Cor Unum : l’Église et le défi de la faim

A l’occasion du Sommet mondial de l’Alimentation tenu à Rome en novembre 1996, le Conseil pontifical Cor Unum a rendu public un document intitulé "La faim dans le monde - Un défi pour tous : le développement solidaire". La revue du CCFD, FDM n° 130 de mars 1997, a demandé au Père Philippe Laurent de commenter ce texte.

Q : Quelles sont les principales orientations exprimées dans ce document ?

Ses objectifs et ses limites sont énoncés dès le début. Ce texte "essaie d’analyser et de décrire les causes et les conséquences du phénomène de la faim dans le monde, de façon globale et non exhaustive". La première partie énumère les phénomènes climatiques, économiques ou politiques qui peuvent provoquer la faim, et quelques orientations importantes se dégagent de ce tableau rapide.

La planète peut nourrir tous ses habitants : c’est la première perspective globale à retenir. la faim ne s’explique pas par la croissance démographique, mais par une mauvaise répartition des ressources alimentaires.

Deuxième perspective : il s’agit donc de régler les échanges internationaux de produits agricoles et agro-alimentaires dans des conditions de juste prix à établir entre producteurs et consommateurs, en prévoyant des stocks régulateurs.

Troisièmement, c’est surtout le manque de pouvoir d’achat de certaines catégories sociales, urbaines particulièrement, qui est la cause essentielle de la faim ; même si a priori les populations rurales ont davantage de possibilités de se nourrir par elles-même, leur pauvreté augmente, parce leurs besoins se sont diversifiés et accrus.

L’aide alimentaire est décrite ici comme "une arme à double tranchant", qui doit être mise en place avec précaution pour en éviter les effets pervers ; elle risque en effet de désorganiser les marchés locaux et de mettre en difficulté les productions nationales.

D’autre part, en publiant ce document, Cor Unum inscrit le défi de la lutte contre la faim dans le monde, dans le grand mouvement de réflexion préliminaire au Jubilé de l’an 2000. S’adressant aux hommes de bonne volonté comme aux chrétiens, "l’Eglise lance un vaste appel à des propositions et suggestions jubilaires susceptibles de hâter l’éradication de la famine et de la manultrition". Mais peut-être faudra-t-il, au-delà de cet anniversaire d l’an 2000, se préoccuper davantage des premières décénies du prochain siècle, et prendre un grand élan vers l’avenir, à partir de la notion de développement durable, par exemple.

Q : Peut-on s’étonner de voir présentée l’économie de marché comme une donnée indiscutable et "appropriée" ?

Cette préférence repose sur l’affirmation d’une forme de liberté, la liberté "d’initiative économique", mais celle-ci doit être encadrée par des institutions et des lois, au niveau national et international. De plus, dans l’Encyclique Centesimus annus, en 1991, Jean-paul II souligne qu’il existe des besoins non solvables, relevant de la gratuité, qui ne peuvent être satisfaits sur le marché, et qui doivent être pris en charge par l’Etat. Cela est à peine indiqué dans le texte de Cor unum, car la pensée sociale de l’Eglise exprime actuellement une certaine méfiance vis-à-vis d’un Etat trop omniprésent, un " Etat-providence " qui enlèverait aux individus et aux groupes sociaux leur responsabilité propre. Dans la même encyclique, Jean-Paul II précise d’ailleurs que l’Eglise n’a pas de modèle à proposer, mais un système de valeurs à suggérer, valeurs auxquelles doivent satisfaire les modèles adoptés dans les différents pays.

En 1971 déjà, Paul VI disait dans Octogesima adveniens, "qu’il revient à chaque communauté chrétienne de trouver les solutions adaptées, compte-tenu des données extérieures." Cette déclaration a marqué un tournant, car, jusque-là, la pensée sociale de l"Eglise semblait être appliquée partout de façon identique.

Q : Qu’advient-il, dans le texte de Cor Unum, de "l’option préférentielle pour les pauvres" ?

Les pauvres sont présents dans tout le texte, avec quelques beaux passages spirituels dans la cinquième partie intitulée "Un appel à l’amour". Placés au "centre de la famille humaine", ils doivent être l’objet d’une "écoute préférentielle". Mais ils sont un peu trop globalement identifés à la catégorie de ceux qui souffrent de la faim et de la malnutrition.

Le pauvre est aussi celui qui est privé de statut et de responsabilité. Même si l’Eglise sait rejoib=ndre les exclus et ceux qui ont faims, il ne faudrait pas qu’elle se contente d’être à la remorque de ces plus pauvres. Il faut qu’elle réfléchisse à la place qui leur est faite dans un monde qui évolue, et qu’elle aide toutes les autres catégories à les intégrer.

Q : Peut-on parler de l’émergence d’une "doctrine planétaire de l’Eglise", comme il y a une doctrine sociale ?

Jusqu’à Jean XXIII, les textes pontificaux se cantonnaient à l’Europe. C’est lui qui a commencé, dans l’encyclique Mater et Magistra, en 1961, à aborder les questions de développement. En 1967, dans Populorum Progressio - "Le développement des peuples" - Paul VI appelle à prendre conscience que "la question sociale est devenue mondiale".

Dans le cahpitre II du document Cor Unum, intitulé "Les défis de nature éthique à relever ensemble", l’Eglise redit les grands principes de sa pensée sociale et leur universalisme, pour les appliquer aux problèmes de la afaim dans le monde.

Elle s’appuie en premier lieu sur la poursuite du "bien commun" qui s’étend à l’écologie, au partage des ressources, à la paix, à la démographie... Avec le bien commun, un autre concept, celui de "structures de péché" , revient régulièrement dans le document. Due à Jean-Paul II, cette expression désigne l’accumulation des comportements qui se cristallisent pour former une ambiance propice au pêché, comme par exemple les phénomènes mafieux et la pornographie.

Il serait intéressant de se demander comment, par-delà les nations, on peut créer une mentalité de "bien commun universel". Cela s’est fait d’abord de façon négative, en reconnaissant la solidarité de l’humanité face aux catastrophes globales, nucléaires ou autres. De façon positive, il faudrait décider de construire la paix, en réduisant les violences causées par les idéologies, les nationalismes, les systèmes mafieux ou les marchés.

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Philippe LAURENT s.j.

Expert de l’Église de France pour les questions internationales.

Publié: 30/11/1996