Rencontre des religions pour la paix

Discours prononcés le jeudi 27 octobre 2011 sur la place des Droits de l’Homme, parvis du Trocadéro, à Paris durant la Rencontre des religions pour la Paix avec les responsables des grandes religions en France à l’occasion des vingt-cinq ans de la rencontre des grandes religions à Assise en 1986.

Allocution du Cardinal André Vingt-Trois
Archevêque de Paris, Président de la Conférence des Évêques de France

Ce soir, nous ne nous sommes pas rassemblés pour comparer nos religions ou pour effacer nos différences. Nous sommes venus manifester que nos religions veulent être des facteurs de paix. Comme le Pape Benoît XVI et trois cents responsables religieux du monde entier rassemblés aujourd’hui même à Assise en Italie, nous nous sommes réunis pour montrer que l’écoute et le respect mutuel sont inhérents à chacune de nos religions. Nous voulons que l’image que nous donnons aujourd’hui soit un encouragement pour tous ceux qui ont du mal à vivre ce dialogue, et qu’elle puisse redonner un élan à ceux qui cherchent à mettre en pratique ce respect mutuel.
Comme toute société, notre société française est traversée par des facteurs de divisions. Certains courants idéologiques accusent les religions d’être cause de ces violences et de ces tensions. On voudrait même nous faire croire que la paix serait établie si les religions étaient interdites dans l’espace social. Ces courants nous influencent tous et nous pourrions finir aussi par nous demander s’il n’y a pas en eux quelque chose de vrai. D’autres voudraient nous faire croire que les religions n’ont rien à faire ensemble. Mais aujourd’hui, publiquement, nous apportons une contradiction bien concrète à ces idées. Si notre République est constitutionnellement laïque, notre société, elle, n’est pas areligieuse. Les religions existent, elles sont visibles et elles peuvent échanger les unes avec les autres et dire quelque chose à tous. Nous savons que notre rassemblement de ce jour est la partie visible d’un dialogue réel entre les religions dans notre pays. Nous sommes fiers que ce dialogue se vive au niveau des communautés locales comme au niveau des responsables régionaux et nationaux.
Dans notre pays, il me semble que les catholiques ont une responsabilité particulière dans ce dialogue. Comme religion majoritaire nous devons susciter et développer les relations avec les autres religions. D’autant plus que, comme chrétiens, nous croyons que le dessein de Dieu est justement le rassemblement de toute l’humanité. Cette vision théologique nous conduit à ne rien négliger pour aller à la rencontre des autres. Enfin, nous expérimentons que la rencontre des fidèles d’autres religions, loin de nous éloigner de notre foi chrétienne, nous stimule à être plus authentiquement chrétiens, et ainsi à vivre en artisans de paix, en pauvres de cœur, en affamés de justice ; bref à irriguer le monde du souffle de l’Évangile. C’est ce que nous voulons montrer aujourd’hui avec confiance en affirmant notre foi au Prince de la Paix.

Allocution du pasteur Claude Baty
Président de la Fédération protestante de France

L’esprit d’Assise c’est celui de la rencontre. La rencontre est en général une aventure dans la mesure où elle est une découverte de l’autre, en ce sens elle ne laisse pas les interlocuteurs intacts. Après avoir rencontré personnellement et véritablement quelqu’un il devient en effet impossible de le déshumaniser et on est soi-même changé. La rencontre opère des déplacements de points de vue.
Le protestantisme que je représente est persuadé de la nécessité de la rencontre et de l’échange de paroles. Au nom d’un Dieu qui parle, il faut se parler, se connaître et tenter de se comprendre. Ce faisant le but n’est évidemment pas de bricoler une religion consensuelle, aussi commune qu’insignifiante, mais bien de se frotter les uns aux autres dans le respect des convictions de chacun, avec la conscience aiguë que la paix ne se construit qu’ensemble. Dans un monde qui rend poreuses toutes les frontières, il n’est plus possible de prétendre vivre dans un espace clos. Les religions ne doivent pas le regretter et même donner l’exemple d’un libre dialogue. La rencontre n’est pas seulement inévitable elle est souhaitable, n’en faisons pas une confrontation mais une stimulation.
Parmi les textes que nous lisions dimanche dernier, je me permets de vous relire ce court passage d’une lettre de l’apôtre Jean (1 Jn 4), il écrit : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. »
Avec le dialogue nous entrons dans les travaux pratiques de la théologie. Au moment où nous constatons que tous les ingrédients sont en place pour que soit relancé l’idée du choc des civilisations, mobilisons-nous pour donner un nouvel élan à la rencontre des religions.

Allocution de M. Gilles Bernheim
Grand Rabbin de France

La contribution des religions à la paix dépend d’abord de la paix entre les religions et de l’hospitalité qu’elles s’accordent les unes aux autres.
C’est vrai que dans toutes les religions, l’hospitalité est sacrée. Cependant l’histoire nous enseigne qu’entre les religions les lois de l’hospitalité sont souvent abolies, et c’est alors le rejet qui est sacré. Pourquoi ce blocage ?
Et surtout : comment dépasser les interdits doctrinaux et les peurs invétérées, pour permettre que la force et la saveur de l’hospitalité irriguent (enfin) la pratique du dialogue entre les religions ? Permettez-moi d’insister sur le fait que le dialogue inter-religieux est lui-même un acte religieux. Cela implique que l’expérience que nous faisons de notre propre religion nous ouvre sur un mystère dont nous n’avons pas la propriété exclusive. Même si nous sommes convaincus de toucher la vérité, nous ne l’épuisons pas.
Pour exprimer cela d’une autre manière encore, je dirais que pour connaître une religion (et donc pour pouvoir en parler), il faut partager la vie de ceux qui croient en cette religion. Or, un autre mot pour traduire ce que veut dire « partager la vie » est précisément le mot hospitalité.
Cette démarche est une vertu juive fondamentale. Mais elle n’est pas une spécialité juive. Elle fait partie de toutes les cultures religieuses rassemblées sur ce parvis.
L’hospitalité entre les religions exige toujours l’action. D’où son importance pour le dialogue mais aussi comme modèle pour la paix entre tous les hommes.

Allocution d’Anouar KBIBECH
Au nom des Musulmans de France

Monsieur le président de la Conférence des évêques de France, André Vingt-Trois,
monsieur le président de la Fédération protestante de France, Claude Baty,
monsieur le grand rabbin de France, Gilles Bernheim,
monsieur Nestor, Evêque de Chersonèse, de l’Église orthodoxe,
monsieur le président de l’Union bouddhiste de France, Olivier Wang-Genh,
monsieur Mario Giro, membre de la Communauté de Sant’Egidio, responsable des relations internationales,
mesdames et messieurs, chers frères et chères sœurs,
reprenant l’initiative de Jean-Paul II en 1986, le Pape Benoît XVI invite à nouveau les représentants de toutes les religions à Assise aujourd’hui même, 27 Octobre 2011.
Déjà en août 1985, à Casablanca, près de 100 000 jeunes s’étaient rassemblés pour écouter Le Pape Jean-Paul, venu expliquer les fondements du dialogue interreligieux. Dans son discours, le Pape Jean Paul II a notamment indiqué : « La loyauté exige aussi que nous reconnaissions et respections nos différences ! La plus fondamentale est évidement le regard que nous portons sur la personne et l’œuvre de Jésus de Nazareth. »
Cette ouverture vers l’autre, dans le respect des différences, est à la base même de la relation humaine … telle qu’Allah l’a voulue, le Coran dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. » (s.49, Les Appartements, s.13 )
Ce dialogue et cet échange sont la meilleure façon de mieux se connaitre, pour mieux se reconnaître et construire ensemble un avenir meilleur ! … en toute sérénité et en toute quiétude, … loin de toute peur et loin de tout préjugé !
L’islam est né de l’accueil : En effet, les premiers musulmans de La Mecque furent persécutés par les polythéistes. La communauté des croyants qui venait de naître aurait été étouffée dans l’œuf si le Négus, de l’Abyssinie chrétienne, n’avait pas ouvert ses portes aux premiers musulmans qui ont fui la tyrannie afin de trouver refuge chez lui.
C’est de la ville de Yathrib, devenue Médine par la suite, que furent proposées au Prophète, les conditions permettant à la première Communauté musulmane de trouver un asile.
A Médine, avec deux tribus arabes devenues musulmanes, les Ansar, et trois tribus juives, le Prophète (PSL) mettait au point une sorte de Constitution permettant une vie commune. C’est dans ce contexte que naissait progressivement une société où musulmans et non-musulmans pouvaient vivre côte-à-côte dans la justice et le respect mutuel. La Paix est basée sur la compréhension mutuelle : Cette compréhension mutuelle fait partie des principes qui sont les fondations véritables de nos différentes traditions : l’amour du Dieu Unique et l’amour du prochain.
Sur la nécessité d’aimer son prochain, le Prophète Mohamed (PSL) a dit : « vous ne serez pas croyant tant que vous n’aimerez pas pour votre prochain ce que vous aimez pour vous-mêmes. »
Dieu dit dans le Saint Coran : « A chacun de vous, Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre. Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté ; mais Il a voulu vous éprouver pour voir l’usage que chaque communauté ferait de ce qu’Il lui a donné. Rivalisez donc d’efforts dans l’accomplissement de bonnes œuvres, car c’est vers Dieu que vous ferez retour, et Il vous éclairera alors sur l’origine de vos différences. » (S.5, la Table servie, v.48). Face aux défis des fanatismes et des extrémismes de tous bords, les Croyants et les Humanistes de toutes les cultures et de toutes les religions ont pour tâche de rapprocher les Communautés et les Peuples.
Il ne s’agit nullement de s’enfermer dans un « idéalisme » coupé de la réalité, … mais de bâtir des « ponts » … là où certains voudraient construire des « murs » !
La Paix est basée sur la sacralité de la vie : l’Islam accorde une place considérable à la vie d’un être en tant que conscience mais aussi à l’ensemble des créatures.
Le Coran nous invite à travers une multitude de versets au respect et à la sacralité de la vie : « Quiconque tue une personne (...) c’est comme s’il avait tué toute l’humanité » (S.5, la Table servie, v.32).
Le mot « Islam » vient de la même racine arabe que le mot « Paix » (Assalam) et le Coran réprouve la Guerre et la considère comme un événement anormal, contraire à la volonté de Dieu : « Toutes les fois qu’ils allument un feu pour la guerre, Dieu l’éteint. Et ils s’efforcent de semer le désordre sur la terre, alors que Dieu n’aime pas les semeurs de désordre. » (Coran 5 : 64)
Et même lorsque la guerre ne peut être évitée, l’Islam considère il n’est pas permis de porter atteinte à ceux qui n’y participent pas ; comme il n’est pas permis non plus de tarir les sources, de couper les arbres, de tuer les animaux, d’incendier les biens.
Le respect de la dignité des prisonniers est une prescription divine. Au temps du Prophète, ces derniers pouvaient même racheter leur liberté en apprenant à lire et à écrire aux analphabètes !
L’équité et la justice s’imposent en toute circonstance : « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables. » (Coran 60 : 8)
Le mot de la fin : Nous, Musulmans de France, sommes pour un dialogue paisible et confraternel avec nos concitoyens de différents horizons. Echanger avec l’autre, accepter et respecter sa conviction, s’ouvrir à son vécu, et construire avec lui l’avenir, … telle est la mission que nous défendons avec obstination au sein du « Conseil Français du Culte Musulman ». Nous sommes convaincus que l’émancipation de tout croyant dans un monde pluriel ne se réalisera pas en rejetant le blâme sur l’autre. Le respect doit guider nos rencontres et nous permettre de créer une écoute sans jugements, permettant de dépasser les préjugés. Nous voulons que notre démarche commune aujourd’hui soit un aiguillon qui montre que l’on peut construire tous ensemble un monde meilleur, … basé sur la Paix et la Fraternité entre les Peuples.

Olivier Wang-Genh
Président de l’Union bouddhiste de France

L’immense majorité des sept milliards d’êtres humains vivant sur cette planète aspire à vivre en paix !
Aujourd’hui, cette paix universelle est devenue la condition nécessaire non seulement à la survie de l’espèce humaine mais aussi à celle d’un nombre considérable d’espèces.
Car lorsque nous parlons de la paix, il s’agit bien sûr de la paix entre les hommes mais aussi et il est essentiel de ne pas l’oublier, de la paix entre l’homme et la nature.
Un des enseignements les plus importants du Bouddha a porté sur l’interdépendance de tous les êtres entre eux.
Cette réalité de l’interdépendance n’a jamais été aussi perceptible qu’aujourd’hui ou les moyens de communications, les transports, Internet, les médias nous font vivre en direct ce qui se passe de l’autre coté du monde.
Plus que jamais, nous vivons dans un village, un village de sept milliards d’habitants...
Lorsque nous parlons de la paix, il s’agit bien sur de la paix entre les nations, entre les religions, entre les personnes, mais il s’agit peut être surtout de la paix à l’intérieur de chacune et de chacun d’entre nous, de la paix dans notre propre esprit, car tant que nous ne faisons pas la paix en nous même, nous restons esclaves de nos pulsions, de notre avidité, de nos désirs et de notre colère. L’histoire a montrée ce que cela pouvait signifier.
Lorsque nous parlons de la paix, nous devrions parler d’abord de la paix de l’esprit ! Car si l’esprit de l’être humain s’échauffe vite, il peut aussi s’apaiser très vite.
Cette réalité de l’interdépendance est vraie dans le désordre et le tumulte mais elle l’est tout autant lorsqu’il s’agit de la paix : un être humain qui s’apaise et c’est l’univers qui s’apaise ! Merci beaucoup.

Allocution de Mario Giro
Communauté de Sant’Egidio

Nous célébrons ensemble le 25ème anniversaire de la grande Journée de Prière pour la paix, que Jean-Paul II a voulue à Assise en 1986. En cet instant même, Benoit XVI, entouré des leaders des grandes religions, est monté sur la colline de St François pour commémorer l’événement.
Assise représente un geste absolument prophétique qui a fait des religions « les hérauts de la conscience morale de l’humanité qui aspire à la paix », comme l’avait affirmé le pape. À Assise Jean-Paul II avait aussi dit que « la paix attend ses artisans… c’est un chantier ouvert à tous ». À Sant’Egidio, nous avons pris très au sérieux cet appel, en travaillant pour la paix dans le monde et en répétant ce rassemblement chaque année, entourés de toujours plus d’amis et d’hommes et femmes des grandes religions, dans un pèlerinage de paix qui a fait souffler l’esprit d’Assise dans beaucoup de villes et de Pays. Etre resté fidèles à cette vision, c’est notre orgueil.
En 1986 personne ne misait sur les religions en tant que protagonistes de la géopolitique et de la culture mondiale. Elles étaient plutôt perçues comme un reste du passé destiné à la disparition, du moins en Occident. Certains, même, le souhaitaient. Jean-Paul II voyait plus loin, comme on l’a constaté par la suite. Il voulait que les religions se rencontrent afin d’éviter toute dérive et de trouver un langage commun de paix dans un monde divisé. Trois ans plus tard, lorsque le mur de Berlin s’effondra, il s’était exclamé « nous n’avons pas prié en vain à Assise ! ». C’était son dessein : des transitions pacifiques conduites par la force de l’Esprit.
Mais la guerre et la violence n’ont pas encore quitté l’histoire. Ces dix dernières années on été un temps où les pessimistes les ont imposées comme compagnes inéluctables de l’histoire de l’homme, temps du dévoilement d’un inévitable conflit entre civilisations et religions. La prédication de la haine, du mépris et de la méfiance a grandi entre mondes, cultures et religions. Un discours faussement raisonnable a essayé de nous convaincre que le monde ne peut être changé. Certains on appelé à réagir à cela avec indignation, d’autres le font par la violence, mais – nous le constatons - la majorité a peur et reste immobile. Pendant que les écarts se creusent, monte alors une violence diffuse, portée par les conséquences de l’injustice mais aussi par la déchéance de l’esprit de coexistence. Comme l’a observé le cardinal Vingt-trois pour la société française (mais on pourrait dire européenne) « nos sociétés sont marquées par une sorte de peur … latente et diffuse qui peut devenir un levier démagogique puissant ». Des millions de femmes et d’hommes, plongés anxieusement dans un monde toujours plus inhumain, attendent donc une réponse. Voilà pourquoi nous sommes ici : nous avons besoin de l’esprit d’Assise dans un monde où se renforce la peur diffuse de l’autre ! Nous croyons que les religions ont une grande responsabilité et possèdent des trésors de foi, de spiritualité, de savoir. Chacune - nous le savons bien - a sa manière et sa tradition de vivre cette responsabilité.
Aujourd’hui à Paris, au Trocadéro, à coté du Musée de l’Homme où l’être humain est vu dans son unité et sa diversité, haut lieu de la recherche ouverte sur l’universel et de la pensée humaniste, une France plurielle se rassemble autour des responsables religieux pour parler avec audace au cœur de l’homme d’une nouvelle vie ensemble, une vie sortie de la peur. Je remercie au nom de Sant’Egidio tous ceux qui sont ici et le cardinal Vingt-trois d’avoir voulu ce rendez-vous. À Assise, Jean-Paul II demanda aux croyants de rester les uns à côté des autres dans la prière, et non les uns contres les autres. Il proposa de lier la force faible de la prière et la paix. Il croyait en la force des grands courants de spiritualité et de foi qui soutiennent le monde dans le profond et peuvent changer l’histoire. Voilà ce que c’est l’esprit d’Assise que nous célébrons.
Les différences qui nous effrayent ne peuvent pas se réduire par des conflits. Certes nous ne croyons pas non plus en une conciliation à l’amiable, à un embrassons-nous facile, à un relativisme à bon marché. Notre monde, malgré la mondialisation, reste extraordinairement pluriel. La diversité est aussi un droit. Mais pour vivre ensemble il y a besoin du réalisme du dialogue, comme d’un art de faire la paix. Cela requiert de la part des religions avant tout un travail exigeant sur elles-mêmes. Au dernier rendez-vous de Prière pour la paix de Munich organisé par Sant’Egidio dans la lignée d’Assise, Benoit XVI, en remerciant Sant’Egidio pour son engagement, ajoutait dans son message : « nous devons apprendre à vivre non pas les uns à coté des autres, mais les uns avec les autres, c’est-à-dire apprendre à ouvrir le cœur aux autres … le cœur est le lieu où le Seigneur se fait proche. Pour cela la religion, qui est centrée sur la rencontre de l’homme avec le mystère divin, est liée de manière essentielle avec la question de la paix. Si la religion échoue dans la rencontre avec Dieu, si elle abaisse Dieu à soi au lieu de nous élever vers Lui, si elle en fait d’une certaine manière sa propriété, alors elle peut contribuer à la dissolution de la paix ». Il s’agit là d’un avertissement redoutable.
Vivre ensemble demande à tous d’assumer les diversités et de se reconnaître un destin commun. Cela n’est pas toujours facile et c’est parfois douloureux à accepter. Parfois la liberté de l’autre nous fait peur. Il faut la sagesse d’accueillir les autres dans une vision large et pacifiée du monde. Être soi-même, fidèle à sa foi, ne contredit pas la recherche de l’autre. Le dialogue entre les croyants est essentiel, tout comme celui entre croyants et humanistes laïcs. L’histoire de France en témoigne. Devant la violence diffuse, qui dénature le visage de nos villes, nous offrons une méthode : commencer par soi-même. « Commencer par soi-même : voilà la seule chose qui compte… » - a écrit Martin Buber. Cela signifie vivre ancrés dans une foi profonde et désarmée. Les religions ne sont pas porteuses d’idéologies mais de spiritualité. Un grand spirituel russe, saint Séraphin de Sarov, affirmait : « Acquiert la paix en toi et des milliers la trouveront autour de toi ». La dimension personnelle et spirituelle reste incontournable. Si on la supprime, quelque chose se meurt dans l’homme. On ne fait pas l’histoire sans compter avec l’homme, en piétinant la valeur de la vie. L’Esprit d’Assise c’est croire - comme le disait le cardinal Lustiger - « qu’il y a une unité du genre humain… que les différences entre les hommes sont assumées par l’origine de l’homme et Celui vers lequel elles marchent ». Les religions représentent des réseaux de cœurs et d’existences. Elles nous donnent le courage pour résister au pessimisme, conséquence d’une société entachée par la violence diffuse et la peur de l’autre.
Un humanisme de paix, une civilisation du vivre ensemble dans la diversité : voilà ce que nous proposons dans ce monde pluriel de manière irréductible. Rien et personne ne peut homologuer les hommes : ni la force, ni l’économie, ni une puissance culturelle. Rien ne peut aussi assurer la sécurité d’un homme ou d’un peuple sans la liberté de l’autre. Nous le voyons aujourd’hui dans le désir de liberté qui monte partout. Mais la force de l’esprit peut nous libérer de la peur de l’autre. L’esprit d’Assise est ami de la liberté. La rencontre entre hommes et femmes de religions différentes converge clairement dans la liberté. La liberté, celle de chacun et des peuples, reste une réalité inviolable. L’aventure de la liberté dans l’histoire - où la France a joué un grand rôle - ne nous effraye pas parce que l’Esprit est libre. Les croyants sont porteurs d’une force spirituelle d’amour et de miséricorde qui réveille les cœurs, qui résiste à la culture muette de l’antagonisme et regarde au-delà.
Long est le chemin de la composition des différences, de la construction du vivre ensemble, du lien social et des relations entre les peuples. Mais c’est la voie de la paix. Il y n’a pas d’humanité sans la paix : seule la paix rend humain ce monde. La paix est le nom du destin commun des hommes et des peuples. C’est ce que nous disent les grandes traditions religieuses. C’est ce que nous suggère aussi la réflexion humaniste et laïque sur l’histoire. Ce rendez vous à Paris, en lien avec Assise, représente un jalon de cette initiative des croyants afin de donner un contenu visible au vivre ensemble, témoigner de la force de la prière et rendre explicite, par la présence de tout un chacun, le contenu transcendant de la paix, don de Dieu.

APPEL DE PAIX
Hommes et femmes, représentants de religions différentes en France, nous nous sommes rassemblés ce soir sur le parvis des Droits de l’Homme du Trocadéro. Notre présence commune en ce lieu symbolique manifeste notre attachement à la coopération des religions pour la paix entre les hommes. Nous vivons cette réunion dans l’« Esprit d’Assise », et en écho au rassemblement des nombreux responsables religieux du monde entier, aujourd’hui autour du pape Benoît XVI à Assise.
En nous rassemblant, nous voulons marquer par un signe fort la proximité maintenant ancienne et éprouvée entre les responsables, et entre tous les fidèles de nos différentes religions. Nous sommes reconnaissants envers celles et ceux qui ont su entretenir cette espérance à travers les moments difficiles, quand les crises ont risqué de faire vaciller la confiance qui avait pu se tisser.
Aujourd’hui comme hier, la tentation est grande de se replier sur soi-même et d’utiliser les religions pour nous diviser. Cette tentation est attisée par les déséquilibres sociaux, démographiques, politiques ou commerciaux que nous affrontons. Le monde dans lequel nous vivons est trop souvent attiré par ce qui divise plus que par un sentiment de sympathie envers autrui ; il est plus sensible à l’affirmation de soi qu’au bien commun. Dans bien des régions du monde, la violence augmente ainsi qu’une crise de sens. Un tournant s’impose !
La mondialisation a besoin de trouver une âme. L’égoïsme mène à une civilisation de la mort, qui fait beaucoup de victimes. C’est pourquoi, il nous faut tourner les yeux vers le haut, nous ouvrir à l’espérance et devenir capables d’une vision de la justice qui dépasse nos horizons français ou européens. Nous devons, avec force, affronter à nouveau le problème de la paix dans toutes ses dimensions. Nous sommes conscients de la responsabilité des religions, dans le danger qu’elles font courir à la paix quand elles ne tournent pas leur regard vers le haut. Celui qui se sert du Nom de Dieu pour haïr l’autre et tuer, blasphème le Saint Nom de Dieu. C’est pourquoi nous pouvons dire : il n’y a pas de futur dans la violence et la guerre ! Il n’y a pas d’alternative au dialogue.
Nous sommes destinés à vivre ensemble et nous sommes tous responsables de l’art du vivre ensemble. Le dialogue s’est révélé aujourd’hui l’outil le plus intelligent et le plus pacifique pour cela. C’est la réponse aux prédicateurs de la terreur, qui vont jusqu’à employer les discours des religions pour répandre la haine et diviser le monde. Car aucun homme, aucune femme, aucun peuple n’est appelé à vivre seul, l’humanité a une vocation et un destin commun : celui de l’unité.
Regardons-nous avec davantage de sympathie et beaucoup, tout, redeviendra possible. En France, dans nos villes, nos quartiers, nos écoles, nos entreprises et nos associations, les croyants des différentes religions ont appris depuis des années, des siècles parfois, à vivre non pas les uns contre les autres, mais les uns avec les autres. Le dialogue est une force simple à la disposition de tous. Avec le dialogue nous construirons un monde pacifié. Devenons tous des artisans de paix. Oui, que Dieu concède à notre monde le don merveilleux de la paix.

Paris, esplanade des Droits de l’Homme, le 27 octobre 2011

Une faute d'orthographe, une erreur, un problème ?   
 
Publié: 01/11/2011