Assomption (15/8) : Pistes pour l’homélie
Piste 1
Depuis 2000 ans qu’on la connaît, Marie n’a pas pris une ride ! Quand on la représente, on aime la dépeindre comme une jeune femme. Le plus étonnant est que Marie a les cheveux blonds en Allemagne, châtains en France et noirs en Italie. Elle a les yeux bridés en Asie et la peau noire en Afrique. Pourquoi ? C’est que Marie est à la fois la mère de Dieu dont elle reflète la sérénité mais aussi la sœur des croyants dont elle reflète la diversité.
Marie est inséparable de ses représentations et de ses images.
Nous croyons qu’elle est apparue à Lourdes, à Beauraing, Fatima… L’histoire nous apprend qu’il existe des milliers de récits d’apparitions mariales depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Déjà en 379, Marie apparaissait à Constantinople sous forme d’une icône et guérissait les malades.
On pourrait parfois croire que Marie fait de la politique. Ainsi quand on voit que le roi Philippe IV a consacré l’Espagne à Marie pour protéger son pays de ses ennemis français alors que le roi Louis XIII consacre de son côté la France à la Vierge pour la protéger des Espagnols ! Marie contre Marie !
Et si Marie est souvent la patronne des villes, c’est d’abord pour protéger les communautés locales contre les maladies et les cataclysmes.
Marie est aussi une femme qui parle, elle a chaque fois un message à transmettre, certains semblent terrifiants comme à Fatima au point qu’il ne fut jamais dévoilé. Marie, elle qui dans les Evangiles est d’une discrétion totale, tient chaque jour à Medjugorje un bavardage incessant depuis de nombreuses années !
Marie a aussi une capacité extraordinaire de se démultiplier. On ne peut recenser les milliers de représentations que les artistes en ont faites. C’est que Marie sous ces différents visages fait prier les fidèles des nations du monde entier qui se reconnaissent en elle. On découvre ainsi une tension entre la Marie de la liturgie officielle et la Marie de la pratique populaire.
Il est vrai que certaines exagérations concernant Marie, ces représentations à l’eau de rose, ces messages douteux… en un mot cette idolâtrie de Marie (mariolâtrie) sont parfois un obstacle à nos esprits critiques et rationnels.
Mais je pense qu’il nous faut passer au-dessus de toutes ces contingences humaines et retrouver dans Marie la femme forte de l’Evangile, la femme qui met sa vie sous le signe de la confiance.
Une surprise aussi : Savez-vous que Marie est plus citée dans le Coran (34 fois) que dans l’Evangile (19 fois) ?
Elle y est présentée comme « choisie parmi toutes les femmes du monde » et bénéficie de privilèges exceptionnels. En voyant cela on peut imaginer que Marie est peut-être l’ouverture à un dialogue interreligieux entre l’islam et le christianisme.
Autre petite surprise, Marie, dans l’évangile de Jean, n’est jamais appelée par son nom mais simplement présentée comme la « mère de Dieu ». Par la parole de Jésus sur la croix : « Voici ta mère » ce disciple atteste qu’il est l’image même du croyant qui devient frère du Christ.
Nous savons combien les femmes depuis des siècles et dans toutes les cultures ont dû et doivent encore se battre pour leur reconnaissance et se faire une place dans une société machiste. On ne peut imaginer ce qu’il en aurait été sans Marie. Nous savons combien elle a exercé une influence pour valoriser la femme dans le monde.
La femme dont Dieu a voulu avoir besoin pour faire comprendre à l’humanité qu’elle était destinée à naître à sa divinité.
Piste 2
Quelle représentation nous faisons-nous de Marie ? Quelle est l’image qui nous vient à l’esprit lorsque nous entendons son nom ? Nous l’imaginons, ainsi que nous le suggèrent les images pieuses, comme une jeune maman tenant contre elle son enfant. Nous la voyons attentive, délicate, douce, pleine de tendresse…Tout cela est sans doute vrai mais n’est-ce pas un peu restrictif ?
Si nous relisons l’évangile, nous voyons que Marie était également une femme forte, résistante physiquement mais aussi moralement. Pensez un peu à son voyage à Béthanie chez sa cousine Elisabeth alors qu’elle était enceinte, à son voyage à Bethléem au 9e mois de sa grossesse et son accouchement dans une étable. Elle ne perd pas la tête non plus dans les moments difficiles, elle retourne à Jérusalem pour retrouver Jésus perdu depuis trois jours. Elle aimait aussi la fête, les réjouissances et réclame du vin pour les noces de Cana.
Elle sait encaisser des réflexions terribles de Jésus : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Ce sont ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux ! »
Marie est faite enfin pour les coups durs : elle ira jusqu’au pied de la croix.
Non, Marie n’est pas une femme chétive, doucereuse, mièvre mais vraiment une femme du peuple que les circonstances de la vie n’ont pas épargnée.
Nous pouvons voir aussi quelle femme était Marie en entendant sa prière du Magnificat, cette prière pour le moins engagée et même subversive : « Déployant la force de son bras il disperse les superbes, il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides… »
Marie ne croyait pas en un Dieu lointain, écrasant… mais en un Dieu actif, agissant aujourd’hui dans le monde, un Dieu prenant le parti des petits.
– Cette Marie de l’évangile me fait donc penser à toutes ces femmes et ces hommes d’aujourd’hui qui comme elle, dans les mêmes circonstances difficiles et douloureuses, essayent de mettre leurs pas dans les pas de Jésus.
– Oui, Marie porte déjà en elle et dans sa prière, toutes ces mamans qui travaillent à préparer un repas, font la lessive et soignent leur famille…
– Marie porte en elle tous ces parents qui s’inquiètent pour leurs enfants, leur santé, leur avenir, leur éducation…
– Tous ces hommes et ces femmes qui s’engagent au service de leur communauté paroissiale : dans une chorale, comme catéchiste, comme visiteur de malade…
– Marie est du côté de ceux qui donnent leur vie pour la paix, pour libérer leurs frères écrasés, opprimés, pour améliorer la qualité de la vie, ceux qui luttent pour l’emploi ou le respect du travailleur…
– Marie porte en elle aussi toutes celles et ceux qui ont engagé leur vie dans une communauté religieuse pour accueillir et prier…
– Marie porte enfin dans la prière tous ceux qui ne partagent pas notre foi, notre culture, qui sont étrangers et d’une autre couleur.
Oui, c’est en pensant certainement à tous ces gens du monde, d’hier, d’aujourd’hui et de demain que Marie proclamait son Magnificat.
Et nous, il nous arrive aussi parfois devant certains événements inquiétants de notre monde et de notre vie d’avoir des hésitations : « Mais comment cela ce fera-t-il ? » Si nous sommes réceptifs nous entendrons l’envoyé du Seigneur nous répondre « rien n’est impossible à Dieu ».
Et c’est ainsi que des femmes et des hommes d’aujourd’hui qui mettent leur confiance en Dieu peuvent encore chanter avec Marie : « Le Puissant fait pour moi des merveilles saint est son nom. »
Piste 3
L’autre jour, j’ai rencontré une personne rescapée d’un grave accident et qui avait perdu un œil. Elle me disait : « Je rends grâce à Dieu d’avoir pu garder l’autre œil » !
Ce qui est surprenant c’est que cette personne terriblement éprouvée parvienne encore à rendre grâce à Dieu !
Tout naturellement elle m’a fait penser à Marie qui elle non plus n’a pas été gâtée par la vie, ni épargnée par les peines et les souffrances. Mais étonnement, elle aussi, en arrive malgré tout à dire : « Mon âme exalte le Seigneur… le Puissant fit pour moi des merveilles. »
Exprimer sa reconnaissance, oui, d’accord quand ça va bien, que tout nous sourit mais lorsque rien ne va plus comment cela est-il encore possible ?
N’est-ce pas lorsque nous sommes privés que l’on apprécie le mieux ce que l’on a ?
C’est lorsqu’on va camper que l’on prend conscience et apprécie le mieux au retour toutes les facilités et le confort de sa maison.
C’est lorsqu’on est malade que l’on se rend le mieux compte de la richesse d’une bonne santé.
Le problème, c’est qu’habituellement nous trouvons normal d’être ce que nous sommes, de posséder ce que nous avons, de disposer de privilèges et de nombreux avantages. C’est « naturel » disons-nous. On oublie que ce n’est pas si naturel, que tout cela nous est offert et qu’il est bon de savoir dire « merci ».
La particularité du « Magnificat », la prière de reconnaissance de Marie, c’est qu’elle nous montre qu’en toutes circonstances, même plongés dans la plus profonde détresse, il est possible de rendre grâce, de remercier celui qui nous aime et nous a tout donné. C’est d’ailleurs cette reconnaissance qui peut essentiellement nous rendre heureux.
Celui qui n’est préoccupé que de son seul intérêt, centré sur lui-même, celui qui ignore que tout lui est offert, que tout est cadeau, celui qui est incapable de gratitude… toujours il sera insatisfait et jamais ne parviendra à dire de lui « bienheureux ».
Celui par contre qui sait exprimer sa gratitude, prendre conscience que tout lui est offert, ne sera jamais malheureux, car en toutes circonstances, si dramatiques soient-elles, il découvrira des signes de l’amour de Dieu.
Notre plus belle prière, celle qui sera la plus agréable au cœur de Dieu, ne serait-elle pas comme pour Marie, de reconnaître les bienfaits, parfois des grands, plus souvent des petits, reçus dans la journée et pour lesquels il est bon de rendre grâce.
Et vous verrez que même dans les jours les plus sombres, vous serez capables de trouver encore des motifs de rendre grâce et de dire : « Mon âme exalte le Seigneur » « Le Puissant a fait pour moi des merveilles ».
Piste 4
Saint Luc a beau dire en commençant son évangile, qu’avant de l’écrire il s’est très bien documenté, on n’en reste pas moins étonné de voir comment il a pu nous relater la rencontre de Marie et d’Elisabeth avec une précision allant jusque dans les détails des paroles échangées. C’est d’autant plus surprenant qu’il n’y avait pas de témoin.
Nous pouvons supposer que Saint Luc a connu Marie et échangé avec elle de longues conversations au cours desquelles Marie a eu le loisir de lui raconter bien des événements, des anecdotes sur l’enfance et la vie de Jésus, que les apôtres eux-mêmes ne connaissaient pas.
Nous pouvons aussi supposer que Marie était du genre très discrète, parlant spontanément très peu d’elle-même, et ce que nous savons d’elle, c’est parce que saint Luc en très bon reporter a posé les bonnes questions. Il s’est documenté sur ses impressions : elle, la maman « que pensait-elle de Jésus ? » « Quelle image se faisait-elle du Dieu de Jésus ? » … Et la réponse fut le magnificat ! Le Magnificat est la parole de Marie la plus élaborée, la plus développée de tout l’évangile.
Il est sans aucun doute le résumé de toutes les méditations, toutes les découvertes, de la prière et de la pensée de Marie. C’est d’ailleurs tout ce qui fait son intérêt, nous pouvons même dire « tout son charme ». Le Magnificat est un sommet, un point culminant de l’Evangile.
Si nous venions à oublier ou à perdre le contenu de l’Evangile, nous pouvons dire qu’avec le Magnificat nous garderions l’essentiel du message de Jésus.
Le grand intérêt du Magnificat c’est qu’il nous révèle le visage de Dieu tel que Marie la mère de Jésus, se le représentait elle-même : il est un Dieu qu’on loue et en qui on espère !
Nous voyons en effet que la prière de Marie est à la fois un chant de louange et un chant d’espérance.
Il est d’abord un chant de louange c.-à-d. une action de grâce pour toutes les merveilles reçues. Nous savons pourtant que la vie de Marie n’a pas été épargnée par les peines et les souffrances. Mais malgré tout elle crie sa joie et son espérance, elle se déclare « bienheureuse ».
Marie proclame ici la 1re béatitude : « Désormais tous les âges me diront bienheureuse. »
Un peu plus loin dans l’évangile saint Luc reprendra d’ailleurs la même béatitude : « Bienheureux les pauvres, les affamés. ». En écrivant ces lignes il n’a certainement pas pu s’empêcher de penser à ces paroles de Marie : « Bienheureuse car le Seigneur fit pour moi des merveilles : il élève les humbles, il comble de bien les affamés. »
Le Magnificat est aussi le cri d’espérance de Marie, qui au-delà de toutes les situations si désastreuses soient-elles, sait que le Seigneur prendra toujours le parti du plus faible ou de celui qui souffre.
Mes chers amis, nous connaissons tous et répétons souvent la prière du Seigneur, le « Notre Père ; puissions-nous aussi connaître par cœur et redire avec la la même foi, le même enthousiasme, la même régularité la prière de Marie : « Oui, le Seigneur fit pour moi des merveilles, Saint est son nom ».
Piste 5
Quel visage étonnant que celui de Marie ! Si nous la regardons à travers l’Evangile, nous la trouvons humble, discrète, depuis la crèche jusqu’au calvaire. Mais cette humilité, cette discrétion, nous les chrétiens les avons bien mises à l’épreuve. En effet qu’avons-nous fait de Marie ? Une dame mystérieuse qui apparaît par-ci par-là, qui donne des secrets que personne ne peut connaître, qui fait pleurer l’une ou l’autre statue la représentant… Nous l’avons vue dans tous les accoutrements possibles, avec les titres les plus farfelus… Oui, vraiment la pauvre Marie, on nous l’a présentée à toutes les sauces. Mais si nous essayions de décaper toutes ces images pour en retrouver l’original. Qui est vraiment Marie ? Que savons-nous exactement d’elle ? Quelles sont ses paroles, son message ?
Nous connaissons déjà ses soucis de maman : « Ton Père et moi nous te cherchions » disait-elle à Jésus resté au temple. Ou encore son souci pour les personnes en difficulté : « Ils n’ont plus de vin » disait-elle à Cana et sa confiance : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Mais son plus beau message n’est-il pas celui de sa rencontre avec sa cousine Elisabeth, le Magnificat que nous venons d’entendre ?
« Le Seigneur fit pour moi des merveilles ! » Marie exulte de joie en prenant conscience des dons de Dieu. Sa vie est une action de grâce permanente, elle vit sa vie en la recevant de Dieu. Si d’une part, Marie est une femme humble, discrète, elle n’est pas naïve. Loin d’être une madone à l’eau de rose, elle est une femme de caractère. Jésus savait de qui tenir. En effet nous avons un peu trop perdu de vue que si Marie était une jeune fille pieuse et recueillie, elle était aussi révolutionnaire et subversive. Elle osait prendre position dans le climat incertain de son époque. En effet à ce moment l’empire romain brillait de tous ses feux, se pavoisant dans la richesse de ses palais en contraste avec la pauvreté du peuple et la misère des esclaves.
C’est dans ce contexte politique incertain que cette petite Juive proclame haut et fort : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides, il relève Israël. » Le Magnificat, remarquez bien, n’est pas une berceuse ni une romance sentimentale. C’est vraiment un chant révolutionnaire, un chant engagé dit-on maintenant. Un chant qui est plus que jamais d’actualité et qu’il faut prendre au sérieux.
Les paroles du Magnificat, comme toutes les autres paroles de l’Evangile, veulent être des paroles pour tous les temps, c’est-à-dire des paroles que chacun peut redire personnellement et reprendre à son compte.
Pour nous, prier le Magnificat, c’est aussi rendre grâce, louer Dieu pour tous ses bienfaits. Notre cœur ne sauterait-il pas aussi de joie si nous prenions chaque jour un peu plus conscience des dons de Dieu ? « Oui, le Seigneur fait pour nous des merveilles » par lesquelles nous découvrons sa sainteté.
Prier le Magnificat c’est aussi donner corps à ce Dieu qui prend au sérieux les humbles, les affamés et donc nous pousse à notre tour à nous engager, à prendre des risques dans un combat pour une société où les petits auront leur place. Combat qui n’est certes pas facile mais, nous dit le Magnificat, Dieu se souvient toujours de son amour et de la promesse qu’il a faite en faveur d’Abraham mais aussi de tous ceux de sa race à jamais.
Et nous, il nous arrive aussi parfois devant certains événements inquiétants de notre monde et de notre vie d’avoir des hésitations : « Mais comment cela se fera-t-il ? » Si nous sommes réceptifs nous entendrons l’envoyé du Seigneur nous répondre : « Rien n’est impossible à Dieu. »
Et c’est ainsi que des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui mettent leur confiance en Dieu peuvent encore chanter avec Marie : « Le Puissant fait pour moi des merveilles Saint est son nom. »

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.