Une action qui a prouvé sa crédibilité

Le refus de la violence est une attitude morale qui peut se nourrir à des sources diverses. Le chrétien, par exemple, se référera au Sermon sur la montagne et à l’attitude de Jésus envers ses ennemis. Ce qui a assuré la postérité de la "non-violence" ne procède pas du simple rejet de la violence, mais de l’élaboration d’une méthode d’action. C’est pourquoi je préfère parler d’"action non violente" plutôt que de "non-violence ".

Décalque de l’expression anglaise, le mot "non-violence " est arrivé en France dans les années 20 avec les reportages publiés sur l’action menée en Inde par Gandhi. Le Mahatma ("grande âme") a marqué ainsi l’histoire du siècle en élaborant, pour mener son combat politique, une méthode d’action spécifique, permettant de lutter sans violence contre la violence.

Cette méthode trouve ses modalités propres (grèves, désobéissances civiles, boycottages, manifestations, etc.) selon les contextes. Depuis Gandhi, elle a gagné en crédibilité dans bien des régions du monde ; par exemple aux Philippines, où elle a permis de renverser le régime Marcos, en février 1986, alors que beaucoup croyaient que seule la guérilla y parviendrait. On peut encore citer l’action des "Folles de la place de Mai" en Argentine.

Mais le plus significatif demeure la façon dont se sont effondrés les anciens régimes communistes des pays de l’Est, avec la "Révolution de velours", dont les acteurs (par exemple Lech Walesa, Vaclav Havel) ont refusé toute violence : ils ne voulaient pas pervertir l’objectif visé, la démocratie, en utilisant des moyens contraires à cet objectif.

Jean-Paul II, méditant sur les causes de la chute des régimes communistes, évoque pour la première fois l’action non violente comme un mode de résistance, dans Centesimus Annus (3, 23) : il souligne "l’action non violente d’hommes et de femmes qui, alors qu’ils avaient toujours refusé de céder au pouvoir par la force, ont su trouver dans chaque cas la manière de rendre témoignage à la vérité."

Le magistère catholique s’est montré timide vis-à-vis de cette notion, car l’exigence première posée par l’Evangile n’est pas celle de la non-violence, mais celle de la charité.

Depuis le Vème siècle, c’est à partir de cette exigence de charité et de défense du faible menacé par un fort que l’Eglise développe une réflexion connue sous le nom de "doctrine de la guerre juste". Elle consiste à limiter le recours a la violence, une violence que l’on peut toutefois légitimer dans certaines conditions : que la cause soit juste ; qu’il n’existe pas d’autres moyens pour la défendre ; que l’intention soit bien de rétablir la paix, etc. Mais, au fil des siècles, cet enseignement a davantage servi à légitimer les guerres des princes chrétiens qu’à les limiter.

Depuis une cinquantaine d’années, l’Eglise insiste à nouveau sur le volet "limitation". Ainsi, avec le Concile Vatican II, ce n’est plus la moralisation de la guerre qui est visée, mais son éradication. "Il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droit", écrit Jean XXIII dans Pacem in terris (123) en avril 1963.

La priorité absolue à donner aux solutions non militaires a été réaffirmée avec force par Jean-Paul II à maintes reprises, notamment dans les mois précédant la guerre du Golfe. Mais, de tous les textes magistériels, ce sont sans doute ceux adoptés par la Conférence épiscopale des Etats-Unis en 1983 et 1993 qui se sont exprimés de la manière la plus précise sur l’action non violente : la non-violence chrétienne, écrivent-ils, "ne doit pas être confondue avec les notions populaires du pacifisme non résistant. Elle consiste, en effet, dans l’engagement à résister à une injustice manifeste et au mal public par des moyens autres que la force. (...) L’histoire récente suggère que, dans certaines circonstances, elle peut également être une entreprise collective efficace... Les responsables des gouvernements ont l’obligation morale de veiller à ce que les options non violentes soient envisagées avec sérieux dans la gestion des conflits".

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Christian MELLON s.j.

Responsable du pôle formation du Centre de Recherche et d’Action Sociales. Secrétaire de Justice et Paix France (1997-2004).

Publié: 06/02/1998