Ne nous appelez plus « mon père » !
Accablés, révoltés, sidérés, les catholiques sont traumatisés par les révélations qui entachent leur Église. Moi aussi. Mais que faire ? Certes, d’abord exprimer notre compassion et notre solidarité envers les victimes dont la souffrance est bien plus grande que la nôtre. Cette crise nous appelle à transformer l’Église que nous formons tous ensemble et cela ne se fera que par un retour à l’Évangile, mais cela doit aussi passer par des changements très concrets dans une manière de vivre en Église et même dans la société.
Le pape François a écrit à tout le peuple de Dieu, au mois d’août dernier, pour l’appeler à se mobiliser contre le cléricalisme, qu’il perçoit comme la source des abus dont peuvent se rendre coupable des prêtres, des supérieurs, des évêques. J’espère y apporter ma modeste part avec cet appel.
Au moins trois raisons de ne plus m’appeler "mon père"
Les chrétiens avec qui je travaille et ceux que j’accompagne m’appellent naturellement par mon prénom, mon nom de baptême. Il règne entre nous un esprit fraternel qui me fait vivre. Mais tous les catholiques que je croise le dimanche, dans les différentes églises de ma commune, ou à l’occasion d’un baptême, d’un mariage et d’obsèques, m’appellent « mon père », et c’est vrai aussi des gens de la ville, qui ne sont pas particulièrement chrétiens mais qui se croient obligés de m’appeler ainsi.
Cela me gêne depuis bientôt cinquante ans que je suis prêtre, mais aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons où certains prêtres se sont rendus coupables d’abus contre des enfants ou des religieuses, il me semble urgent de vous faire cette demande : s’il vous plaît, ne nous appelez plus « mon père » ! Pour au moins trois raisons.
– La première devrait être suffisante, puisqu’elle se trouve dans l’Évangile. Les prêtres se veulent disciples de Jésus qui a dit : « Ne vous faites pas appeler ´Maître ´car vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre ´Père ´car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste » (). Il y a des paroles de Jésus qui sont parfois difficiles à interpréter mais celle-là est particulièrement claire. Se faire appeler « mon père », c’est carrément usurper la place de Dieu, le Père de tous les humains. C’est littéralement se prendre pour Dieu !
Non pas des enfants, mais des frères
– La seconde raison, c’est que cet usage infantilise les catholiques. Comment avoir des relations fraternelles, entre adultes égaux, si on est tous frères et sœurs… sauf un qu’on appelle « mon père » ? Comment oser exprimer un désaccord s’il faut « tuer le père » ? Les catholiques ne sont pas des enfants qui doivent dire « amen » chaque fois que le Père a parlé. Franchement, si l’Église veut retrouver le visage d’une fraternité, il faut cesser cet usage et mettre en œuvre ce beau passage du concile Vatican II : « Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. »
J’entends bien que les prêtres vivent une certaine paternité spirituelle. Mais je constate que ceux qui évoquent une certaine filiation spirituelle avec moi ne m’appellent jamais « mon père »… Alors est-ce pour compenser une certaine frustration de n’avoir pas d’enfants qu’il faudrait se laisser appeler ainsi ? Ce qui m’aide à vivre mon célibat, c’est que la mission m’a donné beaucoup d’amis, qui ne sont pas des enfants mais des frères et des sœurs. N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que le prêtre nous appelle quand il prêche : « mes bien chers frères » ? ! Quant à mes frères évêques (pour qui j’essaye de prier beaucoup en ce moment), je leur laisse le soin de vous demander de ne plus les appeler « Monseigneur », ce que je trouve particulièrement choquant car nous n’avons qu’un seul Seigneur… qui n’est pas notre évêque.
– Enfin, cet usage de nous appeler « mon père » peut être franchement malsain quand il exprime une dépendance affective articulée avec une fausse conception de l’obéissance. Le père, c’est en effet un mélange d’affection et d’autorité qui peut être explosif, surtout s’il est sacralisé.
Un pouvoir monarchique, absolu, de droit divin et masculin
S’il vous plaît, cessez de nous appeler « mon père ». Si vous n’êtes pas assez familiers avec nous pour nous appeler par notre nom de baptême, appelez-nous « frère Joseph » ou « mon frère » comme vous dites « sœur Nicole » ou « ma sœur ». Ce sera votre contribution à la lutte contre le cléricalisme qui est à l’origine de tous ces abus dans l’Église.
C’est une petite chose ? C’est vrai… Mais en attendant de réformer l’Église, on peut peut-être changer des petites choses… Je ne suis pas sûr que notre Église puisse faire l’économie d’une réflexion, à la lumière de l’Évangile, sur sa gouvernance et son organisation. Les catholiques, à qui on ne cesse de dire, à juste titre, qu’ils sont l’Église, auront de plus en plus de mal à supporter un pouvoir clérical, celui des curés, des évêques et du pape, qui est demeuré un pouvoir monarchique, absolu, de droit divin et masculin. C’est un fonctionnement de plus en plus incompréhensible dans la société démocratique, pluraliste et paritaire qui est la nôtre. Mais en attendant, nous pouvons peut-être tous faire ce petit pas en avant vers une Église plus fraternelle.
Jean-Pierre Roche, prêtre du diocèse de Créteil, est l’auteur de "Prêtres-Laïcs, un couple à dépasser" et de "La spiritualité de la mission ouvrière, une chance pour les milieux populaires aujourd’hui ?" aux Éditions de l’Atelier.
Prêtre du diocèse de Créteil, Mission ouvrière.
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