Nous sommes en deuil

Ce texte été écrit pour la communauté des étudiants, enseignants et administratifs du Theologicum – Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses

Chers amis, étudiants, enseignants, administratifs du Theologicum,

Nous sommes en deuil. Avec toute la France, nous sommes en deuil. Ce deuil n’est pas comme les autres deuils. Des jeunes et certains moins jeunes dansaient, chantaient, mangeaient, buvaient dans ce quartier de Paris si propice à la détente sous la douce température d’un mois de novembre clément. En quelques minutes, d’autres êtres humains devenus des monstres métalliques sans intelligence ni cœur, des robots sans âme, des machines de mort, les ont fauchés, les ont détruits, les ont brisés dans leur élan de vie, et se sont autodétruits, vaporisés.

Avec vous, je suis, en ce troisième jour de deuil national, toujours dans la stupeur, choqué, sans voix. Ce deuil n’est pas comme les autres. Nous sommes atteints de plein fouet dans notre chair. Chacun d’entre nous est atteint de près par l’arrachement vécu dans la chair d’autrui. Romain Dunet, étudiant en M1 de la faculté ISP-Éducation, et Thibault Rousse-Lacordaire, neveu de Laure Michel (secrétaire de l’IDSP), font partie des innocents assassinés. Dans votre entourage vous en connaissez d’autres. Certains d’entre vous étaient sur les lieux du drame et n’en dorment plus, revoyant en boucle les horreurs vécues. En même temps, nous avons été témoins d’une solidarité exceptionnelle, et nous pouvons rendre grâce pour cette générosité spontanée qui surgit par l’énergie de la compassion.

Mes pensées et ma prière vont d’abord vers ces hommes et ces femmes morts ou handicapés à vie, vers leurs proches meurtris à jamais. Ne les oublions pas. Comme croyants, comme nous l’avons fait hier lundi 16 novembre lors de l’eucharistie, nous confions les défunts à Dieu pour qu’il les accueille dans sa lumière et son amour trinitaires. Nous demandons avec force au Père par le Christ Jésus qu’il nous donne l’énergie pour accompagner les vivants éprouvés dans leur chair, et pour marcher avec eux dans l’espérance des retrouvailles avec les leurs.

Mes pensées et ma prière vont aussi vers chacun d’entre vous. Tous, nous voyons que la mort violente, injuste, ignoble, monstrueuse, vient nous côtoyer sans pudeur, et qu’elle ne s’éloigne pas sans prélever son tribut. Ce qui touche depuis des années nos frères et sœurs du Moyen-Orient, parfois quotidiennement ; ce qui touche de nombreux pays dans le monde, en Afrique, en Asie ou ailleurs ; ce que nous savions possible en France depuis le 7 janvier dernier ; ce qu’en même temps nous n’osions nous représenter ou imaginer, ceci s’est réalisé. Ceci nous glace d’effroi !

Face à cette violence démente et semblant avoir oublié toute humanité - alors même qu’une défense légitime s’avère nécessaire pour l’arrêter, nous pouvons ressentir de la peur, de la révolte, de la culpabilité, de la haine, voire un goût de vengeance. Aujourd’hui, nous n’avons pas à craindre nos émotions, car nous sommes des êtres de chair. Nous n’avons pas à ignorer et refouler ces sentiments si nous sommes prêts à les exposer devant Dieu. Si nous avons le courage de les lui adresser dans un cri avec le psalmiste : « Ô Babylone, misérable ; heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus » (Psaume 136, 8). Face à une violence haineuse et aveugle, nous découvrons notre propre capacité à haïr. La Bible ne fait pas l’impasse sur elle. Elle n’est pas un récit décrivant la vie des bisounours. Mais elle nous fait découvrir que la haine, l’accusation et la division ne sauraient avoir le dernier mot. Dieu peut accueillir en lui cette violence de destruction, la nôtre ; nous en libérer en la transfigurant en force de pardon, de réconciliation, de dialogue, de justice et d’amour, de résurrection. Ceci est le salut qui advient en Jésus Christ pour le monde et dont nous ne cessons de vouloir mieux rendre compte par le service de l’intelligence.

Notre responsabilité est grande. Il nous revient, chers amis, de faire travailler notre intelligence avec notre cœur. Il nous revient tout en reconnaissant la douleur qui est la nôtre aujourd’hui, de nous encourager ensemble à travailler mieux encore pour déployer toutes les ressources de la théologie afin de servir ce monde réel enlisé dans la confusion et l’aider à en sortir sans passer par la division. Nous savons que le défi est immense. Peu importe ! Chacun d’entre nous doit continuer à apporter sa pierre, aussi modeste soit-elle, et devenir acteur de la transformation d’un océan de haine en monde de justice et de paix. C’est ce que nous ne devons pas cesser de scruter et de préparer dans nos organismes. Notre recherche pour le Congrès de juin 2016 sur le Dialogue des rationalités culturelles et religieuses va dans ce sens.

Comptant les uns sur les autres, gardons-nous dans la prière et l’amitié, et n’oublions pas !

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Thierry-Marie COURAU o.p.

Doyen de la faculté de théologie et sciences religieuses, Paris.

Publié: 01/12/2015