Le mouton égaré

« Heureux les invités au repas du Seigneur »

Seigneur, j’aimerais bien que Tu te rendes compte qu’il n’est pas facile ni évident de penser à Toi et d’avoir envie d’avoir des relations avec Toi. Tu es le tout Autre, m’a t’on appris. Et c’est bien vrai.

Comment veux-Tu qu’on essaye de s’approcher de Toi ? On ne Te voit pas avec nos yeux, on ne T’entend pas avec nos oreilles, on ne peut pas Te toucher avec nos mains, on ne peut pas T’embrasser. C’est frustrant, je T’assure, et pas attractif.

Quand j’ai envie d’avoir des liens avec quelqu’un qui me paraît sympa, je peux lui téléphoner, lui écrire, l’inviter chez moi, lui faire partager mes émotions, lui parler de ce qui m’a choquée ou émerveillée, lui envoyer un petit cadeau, et lui fait de même… Avec Toi, rien de semblable, rien de palpable.

Tu nous invites à des célébrations eucharistiques, et à chaque fois on entend le célébrant dire : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » Mais je T’assure, il faut une bonne dose, une très bonne dose d’imagination pour admettre qu’on assiste à un banquet entre frères. Ça manque souvent d’entrain. On a beau mettre des cierges, des fleurs, et placer quelques chants, les personnes présentes donnent l’impression de remplir un devoir plutôt que de participer à une fête. Et les jeunes sont de plus en plus récalcitrants pour y venir. Faut être réaliste.

C’est pourtant, il est vrai, l’occasion d’entendre Ta parole en lisant des passages de la Bible dont on m’a appris qu’elle avait été inspirée par Toi. C’est sans doute vrai. Mais les textes lus ne correspondent pas forcément à mes préoccupations du moment et en plus, il y a des tas de passages assez obscurs ou mystérieux qui réclament un interprète.
Bref tout cela reste assez intellectuel et peu satisfaisant, je Te le dis tout net.

Pourtant il y a des moments où Ta parole résonne en moi, je le reconnais ; j’ai l’impression qu’elle a été écrite pour moi. Mais souvent j’ai du mal à la comprendre. Par exemple je viens d’entendre l’histoire du mouton égaré. Le bon berger laisse quatre-vingt-dix-neuf moutons se dépatouiller comme ils peuvent et il part à la recherche de celui qui s’est éloigné, égaré. Dans ton histoire, il y a une fin heureuse parce que Tu retrouves le mouton perdu qui devient le préféré, parce qu’il Te donne une joie immense, cent fois supérieure à celle que Te donnent les moutons qui sont restés pépères et corrects.

Alors je me demande : est-ce qu’il est indispensable, nécessaire de s’égarer, de faire des grosses bêtises en se mettant en danger, pour que Tu t’intéresses à moi. Tu parles de la joie des retrouvailles, parfait ; mais je suppose que Tu t’es fait un drôle de mauvais sang quand Tu t’es aperçu qu’il n’y avait plus que quatre-vingt-dix-neuf moutons au lieu de cent ; ça compte aussi, non ?

Et puis franchement, le sort du mouton égaré ne m’attire pas. De par mon éducation (favorisée, j’en conviens) je n’ai pas envie de faire la vie, à l’image du fils prodigue. Je préfère brouter paisiblement rentrer le soir à la bergerie, allaiter mes petits ou donner mon lait, mener une vie tranquille, sans histoire fâcheuse ou scabreuse, même s’il y a eu et s’il y aura des périodes plus ou moins difficiles, c’est inévitable. Prendre le risque de m’éloigner et de tomber sur un loup cruel me fait peur. Je préfère m’abstenir. Dans ces conditions, est ce que je peux espérer T’intéresser, espérer que Tu me prendras sur tes épaules ce qui me permettrait en retour d’entrer en relation privilégiée avec Toi ?

Et il me vient à l’esprit une réflexion de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui disait, en pensant à certains grands bandits, pécheurs publics, qu’elle, elle avait été pardonnée à l’avance de ces grosses erreurs. Sur le moment, ça ne m’avait pas paru très clair. Comment être pardonné de péchés qu’on n’a pas commis ?

Mais mon métier de juge des enfants m’a permis de comprendre qu’effectivement j’étais absolument semblable aux délinquants, aux pauvres gosses qui avaient affaire à moi. Placée dans les mêmes circonstances, j’aurais sans nul doute réagi de la même manière qu’eux. Bref j’ai reconnu que moi aussi, j’ai été pardonnée par avance. Je suis donc un mouton égaré, alors je T’intéresse, n’est-ce pas, Seigneur ?

Finalement, je ne Te vois pas, je ne peux pas Te toucher, mais Tu t’arranges pour me parler et me dire ce dont j’ai besoin.

Merci, Seigneur, pour cette joie profonde. Tu es là, bien présent. Mais comme le disait un de mes oncles ingénieur agricole, Tu es comme la terre qui donne uniquement à ceux qui se donnent aussi. Il faut Te faire confiance.

C’est ta seule exigence. Mais elle est de taille, reconnais-le !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/06/2010