L’icône de la Nativité

Homélie de la nuit de Noël 2005 à Douai, diffusée par France Culture.

L’icône, en Orient, dit en couleurs la foi de l’Église, le plus souvent mieux que les livres. Je regarde l’icône de la Nativité :

Marie ?
Elle n’est pas à genoux, mais étendue, comme la femme qui vient d’accoucher. Elle porte trois étoiles d’or sur les épaules et sur le front : elle est vierge avant, pendant et après la naissance de son enfant.

Cela vaut la peine de bien regarder Marie. Car, sans aucun mépris pour les gestes de l’amour qui donnent aux époux la joie d’enfanter, Dieu nous dit, par elle, que la vie vient plus de Lui, que de l’amour, si beau soit-il, de nos parents.

Joseph ?
Il est accroupi dans un coin, songeur. A l’écoute surtout : il est tout oreilles pour son Dieu. Vous savez qu’il ne dit pas un seul mot dans tout l’Évangile : dans le silence attentif, il entend les trois appels surprenants, dérangeants, déroutants, que Dieu lui adresse par son ange. Il se souvient bien du premier, le plus difficile à admettre :
Mt 1, 20 "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint. Joseph, alors, prit chez lui son épouse et, sans qu’il l’ait connue, elle enfanta un fils."
Il va entendre le second :
Mt 2, 13 "Joseph, lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. Joseph prit l’enfant et sa mère, et il se retira en Égypte."
Il entendra le troisième :
Mt 2, 19 "Joseph, lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et reviens au pays d’Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et rentra au pays d’Israël..."

Cela vaut la peine de regarder Joseph, le croyant silencieux qui, dans la foi peut-être obscure, obéit sans tarder aux appels les plus fous de son Dieu !

Les bergers : ils sont là, mais jamais sans les mages ! Et cela, pour placer tout près de Jésus les plus pauvres des Juifs avec les plus riches des païens. Tous les rejetés de la synagogue, les premiers parce qu’ils travaillent le sacro-saint jour du sabbat - il faut bien garder et nourrir les troupeaux -, les autres parce qu’ils sont étrangers.

Cela vaut la peine de regarder les bergers et les mages, et pas les uns sans les autres. Parce qu’en les regardant, nous avons de quoi comprendre qu’il y a place pour chacun, chacune de nous tout près de Jésus ; aux premières places, quelles que soient nos pauvretés ou nos richesses, nos ignorances ou nos connaissances. Encore nous nous croirions les plus indignes devant Lui, ou les plus loin de Lui !

Et il y a l’enfant, et là, l’icône devient provocatrice. Car il n’est pas dans un berceau douillet, ni sur la paille dorée des crèches flamandes. Il n’est pas tout nu, ou à peine voilé de soie légère. Il naît sur fond noir de sépulcre dans un sarcophage de pierres froides. Prisonnier de ces bandelettes blanches dont on se sert en Palestine juive pour ensevelir les morts. Il surgit dans les ténèbres du monde. Il vient, en les faisant siennes, nous libérer de toutes les bandelettes qui nous ficellent dans nos vies mal-vivantes, ficelles de nos tristesses et de notre oubli des autres, ficelles qui ferment nos mains, nos cœurs et nos portes, ficelles de nos richesses non partagées et de nos engagements mal vécus. Il nous aime trop pour nous supporter ficelés !

Cela vaut la peine de bien le contempler : il ne triche pas avec notre condition d’homme, il ne s’évite pas magiquement toutes les épreuves de nos vies, l’affrontement de la solitude et de l’abandon, de la peur de souffrir et de mourir, il va nous montrer à quel point, avec un vrai corps d’homme, un vrai esprit d’homme, un vrai cœur d’homme, on peut vraiment vivre libéré de toutes ces ficelles, lorsqu’on se laisse remplir de l’Esprit de Dieu ! Sur l’icône de la Résurrection, on retrouvera le même sarcophage froid, mais vide ! Les mêmes bandelettes blanches, mais vides aussi, roulées ou soigneusement pliées ; près du Ressuscité, bel et bien debout à jamais, vivant pour toujours.

Au-dessus de l’icône, de cette fenêtre de ciel qui nous regarde, nous espère et nous appelle à renaître, on voit le ciel s’ouvrir. Un rayon de lumière traverse le ciel d’or. Il vient du Père que l’Orient s’interdit de représenter. Il vient toucher l’enfant.

Cela vaut aussi la peine de bien le regarder : le rayon de lumière vient toucher l’Unique, le Fils que Dieu nous donne pour nous réapprendre à devenir enfin des hommes et des femmes dignes de ce nom !

Il n’y a plus qu’à louer Dieu :

Veilleurs dites-nous

Veilleurs, dites-nous
Où en est la nuit !
Veilleurs, savez-vous
Si le ciel pâlit ?
Amis, levez-vous,
Chantez aujourd’hui :

Le Fils de Marie,
Jésus, le Messie,
Apporte la paix :
Le peuple connaît
Une immense joie
Qui n’en finit pas :

Seigneur, Roi du ciel,
Seigneur, Éternel,
Père très aimant,
Père tout-puissant,
Dieu qui n’es pas loin,
Dieu qui tends la main,

Nous te bénissons, nous te glorifions,
Nous célébrons, nous adorons
Ta gloire !

Toi l’Emmanuel,
Chair de notre chair,
Tiens-nous en ton corps.

Envoyé de Dieu,
Partout rejeté,
Perçois nos appels.

Lumière de Dieu
Voilée par la nuit,
Dessille nos yeux.

Prince de la vie
Promis à la mort,
Fais taire nos peurs.

Chargé du pouvoir,
Plus faible que tous,
Assure nos pas.

Enfant du Très-Haut
Venu jusqu’à nous,
Retourne nos vies.

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François GARNIER

Archevêque de Cambrai († 2018).

Publié: 01/12/2017