Sciences, clercs et religieux au 20e siècle

Le présent compendium contient les noms des clercs ou des membres d’un ordre religieux dont la contribution historique au développement de la culture scientifique semble solidement avérée. Il ne prétend pas être exhaustif, et les informations rassemblées ci-dessous manquent parfois de précision du simple fait de leur concision. Certains des personnages mentionnés ont parfois négligé la théologie au profit des sciences, tandis que d’autres ont parfois fait le choix inverse, et que d’autres encore ont trouvé leur bonheur en parvenant à établir un certain équilibre entre toutes les dimensions de leur vocation.
La notice ci-dessous mentionne rarement ce qu’il en a été pour chacun, et ne cherche à juger personne. Le choix des noms retenus ici, qui se veut aussi objectif que possible, comporte malgré tout inévitablement une part de subjectivité et d’ignorance de la part de l’auteur.
Ces articles sont publiés avec la permission de l’association Foi-et-Culture-Scientifique du diocèse d’Evry. Revue Connaître, N° 39 - Juillet 2013

Le nombre de chercheurs scientifiques augmente fortement tout au long du XXe siècle, tandis que le nombre des clercs et des religieux engagés au sein de ce qui est devenu une profession à part entière devient en proportion presque marginal. Cependant, malgré sa perte de visibilité, l’implication des clercs et des religieux (ses) dans l’aventure scientifique n’a rien perdu, en soi, de ses motivations les plus fondamentales ni de son dynamisme profond ; un nombre limité mais cependant non négligeable de clercs et de religieux(ses) continue à manifester une soif authentique de vérité scientifique accompagnée d’une humilité sans doute plus grande que du temps de Galilée. Notre recensement ci-dessous se limitera à mentionner quelques personnages déjà décédés.

1. Sciences physico-mathématiques

En mathématiques, le prêtre anglican britannique Alfred Young (1873–1940) contribue à développer la théorie des groupes. Le théologien orthodoxe russe, ingénieur et mathématicien Pavel Alexandrovich Florensky (1882–1937) compose, entre autres, une monographie sur les phénomènes diélectriques et une étude sur la relativité d’Einstein. Il est condamné à dix ans de camp de travail en 1933 pour avoir publié cet ouvrage sur la relativité, puis exécuté par le régime stalinien en 1937. Le prêtre catholique belge Georges Lemaître (1894–1966) développe à partir de la théorie de la gravité générale d’Einstein un modèle mathématique d’univers en expansion. Le terme technique de «  big–bang » doit son nom à l’astronome Fred Hoyle qui baptise ainsi par dérision l’une des particularités (confirmée depuis par de nombreuses observations concordantes) de la théorie de Lemaître.

Contribution des jésuites

James Cullen (1867–1933) publie en 1905 ses découvertes sur les nombres appelés aujourd’hui « nombres de Cullen ». En physique expérimentale, plusieurs jésuites effectuent des travaux de grande qualité tout au long du XXe siècle. L’Allemand Theodor Wulf (1868–1946) met au point un spectromètre lui permettant de mesurer ce qui s’avérera être le rayonnement cosmique. À partir de 1911, l’américain Frederick Odenbach (1857–1933) organise la mise en place de stations de détection sismique réparties sur le territoire des États-Unis.

le gravimètre Holweck-Lejay

Le programme jésuite est arrêté en 1922 faute d’enthousiasme suffisant de la part des participants. Il est ensuite relancé en 1925 grâce à l’impulsion de James Macelwane (1883–1956). En 1962, neuf des stations de détection sismique créées par les jésuites sont sélectionnées pour être intégrées au Réseau International Standard (World Wide Standard Network). Le missionnaire Pierre Lejay (1898–1958) participe à la mise au point d’un pendule (pendule d’Holweck-Lejay) permettant de réaliser des mesures gravimétriques de bonne précision. Simón Sarasola (1871–1947) et Jesus-Emilio Ramirez Gonzalez (1904–1981) fondent en 1941 l’Institut Géophysique des Andes en Colombie. Pierre-Noël Mayaud (1923–2006) se distingue lui aussi en géophysique. Leur confrère Timothy E. Toohig (1928– 2001) participe aux recherches mondiales en physique des particules au Fermilab, pendant qu’un groupe d’une douzaine d’autres jésuites travaille au service de l’Observatoire du Vatican dont le fonctionnement actuel doit beaucoup au cardinal Pietro Maffi (1858–1931) et au jésuite Johann Stein (1871–1951). Landell de Moura et Eugène Lafont participent à l’invention de la radio (cf. ci-dessous).

Le religieux piariste italien Guido Alfani (1876–1940) se spécialise lui aussi en sismologie. En 1928, son compatriote Bernardo Paoloni (1881–1944), l’un des pionniers de la radio-météorologie, fonde l’Institut Radio-atmosphérique Italien. L’eudiste colombien Carlos-Eduardo Acosta Arteaga (1919–2001) développe l’étude de la tectonique des plaques. Les travaux sur les astéroïdes du prêtre catholique allemand et astronome amateur Otto Kippes (1905–1994) sont récompensés par la Société d’Astronomie du Pacifique ; la ceinture d’astéroïdes 1780 Kippes est nommée en son honneur.
En chimie, le religieux de la Sainte Croix Julius Nieuwland (1878–1936) découvre aux États-Unis le caoutchouc synthétique en 1906.
Au niveau des inventions technologiques, la radio compte parmi les premières inventions du XXe siècle. Le jésuite brésilien Landell de Moura (1861–1928) et indépendamment de lui le prêtre Joseph Murgas (1864–1929) précèdent tous deux Marconi dans cette découverte. Un autre pionnier de l’invention de la radio, le laïc indien Jagadish Chandra Bose (1858–1937), a bénéficié de l’enseignement donné par le jésuite belge Eugène Lafont (1837–1908), fondateur de la première société scientifique indienne.
En 1902, Casimir Zeglen, prêtre catholique très affecté en 1893 par l’assassinat du maire de Chicago, invente un léger gilet pare-balles en fils de soie tressés dont il démontre l’efficacité. en se faisant tirer à bout portant sur lui–même !

Le père Casimir Zeglen essayant son gilet pare-balles

En 1904, l’autrichien August Musger (1868–1929) met au point un procédé cinématographique de défilement lent. La même année, Luigi Cerebotani (1847–1928) élargit les possibilités d’utilisation du télégraphe en inventant un procédé de télécopie au principe très différent de celui de Barsanti. L’évêque capucin italien Angelo Fiorini (1861–1929) invente en 1906 un système de sécurité visant à éviter les collisions ferroviaires ; cette invention est testée avec succès, puis adoptée par le gouvernement italien. Le français Auguste Tauleigne (1870–1926) invente en 1913 un radio-télégramme (récepteur de télégraphie sans fil) et parvient à transcrire sur une bande de papier les signaux de Morse émis depuis la tour Eiffel, à 150 km de distance. Les « relais Tauleigne » sont ensuite fabriqués à grande échelle. Pendant la guerre de 1914–1918, alors qu’il sert comme infirmier dans un hôpital militaire de Menton, Tauleigne invente d’abord un dispositif anti-diffusant permettant d’arrêter les rayons X parasites qui affectent la bonne qualité des clichés radiographiques. Ensuite il met au point le « radiostéréomètre » permettant de localiser le plus exactement possible les projectiles (balles ou éclats métalliques) logés dans les corps des blessés pour en faciliter l’extraction opératoire. L’abbé Paul Cayère (1892–1967), ingénieur des Arts et Métiers, dépose une quantité impressionnante de brevets. Le prêtre catholique Gregory Keller invente dans les années 50 un appareil permettant de produire le sucre candi en quantités industrielles.

2. Sciences de la vie

En sciences de la vie, le frère jésuite Justin Gillet (1866–1943) fonde en 1900 au Congo-Kinshasa le grand Jardin Botanique de Kisantu qui compte aujourd’hui près de deux mille cinq cents espèces. Hippolyte Coste 1858–1924) publie entre 1900 et 1906 La Flore de France, volumineux ouvrage inspiré de modèles anglo-saxons. Joseph-Sylvestre Sauget (frère Léon) (1871–1955) inventorie la botanique de Cuba. Miguel Domingo Fuertes (1871–1926) fait de même en République Dominicaine. En 1935, frère Marie-Victorin Kirouac (1892–1987) publie La Flore Laurentiene, ouvrage de botanique incluant la description de nombreuses espèces endémiques de la région du Québec illustrées par le religieux Alexandre Blouin (1892–1987). Frère Marie-Victorin est aussi le fondateur du Jardin botanique de Montréal, l’un des plus grands jardins botaniques de la planète. Enrique Perez Arbelaez (1896–1972) recense la végétation de la Colombie. L’abbé Ernest Lepage (1905–1981) et le père Arthème-Antoine Dutilly (1896–1973) explorent la richesse botanique des régions arctiques et boréales depuis l’Alaska jusqu’au Labrador. Le taxonomiste Lorenzo Uribe Eribe (1900–1980) étudie légumineuses, mélastomacées, etc., de Colombie. Basile Luyet (1897–1974), de la congrégation des missionnaires de Saint François de Sales, explore les possibilités de la cryobiologie. Gustaff Hulstaert (1900–1990), de la congrégation du Sacré-Cœur, effectue un travail de naturaliste au Congo. Antonio Olivarez Celiz et le spiritain Robert Pinchon (1913–1980) étudient l’ornithologie respectivement en Colombie et aux Antilles. Raulino Reitz (1919–1990) recense trois cent vingt-sept nouvelles espèces végétales au Brésil. Le jésuite taxonomiste indien Koyapillil Mathai Matthew (1930–2004), découvreur de quatre espèces végétales nouvelles, est aussi l’auteur d’une œuvre considérable et le fondateur du Rapinat Herbarium et de l’Institut Anglade d’Histoire Naturelle (dans la province du Tamil Nadu) qui contribuent à la connaissance et la préservation de la biodiversité de l’Inde du Sud.
L’allemand Hugo Obermaier (1877–1946) compte parmi les pionniers des études sur la préhistoire. Le jésuite Teilhard de Chardin (1881–1955), déjà cité plus haut, découvre en 1929, grâce à une équipe de chercheurs chinois et avec l’aide du prêtre français Henri Breuil (1877–1961), les premiers ossements de l’homo erectus pekinensis. Le jésuite Emile Licent, fondateur du Muséum d’Histoire Naturelle de Tientsin, a aussi indirectement beaucoup contribué à cette découverte. En 1940, Teilhard fonde avec le jésuite et biologiste Pierre Leroy (1900–1992) l’Institut Géobiologique de Pékin. L’abbé Amédée Lemozi (1882–1970) découvre des grottes et des peintures préhistoriques dans la région de Rocamadour.

Soeur Hilary Ross

En médecine, le franciscain Agostino Gemelli (1878–1959) effectue des recherches en psychologie et en neurophysiologie. Sœur Marie-Suzanne Novial (1889–1957), religieuse de la Société de Marie de Saint Maur envoyée initialement aux îles Fidji, et sœur Hilary Ross (1893–1982), religieuse américaine des Filles de la Charité, contribuent par leur travail de laboratoire aux progrès de la lutte contre maladie de Hansen (la lèpre). Le missionnaire polonais Waclaw Szuniewicz (1892–1963) travaille comme chirurgien ophtalmologue en Chine jusqu’en 1949. Il effectue ensuite des recherches sur le traitement de l’astigmatisme de la cornée à l’université de Yale aux États-Unis puis au Brésil. Le prêtre catholique australien Franck Flynn (1906–1996) travaille comme ophtalmologue au service de la communauté aborigène australienne et invente notamment un appareil servant à protéger les yeux de la déshydratation.
Gageons que la liste ainsi commencée n’a pas pour vocation de s’achever ici...

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François BARRIQUAND

Prêtre du diocèse de Créteil, scientifique et sinologue.

Publié: 01/03/2014