L’Ecole catholique est une présence d’Eglise dans la société

L’Ecole catholique est une présence d’Eglise dans la société".
L’évêque de Lille a la charge pastorale de l’un des plus importants diocèses de France : 1600000 habitants, mais aussi 120000 jeunes dans l’enseignement catholique, de la maternelle à l’université, accueillis dans 377 établissements - dont plusieurs lasalliens -, par 8000 maîtres.

Dans le diocèse de Lille, et donc dans les écoles catholiques, se côtoient des communautés de toutes origines culturelles, de toutes pratiques religieuses. La parole, libre et forte, de Defois, lorsqu’il évoque les enjeux, les risques d’impasse aussi, du débat catéchétique, porte le poids de cette expérience de pasteur. Nous reprenons ici l’entretien de Defois avec la revue des Frères des écoles chrétiennes La Salle liens international de décembre 2006.

Que recouvre pour vous le terme "pastorale" pour un établissement d’enseignement catholique ?
C’est un mot ambigu. Nous l’utilisons à la fois pour évoquer la responsabilité pastorale du chef d’établissement, et la mission des animateurs en pastorale scolaire. Ce n’est pas la même chose.
Lorsqu’ils m’accueillent, les chefs d’établissements me proposent d’ailleurs souvent de réunir les APS. Mais là, je dis non. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’établissement lui-même, sa vie, son projet, qui est l’expression d’une présence d’Eglise. C’est l’ensemble des relations qui importe. Quand je visite une école, j’aime voir la vie de l’établissement dans son ensemble, les enseignants, le personnel, et pas seulement rencontrer les APS.

La catéchèse n’est donc pas première ?

Ce que l’on appelle le caractère propre se joue autant dans la façon dont est animé l’établissement, que dans la manière dont est dispensée la catéchèse. Il ne s’agit pas de réduire le caractère propre à la catéchèse, comme s’il y avait une petite entité, un petit ghetto catéchétique.
La seule question qui vaille, c’est ce que dit du sens de l’homme, de la foi, le fonctionnement habituel de l’établissement. Et c’est toujours difficile de faire comprendre que la façon dont un professeur de géographie parle du tiers-monde, dit quelque chose du sens chrétien de l’homme. Ce n’est pas la même chose s’il en parle en faisant réfléchir les jeunes sur la solidarité, ou s’il en parle en valorisant l’économie libérale et critiquant des pays à la traîne. C’est dire que si la pastorale se soucie, bien sûr, d’évangélisation, c’est pour dire la finalité de l’homme, et faire partager ce qu’apporté la foi chrétienne dans une conception de l’éducation.

Comment donc doit se vivre l’évangélisation ?
Lorsque l’on étudie les Pères de l’Eglise, ou le Moyen Age, on s’aperçoit qu’en fait d’évangélisation, on a toujours commencé par créer une école, un dispensaire. Les chrétiens ont inventé les hôtels-Dieu. Et ce n’est pas pour rien que Jean-Baptiste de La Salle a créé des écoles pour les gamins des banlieues, les enfants pauvres de Reims. Quoique chanoine, il n’a pas d’abord pensé à faire des élèves des enfants de choeur ; il a d’abord pensé à en faire des hommes. C’est cela qui est l’important.

On confondrait donc l’évangélisation avec le catéchisme ?
_ L’évangélisation n’est de fait pas le catéchisme au sens étroit du terme. On réduit trop volontiers l’évangélisation au confessionnel, à l’expression articulée de la foi et à l’engagement dans la vie sacramentelle.
En fait, l’évangélisation est une manière de considérer l’homme dans ce qu’il est. Le Christ n’a pas dit aux Apôtres d’amener les gens au temple. Le Christ a dit de guérir l’homme, de lui pardonner ses erreurs, de le remettre debout, d’exiger qu’il soit juste. D’exiger que sa relation à Dieu, à la religion ou au pouvoir, soit une relation juste. Autrement dit, le Christ n’a pas séparé l’humanisation de l’annonce de la Bonne Nouvelle.
Mais en même temps, il y a au coeur même de l’évangélisation une conception de l’homme qui n’est pas celle d’un libéralisme ou d’un marxisme. C’est d’abord au niveau de l’éthique, du respect de la personne humaine, que tout se joue, et c’est là que prend sens une annonce de la foi. Sinon, on "ghettoïse" le religieux, on le privatise. La catéchèse c’est le second temps après l’évangélisation. C’est l’explication de l’évangélisation.
Les jeunes sauront accueillir la Parole de Dieu, s’ils savent accueillir la parole humaine.

Quand certains réclament la catéchèse pour tous, ne s’agit-il pas de prosélytisme ?
Le prosélytisme, c’est manipuler les personnes. Et il est vrai que certains voudraient que l’on fasse une annonce plus explicite. Mais l’essentiel de la proposition de la foi part de la densité humaine, dans une visée de liberté de l’homme, de développement de son esprit critique, c’està-dire de sa capacité à prendre du recul et à savoir si telle chose est vraie et vérifiable pour chacun. Sinon, on peut tomber dans la manipulation d’autrui. Avec le risque de former des gens très pieux, mais qui n’auront pas le moindre sens critique.
Trop de jeunes et d’adultes, aujourd’hui, manquent des connaissances de base. Et lorsqu’on ne connaît pas, on ne peut plus prendre du recul, on ne peut plus critiquer en vérité.
A l’université par exemple, pour l’enseignement des sciences, on présente les résultats des recherches, mais on occulte dans quel type de société ces résultats ont pris corps. Cela conduit
à une vision réductrice de la science. C’est là un problème culturel très important.
Dans la mesure où nous saurons former à l’esprit critique, à la prise de distance, nous éviterons que les élèves soient conduits à faire des comparaisons, par exemple, entre les données scientifiques et les récits de la Bible. Ce n’est pas du tout du même ordre, et tout esprit critique sait bien qu’il y a incompatibilité entre les deux lectures. Sans esprit critique, on en reste à une forme de simplisme, et nous voyons bien les dégâts que cela peut produire.

Enseignement du "fait religieux", catéchisme, pastorale, aumônerie... les terminologies se bousculent, se mélangent parfois dans les esprits. Sur quels socles doit prioritairement - s’il doit y avoir priorité - se fonder l’enseignement catholique ?
Avant tout, sur la qualité humaine de la formation. La charte de l’enseignement catholique que propose pour son diocèse, Cattenoz, archevêque d’Avignon, ouvre un débat : à quelles conditions faut-il, aujourd’hui, continuer l’enseignement catholique ? Que doit-on y proposer ? Une question tout à la fois théorique et pratique.
Lors d’une récente réunion de parents d’élèves, cette question est d’ailleurs venue : en quoi l’école catholique est-elle autre chose qu’une école privée ? Cette réflexion est nécessaire. L’enseignement catholique existera en fonction de nos choix. Il faut s’interroger sur la façon dont on enseigne, et sur ce que l’on enseigne. Le libéralisme, dans une école privée, pose à long terme des questions de société, d’éthique. Et de conviction première ou essentielle.
Les assises de l’enseignement catholique ont rappelé qu’au centre de l’école, il y a le jeune.
Nous formons des jeunes qui ont un certain sens de l’avenir, qui sont des hommes debout...
Et leur parler de Jésus-Christ permet à ces élèves d’être plus "hommes".

Vous dites aux établissements catholiques de votre diocèse qu’ils "doivent devenir des laboratoires d’humanité". Comment vivre concrètement cette ambition ?
Arrivent aujourd’hui dans l’enseignement catholique un certain nombre de jeunes enseignants
qui portent en eux un véritable projet pédagogique et éducatif. C’est une chance de pouvoir s’appuyer sur de telles bonnes volontés.
Alors, j’ai envie de leur dire : "Sortez de votre réserve. Posez-vous des questions sur l’humanisme sous-jacent à votre enseignement. Revoyez ce que vous transmettez de l’évangile au travers de votre enseignement." Il ne doit pas y avoir de peur de s’afficher chrétiens. Dans une laïcité ouverte, on doit se respecter les uns les autres dans la diversité de nos choix.
Cela dit, non, ce n’est pas l’essentiel de mettre une croix dans une classe. Mais il y doit y avoir des propositions de célébrations, cela est important, et cela se fait. Il doit y avoir des moments
où la référence chrétienne est exprimée.
Par ailleurs, lorsque des musulmans demandent à ce que leurs enfants soient formés dans nos établissements, ils reconnaissent implicitement que notre enseignement est profondément lié à un certain humanisme. _ Que l’enseignement catholique porte témoignage des valeurs de respect de la parole de l’autre, de tolérance, d’engagement. Il y a quelque chose du christianisme qui est dit là.

Les évêques se sont fixé comme "chantier prioritaire", la "mission de l’enseignement catholique dans l’Eglise et dans la société". Y aurait-il donc un constat de dérive, ou de risque de dérive, du projet éducatif des établissements catholiques ?

Oui, il y a un risque. Mon regard de pasteur, c’est que l’enseignement catholique s’est sécularisé, s’est laïcisé. La loi Debré a ouvert la porte à la sécularisation. Mais il faut aussi le dire très clairement, si nos prédécesseurs n’avaient pas accepté la loi Debré, il n’y aurait plus d’enseignement catholique !
Nous sommes aujourd’hui à un virage. Nous devons conduire un profond travail de réflexion.
Cela demande aussi que les chefs d’établissements n’aient pas la seule passion d’accueillir toujours plus d’élèves, mais plutôt d’être témoins, dans leur établissement, du projet éducatif catholique.

"Notre école catholique est attendue, dites-vous, sur le terrain de l’espérance et du sens de la vie." Qu’avez-vous envie de dire, aujourd’hui, à ses plus de 2 millions d’élèves ?

Le système scolaire français désespère de l’élève qui ne réussit pas, et ne l’accompagne pas dans l’expérience de l’échec ou du retardement. Vous le savez, système scolaire et hiérarchie sociale vont de pair ; dans les esprits tout au moins, car c’est bien sûr faux dans la réalité.
Nous sommes dans un système de culture sociale qui ne permet pas l’échec, dans une société qui prône le défaut zéro. La vie et le système scolaire par l’évaluation donnent à l’élève une
certaine image de la réussite, et culpabilisent celui qui échoue. Or, être homme, c’est assumer ses échecs.
Alors oui, nous sommes attendus sur le terrain de l’espérance et sur celui du sens de la vie.
L’espérance, pourquoi ? Parce que, quelle que soit la faute, l’erreur, la fragilité... nous offrons
à cet élève la chance d’être lui-même, et d’avoir une vie normale. En ce sens-là, je crois qu’il
faudrait avoir le courage de mettre les meilleurs enseignants avec les moins bons élèves, pour
les aider justement à sortir de leur impasse.

Et pour le sens de la vie ?
On parle souvent des valeurs, mais il faut aller un peu plus loin. Les valeurs ne vivent pas
toutes seules. Elles ne vivent que portées par des hommes et des femmes qui leur donnent
du corps, de l’existence sociale. Avoir la foi, ce n’est pas simplement donner un sens à la vie.
La foi est aussi une alliance, c’est-à-dire un peuple, une communauté. Cela, j’en prends la
pleine conscience lorsque je rencontre des jeunes qui se préparent à la confirmation. Ce sont
des jeunes qui ont trouvé un lieu où ils se sont respectés, où ils se sont écoutés : "Au moins là,
me confient-ils, on peut dire des choses qu’on ne dit pas ailleurs. "
L’expression n’est pas nouvelle, mais on parle souvent de lieux de parole. Il faut que l’école
soit alors un lieu où les personnes, jeunes et adultes, puissent être entendues et considérées.
L’espérance, elle est liée au relationnel. Les jeunes ont besoin d’être écoutés, reconnus.

Il s’agit donc que l’élève soit enseigné, écouté, reconnu. Qu’il grandisse aussi dans sa foi. Quels liens, pour cela, peut-on tisser entre les établissements catholiques et les paroisses ?
C’est très variable selon les cas. Parfois, dans les écoles primaires, des professeurs sont aussi
catéchistes en paroisse. Le lien est alors très facile. Mais il est vrai qu’il y a parfois des jeunes
qui sont catéchisés sans jamais rencontrer un prêtre. Parfois aussi, le système catéchétique
tourne sur lui-même.
L’essentiel, c’est que l’on retrouve le caractère propre et une présence d’Eglise dans l’école.
L’école catholique n’est pas l’école de l’Eglise, mais une école dans l’Eglise.
Je veux dire par là que l’école est, dans la communauté humaine, un espace où quelque chose d’un catéchuménat ou d’un cheminement vers la foi se joue.

L’enseignement catholique semble décidément être (re) devenu un lieu de grand enjeu pour l’Eglise...
Il est vrai qu’à mon époque, pour un jeune prêtre, il ne fallait surtout pas être nommé dans
l’enseignement catholique. Pour le clergé, l’enseignement catholique était considéré comme
un vestige de la chrétienté qu’il fallait détruire. Aujourd’hui, dans la banlieue de Lille par exemple, les choses ont bien changé. On se rend compte que l’on n’accueille presque plus d’enfants au catéchisme, sauf dans l’enseignement catholique.
Lors d’une récente visite pastorale dans un secteur de mon diocèse, organisée avec la direction diocésaine pour tous les chefs d’établissements du primaire, du collège, etc., beaucoup étaient très surpris de voir que toute la pastorale du monde ouvrier était aussi présente. Parce que chacun se rend bien compte qu’aujourd’hui il se joue quelque chose de fort dans l’école, tant pour la catéchèse des jeunes que pour le développement humain du monde ouvrier.
Le projet de l’enseignement catholique n’est plus un projet marginal dont on n’aurait plus rien
à faire, mais c’est un projet essentiel de la présence de l’Eglise dans la société d’aujourd’hui.

(source : Eglise de Lille N°3 2007 )

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Gérard DEFOIS

Evêque de Lille.

Publié: 01/04/2007
Les escales d'Olivier