Être parents d’enfants extra-ordinaires

Pendant la deuxième semaine du carême 2016, le site Carême dans la ville a publié chaque jour des témoignages de parents d’enfants handicapés, pardon : Extra-Ordinaires.
Nous les avons trouvés pleins d’espoir, d’amour et de joie.
Avec la permission de l’équipe du site, nous vous les présentons en une seule page.

Une Terre sainte se creusa en moi

Un garçon nous est né, nous le regardons grandir plein de promesses. Vers ses 3 ans, l’horizon s’obscurcit. Une maladie génétique va le priver de ses pas, de ses mots, de sa vie. Je reçois cette nouvelle avec mes entrailles, une déchirure totale. À l’époque, Dieu n’était pas un soutien. J’avais perdu la foi le jour de ma première communion. On m’avait dit que recevoir Jésus était une explosion d’amour… et rien !
Ainsi, ne comptant que sur moi-même, je me confectionne un beau blindage : enfouir mes larmes, cacher ma tristesse, m’interdire d’exprimer ma douleur. J’avais l’impression d’être un roc. Il faut à tout prix rendre la vie joyeuse autour de lui. Il ne me reste plus qu’à l’aimer. Je couvre donc de caresses les cris de mon fils qui souffre. Et peu à peu, un humus se dépose au fond de moi.
Peu avant ses 17 ans, il nous quitta. Quelques jours après, entraînée par mon mari, je partais en Israël. Pas pour prier, mais pour y faire les souks ! C’était sans compter une parole qui résonna en moi : Dieu ne se capte pas par l’intelligence mais par le cœur. Je lâchai prise. Les larmes commencèrent à couler.
Mon blindage se fissura, la terre sainte se creusa en moi, le cœur sortit de sa gangue. S’alluma un désir de Dieu, la recherche d’un signe de sa présence.
À Jérusalem, lors du chemin de croix, j’étais Marie, qui ressentait au cœur de ses entrailles chacun des coups reçus par son fils. Jésus portait-il là les souffrances du monde, celles de mon enfant ? Retour difficile, je n’arrivais plus à endiguer mes larmes, cette envie de Dieu me vrillait le ventre et je n’avais pour arme que le Notre Père et cette supplique Dieu, fais-moi un signe.
Un soir, me tournant vers Dieu, le suppliant de se présenter à moi, une boule de feu s’est mise à tourner, à chauffer en moi et à m’irradier d’un amour total. Un courant d’air du paradis ! J’étais transfigurée. C’était une évidence : Dieu existe, il est amour. J’étais le réceptacle de cet amour. Dieu était là, miséricordieux. Il s’était engouffré dans toutes mes failles et avait fait son lit de cet humus déposé par mon fils.
Je viens d’apprendre qu’en hébreu, entrailles et miséricorde, c’est le même mot.
Merci mon Arthur !

Catherine : Mariée, maman de 4 enfants dont Arthur, Catherine est grand mère de 8 petits-enfants.

Présence transfigurante

Seigneur, comme Pierre, Jacques et Jean, j’ai vécu récemment une manifestation de ta présence transfigurante. Nous étions à Lourdes avec un groupe d’enfants handicapés, dont mon fils Quentin. 
Un matin, réunis dans une chapelle, nos enfants recevaient tour à tour le sacrement des malades donné par un prêtre. L’intensité touchait à son comble. Chaque enfant, meurtri dans sa chair ou son intelligence, te rencontrait de façon très perceptible. Je résistais pour ne pas fondre en larmes. Tu étais là au milieu de nous.
À Lourdes, Quentin et moi avons vécu des moments de joie intense. Il n’y avait plus de personnes malades, handicapées ou bien portantes, mais un peuple d’hommes, de femmes et d’enfants, portant chacun sa misère, et unis par une force surnaturelle d’où jaillissaient amour, joie, bienveillance.
Comme à Pierre, Jacques et Jean, tu nous as fait goûter à une expérience divine.
Je crois, Seigneur, que tu nous invites à vivre une transformation intérieure qui nous conduira, le jour où nous te verrons, à être transfigurés nous aussi par ton amour, ta paix, ta joie. Cette expérience, tu nous permets de la vivre dès aujourd’hui. Oui Seigneur, tu nous invites à vivre de manière incarnée l’action de ton Esprit saint qui agit manifestement en nous et nous transforme. Il suffit que nous nous laissions faire, que nous te remettions toute notre vie, nos attachements, nos faiblesses. 
Donne-nous de venir puiser en toi, chaque jour, ta paix, ton amour, ta force, ta charité. 
Mon Dieu, je te rends grâce.

Gilles : Marié, papa de sept enfants de 12 à 20 ans. Gilles réside dans le Nord et dirige une entreprise de BTP.

Victoire

Après une grossesse difficile, je mets au monde à vingt-neuf ans un adorable petit garçon tout blond. Mon mari et moi, avec l’accord de son grand frère, l’appelons Victor ! Victor pour Victoire de la vie. La vie, au-delà des différents tests nous annonçant une trisomie 21, et avec elle, l’invitation à poursuivre ou non cette grossesse…
Les premiers mois avec Victor ont été pour moi un apprivoisement pas à pas, il était fragile et je ne l’étais pas moins. Néanmoins, si petit soit-il, c’est Victor qui a donné corps et cœur à notre relation. Avec beaucoup de délicatesse, de tendresse et de patience, il m’a invitée à l’aimer tel qu’il était.
À travers ses sourires, sa façon de s’abandonner en confiance dans mes bras, de se laisser faire dans les soins prodigués, j’ai senti que Dieu me parlait et me disait :
« Je te confie Victor, mon enfant bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour ; en l’accueillant, c’est moi que tu accueilles. Va, aime et soyez heureux ensemble ! »
Cet appel m’a touchée au plus profond de mon être. Il m’a remise debout et il a changé mon regard sur ce qu’il m’était donné de vivre. Mes yeux et mon cœur ont été transfigurés par cette interpellation au creux de mes doutes.
Depuis ce jour, plus de vingt ans ont passé. Cette invitation, je l’ai faite mienne au jour le jour dans la confiance et la Paix. Oui, l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur .

Béatrice : Mariée, maman de 3 enfants, Béatrice est membre de Fondacio Nord et responsable d’une communauté Foi et Lumière avec son mari.

Les dimanches d’Aymeric

Chaque dimanche, il emmène dans son petit sac une tenue de rechange, son flacon de Dépakine et une feuille avec quelques consignes : il est invité chez ses amis. C’est un beau garçon, attachant, très gai et coquin, puis, renfermé car fatigué. Il a 16 ans, un retard intellectuel important, des traits autistiques et quelques crises d’épilepsie pour pimenter nos nuits. Parfois, il plonge son regard dans le nôtre, c’est bref, mais intense, nous y puisons notre réserve d’amour et d’énergie. C’est notre Aymeric.
Pour ceux qui l’accueillent le dimanche, c’est une richesse. Ils acceptent de se laisser toucher. Et le contact d’Aymeric, un être aussi fragile et innocent, transforme en profondeur. Notre fils porte du fruit. Il est le réceptacle de la miséricorde qu’annonce Isaïe : « Ton nom est inscrit dans la paume de ma main, tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » Miseri-cordia, c’est bien le cœur donné au pauvre.
Le dimanche, pour nous, c’est un temps plus calme avec les grands. Pendant quelques heures, on peut relâcher notre vigilance, et discuter avec eux. Pour lui, c’est être dans le monde, au contact de jeunes, découvrir d’autres lieux, s’acclimater à de nouveaux visages, sentir des ambiances différentes. Grâce à ce réseau d’amis, nous avons le sentiment de ne pas être seuls à faire grandir Aymeric.
Un parrain, une marraine, un Doodle* avec les dates des dimanches, une trentaine de familles amies et notre Aymeric devient ambassadeur du handicap. Il ouvre les cœurs. Une amie le ramenant un dimanche soir me confie : « Aymeric me mène à l’essentiel. »
À chacun sa part, dit la légende du colibri. Aymeric remplit la sienne, largement !

*Site internet permettant à un groupe de personnes géographiquement dispersées de choisir facilement une date pour un événement.

Laure : Mariée, maman de 4 enfants de 16 à 26 ans, dont Aymeric ayant des traits autistiques et un retard intellectuel. Laure est co-fondatrice de Cœur de Maman, association de groupes de parole pour mamans d’enfants handicapés.

Chaque matin

Me réveiller chaque matin en pensant d’abord à toi. Ouvrir les volets chaque matin en me demandant ce que sera ta journée. Entendre chaque matin des sirènes d’ambulance, de pompiers, ou de police. Laisser s’envoler une prière pour ces inconnus qui souffrent comme ce jour où tu étais toi-même la préoccupation de ces secours. Me sentir chaque matin démunie, impuissante, questionnée sur le sens de ta vie, triste lorsqu’il pleut et que je te sais coincée entre tes quatre murs, rassurée lorsque brille le soleil et qu’une courte promenade te sera possible, heureuse lorsque je sais qu’enfin quelqu’un passera te voir.
Demeure dans un recoin de mon cœur de maman blessée l’envie de vivre, de rire, de partager, d’aimer. J’ai le désir de laisser la joie prendre le dessus, la joie de la vie, la joie de tous les possibles.

Je crois que Dieu habite cette terre, qu’il demeure en chacun de ses enfants, qu’il veille en toi, dans ton silence et ton mystère. Il est la source de la joie intérieure qui m’habite malgré l’épreuve. Il est celui qui donne sens à l’insensé de ta vie. Il m’invite à lâcher prise, à essayer d’accepter de ne pas tout comprendre, à lui faire confiance, à accueillir le jour qui vient dans la joie de ce que j’ai, et non dans la tristesse de tout ce que j’ai perdu. Pas facile tous les jours, mais depuis 17 ans, le temps a fait son œuvre.
Alors qu’une bonne dizaine de soignants veillent sur toi jour et nuit, celle que tu es devenue m’a fait devenir veilleur : veilleur face à la fragilité, au don gratuit de l’amour.
Merci Olivia.

Blandine : Mariée, maman de 4 enfants. L’aînée de Blandine, Olivia, a été accidentée avec sa sœur en 1998. Olivia est restée dépendante à 100 %, ne communiquant plus avec son entourage.

La Croix fleurie

Mon oncle Antoine, atteint de la trisomie 21, ne parlait pas, mais il était l’ami de tous. Il n’était pas autonome, mais il était rempli de la présence de Dieu. Il était un témoignage mystérieux de la joie du ciel sur terre. Celui que l’on perçoit dans le cœur des plus petits.
Le handicap d’Antoine a été une croix pour ses parents, mais, comme aimait à le dire sa mère, une croix qui a fleuri leur vie, année après année, doucement et parfois douloureusement.
Je crois pouvoir dire qu’il a été une bénédiction pour mon grand-père, et davantage encore pour ma grand-mère qu’il a fait cheminer vers la sainteté. Un prêtre m’avait dit : Plus précieux que l’or du monde, le plus bel héritage que l’on puisse laisser à un enfant, c’est la sainteté de ses parents. Et ma grand-mère faisait l’expérience inverse, elle héritait de la sainteté grâce à son enfant.

Comment évaluer la vie d’une personne dont la communication est limitée par son handicap ? Quelle est sa fécondité, son utilité ? Ce n’est pas à nous d’en juger. Je peux cependant témoigner que la vie d’Antoine a porté de nombreux fruits pour ceux qui ont pris le temps de l’aimer, de se laisser rejoindre par son regard, de s’interroger sur sa relation à Jésus, de s’attendrir, de dépasser leur propre peur.
Antoine m’a aidé à porter un regard différent, à voir au-delà de l’apparence, à percevoir un mystère spirituel. Ces enfants « extra-ordinaires » nous aident à cheminer vers la sainteté, ils font croître ce que nous portons de meilleur, l’amour. Oui, notre croix peut fleurir pour embaumer nos maisons du doux parfum de Dieu.

Xavier : 20 ans de bonheur dans un mariage couronné de 5 enfants merveilleux.
Chef d’entreprise et Berger d’une
Maison de l’Alliance du Verbe de Vie depuis 20 ans.

La troisième voie

Octobre 1999, accablés, nous revenons de l’échographie. Un handicap lourd touche notre fille. La médecine nous laisse trois jours de réflexion avec ces mots : « Vous êtes jeunes, vous aurez d’autres enfants, les couples se séparent face au handicap, protégez votre famille. »
Désarmante proposition d’une société qui nous laisse devant un choix impossible : la mort ou « l’esclavage » du handicap. Comment choisir ? L’homme n’est-il pas fait pour la vie ?
Le peuple d’Israël qui fuyait l’Égypte se trouva coincé entre la mer Rouge et l’armée de Pharaon. Il n’avait comme choix qu’un retour à la servitude et une lutte à mort pour la liberté. Comme eux, mon épouse et moi avons expérimenté la puissance de l’abandon en Dieu.
Comme Moïse intercéda pour son peuple, la prière de l’Église éclaira notre chemin.
Nous avons poussé « le cri de l’enfant qui ébranle les entrailles de notre Père » et dans sa divine miséricorde il ouvrit une troisième voie.
Là où nous étions dans la peur, le Seigneur nous a donné sa paix.
Là où nous étions dans la tristesse, il nous a donné sa joie.
Là où nous étions dans le doute, il nous a donné l’espérance.
Comme la mer Rouge s’est ouverte pour sauver le peuple d’Israël, la grâce de Dieu s’est déployée en nous pour nous sauver autant de la mort que de la tristesse ou de la peur.
Notre fille a 15 ans aujourd’hui. Elle est la troisième d’une fratrie de 5. Nous vivons encore des grâces reçues à l’issue de ces trois jours ; cette épreuve fut une Pâque, le surgissement du Royaume sur la terre. Rien n’est impossible à Dieu.

Xavier : 20 ans de bonheur dans un mariage couronné de 5 enfants merveilleux.
Chef d’entreprise et Berger d’une
Maison de l’Alliance du Verbe de Vie depuis 20 ans.

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Carême dans la ville
Publié: 01/03/2016
Les escales d'Olivier