25 ans après !

J’aime cette Église qui sauve tout le monde dans les pires tempêtes

Homélie de François Garnier à l’occasion de son jubilé épiscopal (14 novembre 2015).

Chers amis,

Nous venons d’écouter deux passages de la Parole de Dieu. Ces deux passages étaient ceux de mon ordination épiscopale il y a 25 ans. Tous deux parlent de tempête. Le premier se trouve dans l’évangile de Matthieu au chapitre 14. Il est très connu. Il s’agit d’une tempête sur le lac de Tibériade : elles peuvent être soudaines et très violentes. Matthieu évoque la barque des disciples battue par les vagues et des disciples affolés par un fantôme qui marche sur la mer et dans lequel ils ne reconnaissent pas Jésus. Un Jésus qui les appelle à la confiance et qui va leur montrer qu’eux aussi avec lui et grâce à lui sont capables de marcher sur la mer.

La deuxième lecture, c’est le chapitre 27 des Actes des Apôtres : il est peu connu. Il ne se trouve jamais dans les liturgies dominicales. Il s’agit d’une autre tempête, en Méditerranée, celle-là, à l’heure où Paul, prisonnier, est embarqué pour Rome où il exige d’être jugé. Il se trouve avec des compagnons de toutes origines, de toutes religions, en majorité des prisonniers, un centurion romain, païen avec ses soldats. Et voilà qu’au large de Malte, dit-on, la tempête devient folle, un vent d’ouragan, il faut ceinturer le navire, hisser la chaloupe, lâcher l’ancre flottante, jeter le superflu par dessus bord y compris le gréement. Quant à Paul, il appelle à la confiance. Il prie son Dieu et, alors que tous craignent le pire, Paul prend du pain, rend grâce à Dieu, rompt le pain, et s’en nourrit lui-même avant de le partager avec tous, dignes pas dignes, croyants et païens : on sait leur nombre : 276 personnes. Après ce repas dans lequel on reconnaît les mots mêmes de l’institution eucharistique, on jette par dessus bord le reste de la nourriture, on jette les ancres et le gouvernail et le bateau s’échoue, se disloque, et, merveille, tous sont sauvés, qui en nageant, qui en s’accrochant à une planchette…

J’aime cette Église, j’aime cette Église qui sauve tout le monde dans les pires tempêtes. Cette Église qui donne aux disciples que nous sommes tous, baptisés, confirmés, consacrés, ordonnés de pouvoir marcher sur la mer en dépassant nos peurs et de rester paisibles quelles que soient les épreuves que traverse notre monde. J’aime cette Église qui doit s’alléger de tout ce qui l’alourdit. J’aime cette Église qui nourrit tout le monde, tous les indignes que nous sommes tous. J’aime l’Église, ce gros bateau qui n’a même pas peur de se disloquer pourvu que toutes les vies soient sauvées y compris les plus méprisables.

Disciples dans les tempêtes, nous le sommes tous.

Il y a les tempêtes que connaissent nos familles, avec toutes les séparations qui sont toujours porteuses de souffrance et graves de conséquences pour les enfants ; tempêtes de toutes les familles qui affrontent de graves épreuves de santé, la stérilité, le handicap, le veuvage précoce, l’affectivité blessée ; tempêtes de toutes les familles qui connaissent des remariages et qui cherchent à retrouver une place dans leur environnement comme dans l’Eglise.

Il y a les tempêtes que connaît notre Europe devant la situation tragique des migrants économiques et des réfugiés politiques ; comment ne pas oublier qu’ils ne sont pas d’abord un problème mais d’abord des hommes, des femmes et des enfants ?

Il y a les tempêtes aussi que connaît notre pays, la France, celle énorme, soudaine et mortifère qui vient de s’abattre sur Paris, tempêtes qui rejettent au second plan l’agitation politicienne trop souvent peu digne à l’approche des élections régionales.

Il y a les tempêtes que connaît notre terre, notre sœur et mère la terre dont le pape François, dans sa récente encyclique, nous dit qu’elle crie « en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle ». Nous n’en sommes pas les propriétaires autorisés à l’exploiter n’importe comment. Nous n’avons qu’une mission : l’organiser de telle manière que chacun puisse y vivre décemment.

Il y a enfin les tempêtes que nous connaissons en nous-mêmes, à l’intérieur de nous-mêmes, au moment de nos doutes ou de la difficile acceptation de nos propres faiblesses.

Dans ce monde de tempêtes aux formes multiples, il est urgent de redécouvrir le Dieu de toute miséricorde, le créateur qui s’est fait sauveur en son Fils bien-aimé Jésus le Christ. Il n’a ajouté aucune violence. Au contraire, il est venu pour la vaincre par une puissance d’amour infini à laquelle nos égoïsmes, nos inconsciences et nos peurs ont du mal à croire. La violence, il l’a subie jusqu’au sang ; la haine, il en a souffert au plus profond de son cœur ; la mort injuste, il l’a vaincue par la résurrection bienheureuse, source de toute espérance. Oui, nous voulons redire qu’il est là le chemin du bonheur, dans la suite du Christ et dans le service des frères, dans l’engagement humble, tenace au service de ceux qui souffrent le plus violence.

L’Église que j’espère avec le pape François est celle dont il parle à la fin du synode romain sur la Famille : « Le premier devoir de l’Église n’est pas celui de distribuer des condamnations ou des anathèmes mais il est celui de proclamer la miséricorde de Dieu. » Et à Florence, il y a à peine une semaine, il réaffirme le désir d’une Église « proche de tous, d’une Église qui bouge, qui soit toujours plus proche des abandonnés, des oubliés, des imparfaits ». Le pape François réaffirme sans détour son désir d’une Église qui, « telle une mère, accompagne chacun avec douceur et compréhension ».

Et quand nous aurons fait tout ce que nous pouvons à la mesure de nos dons, que nous puissions dire : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir. »

Je n’ai qu’une demande toute simple à vous faire à la fin de cette homélie : priez pour moi. Je connais mes faiblesses ; je connais aussi la puissance de la fidélité qui vient de notre Seigneur le Christ. L’âge du capitaine, cela je le sais, n’a aucune importance : l’important c’est qu’il serve avec fidélité un souffle qui ne vient pas de lui, un souffle imperceptible et tout puissant dont nous savons tous d’où il vient et où il va : c’est celui de l’Esprit Saint qui nous donne d’affronter sereinement toutes les tempêtes quelles qu’elles soient.

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François GARNIER

Archevêque de Cambrai († 2018).

Publié: 01/12/2015