« N’emportez ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie et si on vous refuse, partez en secouant la poussière de vos pieds. »

Seigneur, ce que tu peux être oriental, dans ta façon de t’exprimer ! Tes conseils aux disciples, que tu envoies deux par deux porter la Bonne Nouvelle, ne peuvent aujourd’hui être appliqués à la lettre. C’est une image, une indication.

Tu souhaites que tes apôtres agissent en groupe, c’est-à-dire en fraternité, dans une pauvreté matérielle la plus radicale possible et en respectant totalement le refus de certains. Mais, à notre époque, il faut interpréter, adapter tes paroles. C’est évident ! Sinon, se trouveraient condamnés, par exemple, tous les moyens modernes de communication, à commencer par Internet Port St Nicolas, le Jour du Seigneur à la télé, la radio RCF, le journal La Croix, et toutes les revues innombrables qui parlent de toi.

Ils exigent, tu le sais, de gros moyens humains et financiers. Si, de manière fondamentaliste, on voulait appliquer ce que tu as dit, il faudrait les mettre tous au panier et fermer toutes les librairies catholiques. Ce qui serait, je le pense, contraire à ce que tu souhaites. Faut interpréter. Oui, mais à partir du moment où on interprète, comment savoir si on ne trahit pas ? Tu vois ce que je veux dire, Seigneur ?

Il est certain qu’à certaines époques de notre histoire, les clercs ont foulé aux pieds, complètement écrasé tes enseignements. Pendant notamment les Croisades, c’est sabre en main qu’on baptisait de gré ou de force. Pendant toute la monarchie, les charges ecclésiales étaient des bénéfices que le roi distribuait à ses fidèles pour leur permettre de s’enrichir, et, jusqu’à une époque récente, nos prélats étaient appelés princes de l’Eglise et jouissaient d’une notoriété certaine et arboraient des signes de richesse non équivoques. Il suffit de se promener dans n’importe quel palais épiscopal ou dans n’importe quel grand séminaire pour voir de somptueux tableaux où les anciens évêques du diocèse, personnages à forme rebondie sont habillés de soie, de brocart, de fourrure, de dentelles, assis dans des fauteuils ultra confortables, une énorme bague au doigt et le cou entouré d’une grosse chaîne ouvragée en or, se terminant par une belle croix qui vaut son pesant de cacahuètes.

De nos jours, heureusement, tout cela a disparu. Nos clercs sont pauvres, et il y a une telle indifférence pour tout ce qui touche à la religion qu’il n’est plus envisageable pour un père ou une mère de famille de souhaiter que sa progéniture embrasse la carrière ecclésiale pour avoir dans le monde une bonne situation. Mais, dans ma jeunesse, ça existait encore dans certains coins de France.

Et il y a encore, c’est vrai, pas mal de signes extérieurs de richesse. Il est assez fréquent d’appeler les évêques Monseigneur ou Eminence ; le pape a dit, lors d’une interview, que cela ne le gênait pas d’être appelé Très Saint Père ; et beaucoup de vieilles églises et presque toutes les cathédrales possèdent des trésors soigneusement mis à l’abri. Quant à la cité vaticane, il est impossible de la comparer à une HLM.

Nos clercs aujourd’hui sont habillés simplement. Après Vatican II bon nombre d’ecclésiastiques et de religieuses ont adopté un costume civil modeste. Les soutanes refont un peu surface et les congrégations qui voient nouvellement le jour adoptent souvent des vêtures moyenâgeuses. Mais tout cela fait partie d’un certain folklore extérieur qui ne prête pas vraiment à conséquence. Ça peut agacer dans un sens ou dans l’autre.

Par contre, il est certain que tous les clercs reçoivent une formation longue et coûteuse. Tous les prêtres sont bac plus 5 ou 6, au moins. Ça aussi c’est une richesse, et elle paraît si indispensable que le curé d’Ars a bien failli ne pas être ordonné, car il avait, dit-on, des difficultés avec l’étude du latin.

Nous aussi, les laïcs, nous sommes encouragés de plus en plus à prendre conscience de notre rôle missionnaire et, pour ce faire, nous sommes invités à suivre une formation sérieuse, à faire des retraites, et tout cela coûte cher, très cher. Alors faut-il se payer un voyage en Terre Sainte ou donner le prix du voyage à un frère démuni ? Pas facile de se décider.

Bref, il parait impossible, Seigneur, de donner des formules simples où, à coup sûr, je pourrais savoir ce qui est permis ou défendu, ce qui est à rejeter ou à adopter.

Je te retrouve bien là, Seigneur. Tu me veux libre. Tu m’as donné une ligne directrice, à moi d’en comprendre l’esprit et d’avancer en tâtonnant, en m’entourant de l’avis des autres, en te priant de me donner la lumière pour essayer d’aller vers toi.

Au fond, ne pas avoir la réponse sûre toute prête, c’est aussi une forme de pauvreté qui doit te plaire, hein, Seigneur ?

Mais, mon Dieu, que tu es dérangeant !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/07/2007