Galilée Matin - Édition de juin


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La tête de Jean sur un plateau
Le prophète est mort, décapité. Hérode a ainsi exaucé le souhait
de sa seconde épouse. Le peuple est scandalisé.
Hérode Antipas, le tétrarque de Galilée et de Pérée, s’est débarrassé de Jean le Baptiste. Depuis quelques semaines, le prophète du Jourdain croupissait dans sa geôle de Machéronte. Hérode ne semblait guère pressé de le neutraliser à jamais. Cette décision d’apparence politique - supprimer la source de troubles évidents - pourrait n’être qu’une histoire de colère féminine et de douteux cadeau d’anniversaire. Hérode a déjà songé à tuer celui qui a ouvert la voie à un autre agitateur, Jésus le Nazaréen. Mais la popularité de Jean, que la foule prend pour un prophète de premier ordre, l’a poussé à décaler cette funeste décision. Jean pouvait attendre en prison. Les événements se chargeraient de décider pour le tétrarque. D’autant que certains, dans l’entourage de ce dernier, affirment qu’il se montrait sensible aux paroles du prêcheur. « Il le protège », confie un notable du palais. « Il l’écoute avec plaisir même si quelques-unes de ses paroles le laissent perplexe. » La pugnacité du Baptiste, hélas ! a provoqué l’ire d’une épouse, et sa propre perte. La détermination de Jean lui interdit d’épargner les puissants de ce monde. Le clergé a essuyé ses invectives, Hérode Antipas comme les religieux. Jean a publiquement condamné le remariage de celui qui a succédé à Hérode le grand, héritant notamment de la turbulente Galilée.
Un mariage honteux

Hérode Antipas, dès son arrivée, a compris que la Pérée attisait la convoitise des puissants voisins nabatéens. Soucieux de calmer les esprits, voire de créer une alliance, il épousa la fille d’Arétas, monarque nabatéen. Les premières années de son règne échappèrent ainsi aux turbulences prévisibles de la part d’un tel voisinage. Hérode Antipas fit construire Sepphoris, Livias et la très hellénique Tibériade.
Son règne, plus modeste que flamboyant, aurait pu tirer ainsi jusqu’à sa fin, dans la quiétude. C’est sans compter avec les élans du cœur.

Hérode a fait un voyage à Rome, pour faire son rapport à l’empereur. Il a été hébergé chez son frère Philippe. Une fois encore il a succombé aux charmes de l’épouse de ce dernier : l’ambitieuse Hérodiade, fille d’Aristobule, petite-fille d’Hérode le Grand et mère de Salomé. Il a fini par l’épouser il y a une poignée d’années. Sa femme légitime, soupçonnant ce qui se tramait, avait demandé à son époux de l’envoyer, sous un prétexte futile, à la forteresse de Machéronte. De là elle s’était enfuie vers le proche territoire de son père. Hérode, se sentant dégagé de ses obligations matrimoniales, a pu ainsi prendre Hérodiade pour femme. Ce remariage, très choquant pour le peuple d’Israël, a fait basculer dans une colère noire le déjà ombrageux Arétas. Il a également attiré l’attention de Jean le Baptiste qui ne s’est guère privé de la condamner. « Il ne t’est pas permis de l’avoir », a-t-il même lancé au tétrarque lorsque celui-ci le fit arrêter.
La danse de Salomé

Cette condamnation d’un homme vêtu de peaux, plus habitué au désert qu’à la fréquentation soyeuse des palais, a manifestement rendu folle de rage la belle Hérodiade. À plusieurs reprises la nouvelle femme du tétrarque a réclamé la tête du Baptiste. Elle vient de l’obtenir.
Dans le palais d’Hérode, la fête battait son plein, hier. Le représentant de Tibère célébrait son anniversaire. Le banquet, où circulent des plats impurs, réunit les grands de la cour, les officiers et les principaux personnages de Galilée. Les attractions se succèdent.
Et Salomé entre. La fille d’Hérodiade se met à danser. Sa grâce enchante. Hérode ne cache pas sa joie. Les convives, sincères ou flatteurs, font de même. La suite est racontée par une personnalité juive qui ne répugne pas à s’asseoir à la table de l’occupant, mais qui voit en Jean un véritable prophète.

Cette personne se serait même immergée dans les eaux du Jourdain pour obtenir le pardon des péchés promis par le Baptiste. Elle raconte : « Le roi, enchanté, a fait venir la fille de sa femme. "Demande-moi ce que tu voudras. Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, jusqu’à la moitié de mon royaume." La jeune femme sortit, indécise. Elle alla voir sa mère. Celle-ci sauta sur l’aubaine et lui suggéra de réclamer la tête de Jean le Baptiste. Salomé revint devant le souverain : "Je veux la tête de Jean." L’étonnement contrit d’Hérode Antipas n’a échappé à personne. Devant les convives, lié par sa promesse, il a dépêché un garde avec mission de revenir avec la tête de Jean. Le soldat a décapité le prophète dans sa prison et est revenu avec le chef de celui qui avait osé s’en prendre à Hérodiade. La tête, posée sur un plateau, a été remise à Salomé, qui s’est dépêchée de porter à sa mère le macabre trophée. Ses disciples sont venus prendre le cadavre pour l’enterrer. Et ils ont prévenu Jésus. » Avec Jean disparaît l’un des plus importants prêcheurs qu’a connus la Galilée ces dernières années. Son destin se confond avec celui de l’homme devant lequel il s’est incliné : Jésus de Nazareth. Jean vivait dans l’attente du jugement dernier. À ses yeux les institutions religieuses ne remplissaient pas leur mission. Il fallait se repentir. Jésus se montre plus mesuré. Lui annonce le royaume de Dieu et se dit Fils de l’homme. De sa prison, Jean a entendu parler des œuvres de Jésus. Ses nombreuses guérisons, ses paraboles, ses critiques subtiles lui sont venues aux oreilles. Il a envoyé des disciples pour s’assurer que le Nazaréen est bien celui que le peuple attend. Jésus s’est adressé à la foule : « Il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste. Tous les prophètes, en effet, ainsi que la loi, ont mené leurs prophéties jusqu’à Jean. Et lui, si vous voulez m’en croire, il est cet Élie qui doit revenir. » On ne peut rêver plus belle épitaphe.
 
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Les plaies des têtes blanches
Nombreux sont ceux frappés par cette maladie qui soutiennent que, pécheurs comme tous les hommes, il n’étaient pas plus impurs. Il suffit de faire quelques centaines de pas, sur n’importe laquelle des routes qui partent de Jérusalem, pour trouver un groupe de lépreux. On les remarque de loin, avec leur tête nue et blanche sous le soleil, et leur tunique teinte de rouge, brunie par la pauvreté. Si l’on s’approche trop, le cri que l’on connaît par coeur en Judée et en Galilée, et qui fait s’enfuir les enfants avec la bouche pleine d’injures, résonne dans la solitude : « Impur, impur ! » Nous avons rencontré Josuah, lépreux depuis plusieurs mois déjà. Il a refusé de vivre en bande, comme la plupart de ceux que Dieu a punis de cet effroyable châtiment. Mendier sa nourriture ne lui est pas plus difficile qu’en groupe, et, même la nuit, aucun brigand ne lui fait jamais peur, il lui suffit de dire qu’il est impur pour que tout malintentionné s’enfuie à toutes jambes. Josuah n’avait rien soupçonné, dans les premiers temps de sa maladie. « Un jour, dans la barque que nous partageons, j’ai senti le regard attentif et inquiet de mon compagnon, pêcheur comme moi. Il s’est soudain levé avec effroi, au risque de faire basculer la barque et toute notre pêche, et a plongé dans l’eau en hurlant.
Quand j’ai regagné le bord, à la rame, tout le monde m’a fui. Mes parents, mes frères et mes soeurs m’ont chassé. J’étais devenu lépreux. » Le visage de Josuah est envahi de plaques blanches comme, selon lui, tout le reste de son corps. Avec le temps, toute sensibilité disparaît au niveau de ces plaques, ce qui lui pose d’énormes problèmes supplémentaires. Un jour, il s’est rendu compte que sa main brûlait sur un brasero en sentant une odeur de chair grillée inhabituelle. Lentement la lèpre a commencé à ronger son visage et ses membres. Il a perdu sept doigts aux deux mains, la moitié d’un pied, les deux oreilles et le nez. Il n’a plus le droit d’entrer dans les villes, et bien entendu de s’approcher de quiconque vivant. On lui dépose, parfois, de la nourriture non loin de l’abri de branches qu’il s’est dressé. Il sait que ces mesures ne sont pas tant provoquées par la peur d’attraper son mal que parce que la lèpre vient marquer sur son corps l’infamie de son âme. Mais Josuah emportera son secret dans la mort qu’il sait prochaine. Quand on lui demande quel péché il a accompli pour être puni de la sorte, il répète inlassablement : « Je ne sais pas, je suis impur, je ne sais pas, je suis impur... »
Panorama du mal

Il est impossible de dresser la liste exhaustive des maux qui frappent la terre d’Israël. Il est en revanche possible d’en décrire les plus fréquents, selon ceux qu’ils touchent.

Les prêtres du Temple souffrent souvent de dysenterie aiguë, les organes de leur ventre se refroidissent quand ils marchent pieds nus sur les dalles du Temple, et parce qu’ils multiplient les ablutions.
Tous les pêcheurs se plaignent de cors aux pieds, marque de la colère de Dieu, et de fièvre brutale qui donne des frissons si violents que parfois les murs en tremblent.
Ce n’est pas le cas de la goutte, qui touche surtout les plus riches.
Les femmes qui ont failli devant Dieu sont hémorroïdaires. Ou leurs enfants sont atteints de surdité, de cécité, souffrent de débilité mentale ou portent un pied bot.
Hommes et femmes souffrent aussi de stérilité, parfois temporaire.
Certains peuvent être paralysés d’une main ou d’un pied, ou de tout le membre, ou de tout le corps. Les rabbis s’accordent à dire que leur faute n’est pas proportionnelle à la gravité de leur mal.

 
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Qui joue à quoi
Les soldats occupants ont importé ou renouvelé les jeux de fortune. Pour tous ceux qui l’auraient oublié, leur pratique est aussi bien interdite par la loi romaine que par la loi des Hébreux. En public au moins.

La principale occupation des Romains qui habitent les villes ou leurs faubourgs est identique à la nôtre : la flânerie, au petit matin ou à la fin de l’après-midi, lorsque l’air et la poussière ne brûlent pas ou plus. Pour la flânerie on se pare soigneusement, on la goûte seul à défaut d’être en petit groupe de deux ou trois, et son objet principal est d’admirer, sous les portiques, les passants, et surtout les passantes. Quand ils ne flânent pas, les Romains jouent. La mode du jeu, dans la ville, est si prenante qu’il paraît que pas une bourse n’en sort indemne, et que ceux qui refusent une tunique à leur esclave qui frissonne sont prêts dans le même temps à perdre dix mille sesterces en une partie.
Les garnisons de Césarée, Sébaste ou Jérusalem n’ont pas de telles sommes à miser, mais la passion reste égale. Leur préférence va aux osselets et surtout aux dés. Ces derniers étant jetés depuis un gobelet, et composant donc leurs dessins de chiffres sous l’impulsion du seul hasard, indépendamment de l’habileté du joueur, il est interdit par la loi romaine de les pratiquer en public. De même, le hasard seul déterminant les résultats du pile-ou-face, le jeu reste confidentiel chez les Romains. Il est à peine utile de rappeler qu’il est formellement proscrit par la Torah, bien sûr parce qu’il dépend du sort, mais en plus parce qu’il use de pièces de monnaie portant des images et des effigies. Que tous ceux qui l’ont oublié se souviennent des disciples de rabbi Shéouda, qui réussirent l’exploit de ne jamais regarder la moindre pièce de monnaie pendant leurs achats.
Pour ceux des Romains que l’ennui guette, et à condition qu’ils ne misent rien, le jeu préféré du défunt empereur Auguste peut à la rigueur être tenté. Un joueur tient dans sa main fermée un certain nombre d’osselets, de noix ou de gros graviers.

Celui qui lui fait face doit deviner quel nombre il dissimule. Ce jeu-là n’est pas tout à fait de hasard, puisqu’il est reconnu que le face à face prolongé entre les deux joueurs finit par influencer le cours de la partie. Son aspect fastidieux doit n’être qu’apparent ; les parties peuvent durer des après-midi entières. Certains habitants de Jérusalem se sont sans doute demandé ce que signifiaient ces étranges manières qu’emprunteront parfois les soldats. Ils se placent face à face dans la rue, les mains derrière le dos, puis se montrent soudainement leurs mains dont certains doigts sont tendus, les autres repliés. Au moment où ils présentent leurs mains, ils crient un nombre de un à dix, tout en riant très fort. Outre qu’il a permis aux enfants de Jérusalem de commencer à apprendre à compter en latin, le jeu demande une certaine finesse psychologique et ne dépend pas seulement du sort. Il s’agit, pour gagner, de deviner combien de doigts l’adversaire va dresser. Là encore, les parties durent souvent des heures. Une autre occupation romaine rencontre un succès croissant à Jérusalem. Elle consiste à tracer sur le sable une table quadrillée d’un damier de soixante cases. Un joueur dispose de noix, l’autre de cailloux, chacun se partageant la moitié des cases de la table. Le but est d’avancer de case en case, sans laisser d’espace vide derrière ses propres pions, afin qu’ils ne soient pas retenus prisonniers par ceux de l’adversaire. Toutes ces occupations, interdites par le Temple, présentent pourtant une vertu, comme nous le confiait un commerçant de Jérusalem : « Mieux vaut que les soldats s’occupent à jouer avec des pierres, des noix ou des petits os plutôt que de nous les lancer pour tromper leur ennui. » Il reste que tous ces jeux présentent une double face. Menés l’après-midi, sous le soleil, ils passent le temps. Il n’en va pas de même le soir et la nuit, quand les soldats s’enferment dans les auberges et les tripots que certains n’ont pas manqué d’ouvrir à Jérusalem, et que fréquentent aussi des Grecques, des Égyptiennes, des Numides ou des Syriennes.
Décollation de Jean Baptiste

Aujourd’hui, l’occasion a été donnée à Hérodiade de faire enfin exécuter Jean le Baptiste qu’elle hait. Aujourd’hui est jour anniversaire pour Hérode. Un banquet a été organisé où ont été conviés les grands, les officiers de la troupe et les premiers personnages du pays. Or, au cours du repas - cela faisait partie des festivités - Salomé, la fille du premier lit d’Hérodiade, s’est présentée devant les convives pour danser. Elle a dansé et a si bien plu à Hérode que celui-ci s’est levé et lui a offert de satisfaire son moindre désir, quel qu’il fût. L’adolescente, elle a tout juste quinze ans, ne sachant que demander, s’est retirée pour consulter sa mère. Lorsqu’elle est revenue dans la salle d’honneur elle a exigé qu’on lui apportât la tête de Jean sur un plat. On a pu voir, alors, le roi se rembrunir. Mais, l’eût-il voulu, il ne pouvait manquer à son serment. C’est ainsi qu’en ce jour Jean a été décapité, sa tête apportée sur un plat à Hérode puis donnée à l’adolescente qui l’a transmise à sa mère. Où la mère avait échoué, la fille a réussi, mais c’est la mère qui se réjouit.
Le corps du prophète, lui, a été emporté par ses disciples et enseveli.


 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Conversion d’Hélène d’Adiabène
Hélène, reine d’Adiabène, a choisi de se convertir à la religion juive ainsi que tous ses fils, qui ont réclamé la circoncision. Le porteur de la foi d’Abraham dans le royaume oriental a pour nom Ananias, qui n’est ni prêtre ni rabbin, mais marchand. Ananias avait accès au gynécée royal et convertit d’abord les femmes d’Izatès, fils aîné de la reine, puis Izatès lui-même. Secondé par
un ami galiléen, Éléazar, Ananias a enfin converti la reine elle-même. La circoncision des princes, contrairement aux craintes de la famille royale, n’a pas soulevé la colère du peuple. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui ont choisi de suivre leur reine, Hélène. En hommage aux princes d’Adiabène, un office sacrificiel aura lieu la semaine prochaine au Temple de Jérusalem.
 

Violent incendie à Rome

Un violent incendie a ravagé Rome pendant plusieurs jours. Tout le quartier de l’Aventin a été détruit par les flammes. Le vent a attisé les flammes d’une maison de bois à l’autre, sans que la milice de l’armée romaine spécialisée dans la lutte contre le feu puisse agir. En apprenant la nouvelle à Capri, où il s’est installé, Tibère a décidé d’allouer une somme de cent millions de sesterces aux victimes du sinistre.

L’art de l’écriture

On écrit sur les rouleaux de papyrus, comme celui que compulse ce Romain dans sa bibliothèque, à l’aide d’un pinceau, tandis qu’on utilise le stylet (dont l’un des bouts est en bronze effilé afin de donner épaisseur constante à l’écriture, et l’autre en forme de spatule pour pouvoir effacer) pour graver les tablettes de cire comme celles représentées ici.
L’alphabet romain comportait jusqu’il y a un siècle dix-neuf lettres. Depuis le X et le Y sont venus s’y adjoindre. Tout comme les Grecs, les Romains utilisent les majuscules pour la pierre et les minuscules pour les autres supports, le papyrus et la cire.

 
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Jean-Michel DI FALCO

Evêque émérite de Gap et d’Embrun.
Fondateur du groupe de chanteurs "Les Prêtres".

Publié: 01/06/2021