Les miettes pour les petits chiens
Hier dans le Propre de la messe, on a lu le texte de la Syro-phénicienne qui te supplie, Seigneur, de guérir sa fille et que tu rabroues parce qu’elle est étrangère. Tu te dois d’abord aux brebis perdues d’Israël. Le célébrant nous a expliqué qu’il ne fallait surtout pas prendre cette lecture au premier degré, y voir une attitude blessante, voire raciste de ta part. Une fois de plus, Tu aurais eu le souci d’être pédagogue vis à vis de tes douze copains. D’après lui, si j’ai bien compris, il faudrait replacer ce passage dans son contexte (c’est généralement assez utile de le faire, pour ne pas dire indispensable). Or il y aurait eu un premier miracle de multiplication des pains, réservé au peuple d’Israël et après la Syro-phénicienne, il y aurait eu un second miracle de multiplication des pains pour un peuple beaucoup plus mélangé. D’après le célébrant, tes paroles, Seigneur, seraient seulement, le reflet de ce que tes Apôtres pensaient, et Tu aurais voulu les amener à une conception plus large et même universelle du salut offert à tous les hommes.
Sûr, c’est un point de vue intéressant, mais en réfléchissant - je n’ose pas dire en méditant - je trouve que la lecture au premier degré est pleinement satisfaisante. Pourquoi vouloir interpréter tes propos en les édulcorant, Seigneur ? « Femme, j’ai été envoyé pour les brebis d’Israël. » C’est la mission reçue par tous les prophètes qui T’ont précédé. Or Tu es prophète ; mais Tu es aussi un homme. Pourquoi ne pas penser que justement, Tu es allé en Syro-Phénicie, espérant avoir un peu de calme, un peu de repos. En principe, en Samarie, les gens ne devaient pas être a priori, très attirés par Toi. Alors je veux bien que tes Apôtres, à ce moment-là, ne soient pas très ouverts sur l’universalisme de la Bonne Nouvelle. Mais justement le texte nous dit : eux aussi sont fatigués par la cohue des foules qui se précipitent sur Toi, et ils intercèdent auprès de Toi, Seigneur, pas par pitié, par compassion pour cette mère de famille, non simplement par opportunité. Ce qu’ils disent, ça peut se résumer ainsi : « Donne lui ce qu’elle demande, Seigneur, ainsi elle cessera de nous casser les oreilles. »
Et vient alors le dialogue entre Toi et cette femme, et l’émerveillement que Tu ressens devant son humilité. « Il n’est pas bon de donner le pain des enfants aux petits chiens, dis-Tu – Oui mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table des enfants » réplique-t-elle. Et là Tu fonds, Tu es retourné.
Ah ! Seigneur, pour aujourd’hui je préfère entendre ce texte au premier degré. Comme Tu écoutes bien malgré Ta fatigue. Comme Tu sais t’émerveiller devant les propos de cette femme !
Dans Ta courte vie, les hommes, tes frères ne t’ont pas souvent donné l’occasion de t’émerveiller ; en dehors de cette femme, je vois le centurion dont le serviteur était malade, le père de l’épileptique, la petite vieille à la piécette prés du Trésor du temple et sans doute aussi l’assurance tranquille de ta mère à Cana, quand tu lui as opposé un refus et qu’elle a dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
J’aime bien Te voir réagir en homme, tout bonnement en homme qui peut être fatigué, qui peut répondre, sans prendre le temps de réfléchir à fond à ce qu’il dit et peut changer d’avis si on lui donne une bonne raison… Dans ces cas-là, je Te sens proche et j’ai envie de t’aimer. Aussi pour aujourd’hui, je m’en tiens au premier degré. Mais je vais garder l’autre interprétation, ça peut servir, si pas pour moi, pour d’autres qui y trouveront leur compte.
Tu es vraiment un être extraordinaire, Seigneur, parce qu’enfin, plus de 2000 ans après ta venue, les écrits de tes Evangélistes nous parlent familièrement et sont susceptibles d’être entendus de plusieurs façon pour nous aider à mieux cheminer derrière Toi. Mais, diront certains, où est la Vérité avec un grand V. Quelle est la bonne interprétation ? Comme si il ne pouvait y en avoir qu’une seule. Mais non, tes paroles sont si riches, Seigneur, qu’on peut les entendre de plusieurs façons.
Merci Seigneur.
Laïque mariste († 2011).
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