Un langage imagé : parabole et métaphore

Texte extrait de « Naviguer avec saint Ignace », hors série n° 543 de la revue Vie Chrétienne.
Oser quitter la terre, ses terres habituelles ; avancer au large, tenir le cap à travers tempêtes et calmes plats ; revenir autre, débarquer pour ré-habiter autrement son quotidien.

Pour parler de la vie spirituelle et permettre à des personnes, le plus souvent urbaines, d’entrer dans le mouvement du Christ itinérant, le recours aux métaphores marines est un élément fondamental de la pédagogie Vie en mer. Cette façon de procéder, avec chaque matin, des topos donnés par un skipper sur la plage, s’inspire de la manière de faire de Jésus. Nous l’avons vu, dans l’évangile de Marc, afin d’ouvrir ses auditeurs à la réalité mystérieuse du royaume de Dieu qu’Il vient annoncer, le Christ enseigne par paraboles. Pour tenter de comprendre ce qui se joue dans et par ces paroles imagées, explorons maintenant les cartes du langage symbolique.

Définition et fonctionnement de la parabole

La parabole est un micro-récit qui utilise le langage analogique. Elle repose donc sur la figure littéraire de la métaphore consistant en un rapprochement inédit entre des éléments dissemblables, et habituellement éloignés. Elle suppose une capacité d’imagination pour voir ce qui généralement ne se voit pas. La parabole est donc un moyen que possède le langage pour évoquer une réalité invisible et/ou inconnue à partir d’éléments visibles et/ou connus. Elle est toujours liée à une situation de communication, visant la transmission réussie du message entre le locuteur qui l’énonce et l’auditeur qui la reçoit. Ce type de communication a la particularité de mettre le récepteur en position active et participative, puisqu’elle l’implique dans ce qui est raconté, par l’emploi d’images évocatrices qui viennent le toucher dans ses sens et ses affects. Elle crée par là une relation entre celui qui parle et celui qui écoute.
Les évangiles synoptiques contiennent un corpus conséquent de paraboles : plus de quarante... Ce type d’enseignement, souvent mis dans la bouche de Jésus, métaphore ou comparaison tirée de la nature ou de la vie courante, frappe l’auditeur par son caractère vivant ou étrange. Son application exacte sème dans l’esprit un doute suffisant pour inciter chacun à réfléchir personnellement. La parabole se présente donc comme un art de parler de Dieu en partant de situations empruntées à la vie quotidienne.

La métaphore et ses effets

La philosophie a mis particulièrement en lumière la force de création de sens de cette figure, sa riche potentialité de signification pour celui qui l’entend. Procédé de rapprochement entre deux réalités au départ éloignées, la métaphore fait surgir un nouveau sens par impossibilité logique d’en rester au sens premier et habituel. Ainsi, la métaphore permet d’ouvrir des possibles inconnus auparavant.
Dans ce processus d’émergence d’une nouvelle signification se situe la mise au jour de la puissance créatrice du langage et donc de l’être. Du coup, la métaphore, par sa puissance d’innovation sémantique, permet de nommer les nuances subtiles de l’expérience et du changement, qu’un langage technique et scientifique peut difficilement décrire. On comprend donc pourquoi le langage symbolique et métaphorique est le plus proche de la vie en son mouvement même. C’est donc une utilisation des moyens du langage qui propose un nouveau monde, une nouvelle façon de voir la réalité, un chemin de (re)naissance. Car ce type d’énonciation, par la mise en suspens de l’action et de la volonté que provoque l’imagination, ne vise pas directement une décision mais l’ouverture de possibles chez l’auditeur, pour lui permettre d’avancer en liberté. Il introduit et développe en lui une dimension créatrice. On a là un moyen de susciter son inventivité, car l’aspect créatif de la métaphore le déplace et l’aide à entrer dans un univers, en grande partie inconnu à lui-même, qui émerge tout d’un coup sous la forme d’une comparaison. Ce langage du « voir comme », fondé sur le rapprochement surprenant entre deux réalités, au départ éloignées voire incompatibles, introduit donc du neuf et de l’inédit. Il apparaît en tant qu’événement de signification indissociable de son contexte de production.

La fonction du langage parabolique dans les Évangiles

Ces analyses viennent éclairer puissamment la fonction des paraboles évangéliques. Langage de la communication, la parabole devient moyen d’une pédagogie divine qui appelle au changement et à la conversion, rendus possibles par l’émergence d’une nouvelle dimension de la réalité. Elle est un fait de langage qui donne à voir la réalité mystérieuse du royaume de Dieu donné en et par son Fils. Cette forme d’enseignement interpelle les auditeurs, bouscule leur vision du monde et dérange leurs valeurs habituelles. Ces récits profanes utilisent le langage de l’ordinaire pour dire l’extraordinaire de la proximité du Royaume. En maniant paradoxes et formulations hyperboliques par des éléments d’extravagance, ils désorientent le récepteur pour lui faire vivre un déplacement intérieur en vue d’une réorientation. Mais la parabole ne se comprend que par ceux qui entrent dans l’expérience de la métaphore. Ce qui distingue les disciples de la foule en  : « À vous, le mystère du royaume de Dieu a été donné ; mais à ceux qui sont dehors tout arrive en paraboles, afin qu’ils aient beau regarder et ils ne voient pas, qu’ils aient beau entendre et ils ne comprennent pas. » Parler en paraboles permet donc de sauvegarder la liberté de celui qui écoute et de celui qui parle. Elle ne s’impose jamais comme une vérité scientifique irréfutable mais suppose une interprétation. Elle confie donc tout son effet au jeu de la réception, présupposant et engendrant la confiance. Ce qu’exprime bien la parabole du semeur en considérée comme la parabole de la parabole : le grain semé de la parole qui se communique peut ou non s’enfoncer dans la terre et donner du fruit.

Un langage pour dire Dieu et son action dans le monde

Langage de la transmission d’une expérience qui fait entrer les auditeurs dans un itinéraire, la parabole est le langage qu’utilise Jésus pour dévoiler et faire advenir, à la conscience de ses auditeurs en même temps qu’à sa propre conscience, le mystère de sa relation personnelle avec Dieu et avec le peuple. Elle exprime par là que Dieu ne se découvre que dans l’acte de le communiquer à d’autres. Dans un acte toujours relationnel, parce que trinitaire, Il est en lui-même échange et réciprocité. La parabole évangélique repose sur l’hypothèse que le quotidien et les pratiques concrètes peuvent parler de Dieu. Et donc que le monde parle, que quelque chose d’un mystère se dévoile à travers lui. Elle se fonde dans une certaine conception du monde : le monde est à déchiffrer, à accueillir et non à saisir ou posséder. Cette manière, discrète et donc faible, de révéler Dieu par une mise en intrigue du monde, et non par affirmations péremptoires, préserve l’énigme, le secret... Elle fait percevoir des liens, une unité concevable entre le monde et Dieu. Elle donne à découvrir que Dieu est intrigue en lui-même, mouvant en quelque sorte, insaisissable comme la mer... La force de ce langage analogique réside dans sa capacité à parler de Dieu présent en ce monde, tout en préservant la radicale transcendance et dissemblance du Créateur et de sa création. Ce langage sur Dieu, témoigne d’un certain rapport au monde, que l’on peut qualifier de poétique, à l’opposé d’un rapport fonctionnel et technique qui instrumentalise le monde et le décortique pour mieux le maîtriser. Il peut alors suggérer avec respect le mystère de la création et de l’incarnation : Dieu n’est pas dans le monde, il en est séparé comme Créateur ; mais en même temps, Il le rejoint par son Verbe, Parole incarnée dans la parole du monde. Si le royaume de Dieu advient par Jésus qui nous le révèle, dans un événement de langage au cœur même du monde, alors Jésus comme le monde sont paraboles de Dieu.
Ce langage métaphorique de la parabole, enseignement horizontal, dans lequel celui qui parle part de ce que vit celui qui écoute, est particulièrement apte à susciter une transformation personnelle tout en créant une communauté entre locuteur et récepteurs. Car la découverte de l’émetteur devient aussi celle des auditeurs. Cela crée des liens entre eux et suscite une expérience relationnelle qui touche et renouvelle chacun jusque dans son identité profonde. La force de ce langage est de pouvoir dire, introduire à et signifier un nouveau type de relations au monde, à Dieu, aux autres. Il nous semble, par là, particulièrement en affinité avec une vie spirituelle qui se déploie dans l’alternance de motions, et donc avec la vision ignatienne du magis qui conçoit l’homme comme un être de désir sans cesse en quête, pèlerin en marche... Alors la métaphore d’une mer toujours changeante et en devenir, comme l’Esprit qui fait toute chose nouvelle, peut se découvrir parabole de la vie, symbole de ce qui advient en ceux qui se mettent à écouter la Parole et à suivre le Christ jusqu’en sa Pâque. Un langage à même d’exprimer la transformation du regard, l’épreuve de la nuit, la succession des vagues de désolation et de consolation, la confrontation aux résistances, la traversée dans la foi, l’expérience d’une recréation... Refiguration de ce qu’ont vécu les disciples entrés dans l’écoute des paraboles, passés sur l’autre rive, envoyés en mission pour guérir jusqu’en territoire païen.

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Nathalie BECQUART

Religieuse xavière, skipper et accompagnatrice spirituelle.

Vie en mer
Publié: 01/11/2018