Emmaüs

Jean Restout (1692-1768), 1735. Huile sur toile, 2,8 x 1,5 m. Lille, palais des Beaux-Arts.

A propos de l’évangile de Luc : .

Jadis dressée au-dessus d’un autel d’une église parisienne, cette toile nous ramène à Emmaüs, dans une auberge au simple plafond de poutres brutes. Etrangement, en revanche le sol est de marbre précieux. Ce n’est pas la seule incongruité de l’œuvre : un vaste drapé a envahi l’espace, mêlé de nuée et de lumière. Une lampe pareille à celle d’un sanctuaire, éclaire la scène. Face à l’autel, le fidèle était autant à Emmaüs qu’en son église ; et l’ambiguïté est volontaire : à chaque célébration eucharistique, nous sommes à Emmaüs avec les deux disciples et le Seigneur qui rompt le pain. Et à Emmaüs, le Christ ressuscité manifestait combien la fraction du pain ferait le corps de l’Eglise naissante.

Le Christ est peint de douces tonalités : le rouge et le bleu traditionnels de son vêtement se sont éclaircis, ses cheveux tirent sur le blond. Même la lumière qui le nimbe s’accorde à cette douceur. Diaphane, il est pourtant le cœur de la composition, solidement ancré dans la scène par son manteau bleu trop largement déployé. A ses disciples et aux fidèles, il présente le pain et le rompt. Son regard se tourne vers le Père, bien au-delà du plafond de bois. Toute eucharistie est action de grâce au Père, et il s’agit toujours d’une réalité trinitaire comme la lampe à trois flammes le rappelle.

Autour de Jésus, les quatre personnages adoptent quatre attitudes différentes. L’artiste nous invite à considérer laquelle est la nôtre, quitte à la convertir.

L’aubergiste et le jeune garçon de droite, qui se confondent avec le fond, ne peuvent pas accueillir ce qui se joue sous leurs yeux : ils n’ont pas vécu ce lent compagnonnage avec Jésus, et Il n’a pas ouvert pour eux le livre des Ecritures avec eux, chemin faisant. Indifférente, l’aubergiste tourne le dos à la scène et s’éloigne. Circulez, il n’y a rien à voir… Le jeune garçon perçoit qu’il se passe quelque chose mais se recule, saisi d’effroi. Si un miracle se produit sous ses yeux et qu’il n’a pas découvert l’amour de Dieu révélé en Jésus, comment pourrait-il l’accueillir paisiblement ?

Quant aux deux disciples, ils ont raconté à Jésus leur peine et l’épreuve de la Passion. Ils l’ont écouté en marchant, et ils l’ont invité à demeurer plus longtemps avec eux. C’est au geste de la fraction du pain que leurs yeux s’ouvrent pour le reconnaître, que la nuée se dissipe pour faire place à la lumière tandis que Jésus semble déjà se dissoudre en elle.
Hommes de ce monde bien concrets, puissamment peints, ils adoptent les gestes de la liturgie, celui de la prière et celui de l’humilité en présence de Dieu. Ils ont communié au corps du Seigneur. Il leur reste à reprendre leurs bâtons et parcourir les routes du monde pour l’annoncer ; et à se faire serviteurs, comme Lui-même leur a appris le Jeudi saint en lavant les pieds de ses apôtres.

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Venceslas DEBLOCK

Prêtre du diocèse de Cambrai, responsable de la Commission d’art sacré.

Publié: 15/03/2020