Nouvelles d’Al-Safina
Témoignage de l’Arche en Syrie, décembre 2013
Au moment de vous envoyer nos vœux de fête de Noël, fête du Prince de la paix, nous savons bien que vous êtes vous aussi inquiets pour nous. Ces derniers mois ont été difficiles, car les combats étaient proches et nous entendons continuellement le bruit des armes, des explosions ; depuis quelques semaines, des obus et des roquettes tombent sur nos quartiers.
Un soir, au mois d’août, Youssef a été blessé à la tête lors de l’explosion d’une voiture piégée, alors qu’il était dans une boutique avec des amis. Heureusement cela n’a pas été grave, mais dans ces circonstances, on accuse surtout le choc psychologique. Et puis, il est aussi difficile de ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain et surtout ne pas voir le bout du tunnel… On est face à une réalité dramatique : la peur, l’inquiétude, l’insécurité sont le lot de tous. Il n’y a plus d’endroit dans notre pays où on soit tranquille, où on ne soit plus touché par la violence.
Malgré cela, la vie continue. Al-Safina n’a pas arrêté sa vie, nous continuons à aller à Beit al-Salam pour le travail, chaque jour les personnes de l’atelier viennent en autobus pour travailler à l’atelier, les assistants continuent à aller et venir, même à aller dans leurs villages. Ce n’est pas sans difficultés car les communications sont très perturbées en ville et les déplacements prennent beaucoup de temps. Souvent on doit marcher à pied, ce que font Ghada et Lina pour venir au Safina…
Cette année nous n’avons pas pu aller comme les autres années en vacances à Kfar Setta, à la mer : la route est dangereuse et le centre est occupé par des réfugiés. Pendant l’été, Samer, Karim, Wafa, Randa, Christine et Gladis ont fait des séjours dans leur famille, Gaby a passé quelques jours avec sa mère à la maison de retraite, mais ils ont aussi passés des bons moments au foyer où les assistants ont accepté de maintenir l’accueil, surtout pour Youssef.
Cette année Randa est même allée aux Émirats où son frère l’a accueillie pendant quelques semaines ; elle est devenue une grande voyageuse ! Karim aimerait bien aller dans son village, mais son père a dû le quitter et se réfugier à Damas. Cette année Karim et Youssef ont fêté leur anniversaire ensemble ; Youssef a maintenant 60 ans, l’âge de la retraite, mais il continue à travailler. Nous sommes un peu inquiets pour la santé de Samer : il faudrait l’opérer mais son cœur est trop fragile ; il reste au foyer et va de temps en temps chez son frère et sa sœur. Wafa, elle aussi, est fatiguée, mais va encore à Beit al-Salam. Gladis et Christine vont maintenant au Mina, notre atelier, pour travailler ; elles sont plus paisibles maintenant.
Qays, un assistant qui nous accompagnait depuis longtemps, nous a quittés pour aller dans une ’Arche’ en Angleterre. Nous pensons bien à lui, et à d’autres amis d’Al-Safina qui sont eux aussi partis en dehors de Syrie et ont rejoint ces millions de Syriens qui sont réfugiés un peu partout.
Au cours de l’année, il y a eu aussi comme les autres années des faits marquants : en mars, l’atelier a été invité pour exposer les dernières créations à l’Opéra. Fidèle à sa tradition, les 23 et 24 novembre, Al-Safina, défiant la peur due aux événements, a ouvert ses portes pour accueillir à son bazar amis et bienfaiteurs. Pour épargner aux visiteurs des déplacements difficiles, Al-Safina a préféré faire son bazar d’abord dans un hôtel du centre ville, puis à al-Mina. Beaucoup de gens sont venus et ont ainsi manifesté leur sympathie et leur solidarité. Al-Safina gardera toujours sa foi et fera son possible pour maintenir la lumière de l’espérance bien allumée.
En mai, il y a eu aussi un repas avec le comité ; d’anciens assistants avaient aussi été invités. Le 31 juillet, le P. Nawras est venu célébrer l’Eucharistie pour marquer la fin de l’année. Gaby est toujours l’animateur de ces messes ; c’est impressionnant de voir à quel point il comprend l’Évangile.
L’Arche est toujours attentive à la formation des assistants ; c’est ainsi que Ghada est allée en Pologne en février, et en juin, elle est allée aussi en Égypte avec Marie et Tareq, qui sont assistants depuis déjà plus d’un an. Mais fait plus marquant, du 3 au 8 décembre, pour la première fois, assistants, conseil communautaire et comité d’Al-Safina, se sont réunis au couvent de Taanayel au Liban avec Stan et Widad venus de France. Les thèmes de cette rencontre étaient : la communication non violente, l’accueil des nouveaux assistants et l’accompagnement des personnes avec handicap ainsi bien sûr que les nouvelles de l’Arche internationale. Nous avions soif des richesses spirituelles que donne l’Arche et cette formation est venue répondre à nos appels : comment dans notre pays affronter la violence et supporter la peur si difficile à maîtriser. Nous avons vécu ensemble des moments de riches partages, de joie et de prière. Merci à Stan et Widad de nous avoir bien écoutés. Merci pour l’esprit de paix et d’espérance que vous nous avez communiqué.
En septembre, nous avons, célébré l’Eucharistie pour la paix, en communion avec le pape François. C’est le P. Nawras, notre aumônier, qui a célébré. Si nous sommes impuissants à guérir et à faire la paix, c’est sans doute que nous ne savons pas prier, mais prier c’est aussi faire la paix en soi. Le pape François nous dit : "Laissez-vous regarder par le Seigneur. Lui nous regarde et cela, c’est une manière de prier… Regarder le tabernacle, se laisser regarder…" Vous voyez, malgré cette situation dramatique, nous vivons, nous continuons à vivre et à travailler. Il ne faut pas baisser les bras. Bien sûr nous nous sentons bien impuissants devant ces événements, nous ne faisons pas grand-chose, mais la vie n’est pas liée au « faire ». Notre impuissance, notre faiblesse ne sont-elles pas un signe, un appel à Quelqu’un qui est source de compassion et de paix ? Rester confiant dans la force de notre faiblesse, c’est déjà affirmer que la vie est plus forte que la mort.
À l’approche de Noël, la fête du Prince de la paix, nous sommes heureux de vous rejoindre. Nous prierons pour que la « visite » du Sauveur, petit enfant, soit reconnue par les hommes, comme l’a fait Zacharie et nous voulons espérer que nos cris seront entendus et que la paix tant attendue finira par advenir.
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