La Samaritaine

Je vais vous raconter une histoire incroyable ; moi-même, j’ai de la peine à m’y retrouver, mais quoi ! Les faits sont là. J’ai changé du tout au tout.
Pour bien comprendre, je vais commencer par le commencement. Il faut vous dire : dans ma petite enfance, j’ai été malheureuse, très malheureuse ; je n’avais pas de père et ma mère m’a confiée à une famille qui m’a maltraitée et a vraiment abusé de moi, dans tous les sens du terme.

Alors, j’en voulais à tout le genre humain, et plus spécialement aux hommes ; j’avais la haine dans le cœur. Et pendant quelques années, n’ayons pas peur des mots, je me suis prostituée. J’avais une certaine jouissance à salir ces hommes qui profitaient de moi ; c’est peut-être pas beau, mais faut me comprendre. J’avais tellement souffert quand j’étais toute petite, incapable de me défendre. J’avais été tellement souillée, il fallait que je me défoule.

Il y a quelque temps, j’ai connu un brave garçon, plutôt sympa. Il est du genre doux, câlin même. Je suis restée avec lui, mais je lui menais la vie dure ; jamais un mot gentil, je me levais tard, faisais rarement la cuisine ou le ménage et ne m’occupais pas de son linge. Lui, il acceptait, il disait qu’il m’aimait. Un pauvre type quoi ! Une vraie lavette !
Mais grâce à son salaire, il y avait de quoi se nourrir convenablement à la maison. Alors...

Un matin, assez tard, vers midi (je ne m’étais pas réveillée avant), je suis descendue au puits, à notre puits donné par notre père Jacob.
Un homme encore jeune, un Juif, était assis sur la margelle ; il était beau ; il paraissait fatigué, mais avait une allure noble.

Bien que je sois samaritaine, il s’est adressé à moi, et m’a demandé de lui puiser de l’eau ; par bravade, et parce qu’il me plaisait bien, j’ai engagé la conversation avec lui.

Je ne pourrais pas vous dire exactement ce que nous avons échangé. Ce que je sais, c’est qu’il me regardait avec de bons yeux francs, pleins de respect pour moi. Et ça, je n’y suis pas habituée. Ça m’a remuée. Finalement il m’a clairement fait comprendre qu’il avait deviné le genre de vie que je menais, et moi j’ai eu l’intuition que j’avais devant moi le Messie, celui que nous attendions tous en Israël. Il a reconnu que c’était lui !

Complètement bouleversée, je suis remontée au village, et sous le coup de l’émotion j’ai raconté ce qui venait de se passer, la révélation dont j’avais fait l’objet et ma conclusion. Le village en entier, intrigué par mes propos, est descendu à son tour. et eux aussi ont été retournés, convaincus. Ils l’ont invité et le Christ est resté deux jours, chez nous. Ce fut inoubliable !
Mon ami a été encore plus gentil que d’habitude, et il m’a remerciée d’avoir favorisé cette rencontre avec Jésus de Nazareth. Pourtant, je n’y suis pas pour grand chose. Et même, je trouve étonnant qu’il se soit adressé à la fille la moins présentable, à la plus pauvre pour servir d’intermédiaire entre lui et tous mes voisins.

Mais depuis, tous les gens de mon village ont changé à mon égard : les hommes ne ricanent plus en me voyant passer, les femmes ont cessé de détourner la tête, et les enfants ne courent plus après moi en me lançant des injures ; comme mon ami, ils me sont reconnaissants de cette visite.
Alors moi aussi, j’ai changé ; j’ai retrouvé la paix du cœur, la joie. Toute ma colère, mon amertume ont fondu. Je me suis réconciliée d’abord avec ma mère, à qui je ne parlais plus, et puis ensuite avec tous ceux qui m’entourent. Et je vois mon ami avec d’autres yeux : ce n’est pas un pauvre type, je me trompais, c’est un chic type, plein d’amour. Moi, aussi je l’aime et nous allons nous marier.

Ah, Seigneur ! Quel bien tu m’as fait. Comment te remercier de m’avoir permis de te rencontrer et de m’avoir choisie, moi la femme mécréante, pour te faire connaître.
Vrai, tu ne doutes de rien, Seigneur, et tu fais flèche de tout bois. Dire que si je n’avais pas été aussi paresseuse au lit, rien ne se serait passé. Ton eau vive m’a purifiée et rafraîchie, mais contrairement à ce que tu m’as dit, j’ai encore soif. Donne-moi encore de l’eau vive, Seigneur. Je voudrais te connaître, t’aimer de mieux en mieux, même si je m’y suis mise un peu tard. Je peux compter sur toi, hein, Seigneur !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/02/2005