller. Alors je Te dis quand même : Deo gratias.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/05/2013