Une histoire de cochons, mais pas une histoire cochonne

Seigneur, encore un passage de tes écritures qui me reste hermétique. Si Tu arrives à me souiller une idée dont je puisse tirer profit, c’est que Tu es fort ! Mais non, je m’exprime mal, je ne doute pas que Tu es fort, ce dont je doute, c’est de ma disponibilité à T’entendre. Essayons quand même d’y voir mieux.

Le passage de l’Évangile qui m’embête, c’est celui qu’on trouve en St. Mathieu au ch. 8 versets 28 à 34 (>>Mt 8,28-34<<). On retrouve cette histoire dans les deux autres synoptiques, avec quelques petites différences. Mais chez Mathieu, c’est particulièrement obscur et même assez choquant !

Tu traverses le lac de Tibériade et te rends en pays étranger. En dehors de toute agglomération, dans un paysage désolé, Tu rencontres deux hommes qui ont complètement perdu les pédales. L’explication de Mathieu, qui est conforme à la mentalité du temps, c’est qu’ils sont possédés par des esprits impurs, des démons qui les rendent méchants. Ces esprits prennent la parole pour te poser une question. Ils ont l’air de T’avoir parfaitement reconnu et savent à qui ils ont affaire : " Vas-Tu nous faire souffrir longtemps ?" Curieuse question, et suggestion encore plus curieuse : " Si Tu dois nous expulser, accorde-nous d’aller dans ce troupeau de cochons qui n’est pas loin." Tu exauces ce vœu, et les cochons, animaux jugés impurs dans la religion juive, deviennent si perturbés qu’ils vont comme un seul homme, se précipiter du haut de la falaise dans le lac où ils vont se noyer. Lourde perte pour les propriétaires du troupeau qui vont Te prier d’aller ailleurs pour faire tes exploits. On les comprend, ils viennent d’être ruinés.
Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Quitte à faire mourir quelqu’un j’aurais préféré que ce soit les démons qui se noient, plutôt que ces pauvres bêtes qui n’y sont pour rien. Mais non, les démons sont parait-il sauvés, puisqu’ils retrouvent leur élément naturel la mer, c’est à dire la mort. Je sais en effet que de ton temps le lac de Tibériade était assimilé à une mer, et la mer à la mort.
Comment arriver à trouver une explication convenable à ce passage, Seigneur ? J’ai cherché dans les commentaires d’Evangile que je possède, j’ai interrogé tous ceux qui me paraissaient susceptibles de m’éclairer... On m’a parlé de tous les rappels bibliques, de tous les symboles inclus dans ce texte, mais ça ne ma rien apporté. C’est trop fort pour moi.

Je sais que je suis très cartésienne et que les symboles me laissent froide au même titre que les explications philosophiques ou même une grande partie des textes poétiques. Est-ce une raison pour que je sois coupée de Toi, Seigneur, et que Ta Parole résonne dans le vide ? Ça ne serait pas juste Seigneur. Car ce raisonnement cartésien, c’est Toi qui me l’a donné, ce n’est pas moi qui l’ai fabriqué. Mettons que les études juridiques que j’ai faites, n’ont rien arrangé. Mais de naissance, je suis plus matheuse que littéraire. C’est comme ça, je n’y peux rien. Alors qu’est ce que cette histoire de cochons et de possédés peut m’apporter ?

A ton époque, il me semble qu’on avait vite fait d’imputer aux forces démoniaques des signes de dérèglement dont on dit aujourd’hui qu’il s’agit simplement de maladies. Mais incontestablement, Tu as vraiment eu affaire aux démons. Ils ont essayé au désert de Te tenter, de s’attaquer à Toi. Et ils ont fait de même avec certains de tes amis. Je pense au curé d’Ars par exemple. En effet, ils se sentent mis en danger par tous ceux qui font le Bien. Et quand ils se sentent en danger, ils se défendent. Si ce n’était pas idiot, je dirais que c’est humain ! Et avec ce texte, une constatation s’impose : ils savent que Tu es plus fort qu’eux. Ils l’admettent et dans ce passage se montrent très polis, très respectueux vis à vis de Toi. Ils savent que Tu vaincras le mal. C’est une bonne chose à savoir. Mais je le savais déjà. Ça ne m’apporte rien de nouveau, ... encore que je n’y porte peut-être pas assez d’attention. Ainsi je n’ai pas le réflexe immédiat de faire appel à Toi, quand les média relatent dans le monde des situations catastrophiques engendrées par la méchanceté des hommes : guerres, famines, trafics en tous genres. Quand c’est moi qui suis en cause ou quand ce sont mes proches qui sont en difficulté, alors là, oui, je Te crie au secours. Mais quand les cataclysmes sont lointains, je le déplore certes, mais j’ai tendance, forte tendance même, à penser que je n’y peux rien ou pas grand chose … ce qui est une erreur.

Les démons le savent, eux ! Il ne faudrait tout de même pas que je me laisse distancer par les démons qui n’ont pas hésité à T’implorer. Ça serait un peu fort. Je me sens piquée. Faut que je réagisse. Savoir T’implorer quand les forces du mal se déchaînent, je n’y pensais pas vraiment. Et ça tombe bien ! À mesure que la vieillesse arrive, je constate mes impossibilités physiques à avoir telle ou telle activité, mais Te prier, je peux et en plus j’ai du temps.

Ah ! une fois de plus, merci, Seigneur. Tu m’as éclairée en me permettant de m’approprier une partie de ce texte, malgré mes limites. Certes tout n’est pas expliqué dans ce curieux passage. En ce qui concerne les cochons Tu as peut-être voulu nous dire qu’il fallait noyer ce qu’il y a de plus cochon en nous … mais ça me parait tiré par les cheveux. Je préfère m’en tenir à l’idée de savoir T’invoquer chaque fois que le mal avec un grand M a l’air de prendre le dessus sur terre. Seigneur donne-moi le goût de la prière, mais je Te préviens tout de suite, laisse les cochons tranquilles. Ça, je ne l’ai pas encaissé.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/03/2010