Épiphanie du Seigneur (7/1) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Le plus difficile est souvent de se lever, se préparer, se mettre en route. Cela va encore quand on sait où l’on va, mais lorsque, comme les mages de l’Evangile, on ne sait pas où l’aventure va nous mener, c’est tout autre chose.

S’ils ont eu le courage de partir, c’est parce qu’ils étaient des hommes ouverts, curieux, en recherche. A la recherche de quoi ? Ils voulaient sans doute sortir de la banalité de l’existence, s’élever dans un monde de rêve : bref, ils étaient en recherche d’un sens à leur vie, d’un absolu pour lequel il vaut la peine de consacrer, de donner sa vie.
Cet absolu, nous aussi nous le cherchons souvent en regardant le ciel, en essayant de nous élever, de nous évader de cette terre.
C’est ce que faisaient les mages, ils scrutaient le ciel, les étoiles inaccessibles, car là certainement ils trouveraient la demeure de Dieu.
Ils vont ainsi marcher longtemps, le nez en l’air, les yeux tournés vers le ciel. Ils ne sont déjà plus de ce monde.
Mais arrivés au bout du voyage l’étoile s’arrête, les obligeant à baisser leur regard, à revenir sur terre, à regarder vers le bas où ils découvrent un nouveau-né dans la paille.

L’histoire des mages est un peu notre histoire, l’histoire de tous les hommes et les femmes de toutes les religions, de tous les hommes et les femmes en quête de Dieu. La tentation est grande de décoller de la terre, d’échapper, de s’élever au dessus de toutes les bassesses humaines.
Mais Dieu n’est pas là-haut. Si nous voulons le trouver il faut regarder vers le bas, vers celui qui est sur la paille. Dieu est là !
Les mages ont cherché Dieu à Jérusalem, puis dans le temple et dans le ciel, ils ne l’ont pas trouvé. C’est grâce aux Ecritures qu’ils vont poursuivre leur route vers Bethléem, petit village insignifiant de Judée.

Il est navrant qu’après avoir entendu plus de 2 000 fois ce message, nombre de chrétiens continuent aujourd’hui encore à chercher Dieu dans le ciel. Or tous les signes de Dieu nous ramènent vers la terre, nous invitent à nous agenouiller devant celui qui est sur la paille.

En ce début d’année, c’est un nouveau chapitre de notre vie qui s’ouvre. Qu’allons-nous écrire sur cette page blanche qui se présente à nous ?
Comme pour les mages qui se mettent en route, je vous souhaite de découvrir et reconnaître Dieu sur la paille, la paille de toutes les fragilités, les pauvretés, qu’elles soient matérielles, relationnelles, culturelles ou spirituelles… car c’est là prioritairement que Dieu se trouve.
C’est ainsi (qu’une fois encore) je vous souhaite une Bonne Année.

Piste 2

Ils venaient on ne sait d’où, mais une chose est certaine c’étaient des étrangers.
Ils avaient quitté leur pays pour une raison mystérieuse, personne ne sait pourquoi.
Ils étaient sans doute à la recherche d’une meilleure étoile, d’une meilleure sécurité ou tout simplement d’un sens à leur vie.
Ils n’étaient pourtant pas n’importe qui, comme on dit, c’étaient des diplômés dans leur pays. Mais toute leur science ne suffisait pas à leur donner une raison de vivre, leur grand savoir ou leurs richesses ne suffisaient pas à leur procurer le bonheur.
Ils prirent le risque de quitter leur bureau et leurs livres et se mirent en route pour trouver la réponse, ou plus exactement pour trouver celui que tout le monde appelle « Dieu ». Mais où trouver ce Dieu qui viendra donner sens à leur vie ? Tout naturellement ils se dirigèrent vers la ville sainte, la soi-disant capitale de Dieu avec ses temples et ses édifices prestigieux.
Mais là ,comme dans toutes les autres villes qu’ils avaient traversées, ils trouvèrent un homme puissant et redoutable, ici il s’appelait Hérode.
Ils trouvèrent aussi des prêtres et des pharisiens, des spécialistes en religion qui connaissaient tous les commandements et leur catéchisme par cœur. Ils avaient la réponse à tout. C’étaient des gens très sûrs d’eux-mêmes, ils n’avaient même plus besoin de chercher puisqu’ils ne se posaient plus de questions. Très forts en théorie, ils l’étaient beaucoup moins en pratique.
Les mages, en hommes intelligents, comprirent vite et quittèrent la ville en se disant qu’ils n’y reviendraient jamais puisqu’ils n’y avaient pas trouvé Dieu.
Ils repartirent donc comme guidés par une étoile, une lumière intérieure qui les conduisit jusque dans une espèce de grotte où un enfant nu était couché sur la paille, bien loin des palais scintillants. Ils se prosternèrent, lui offrirent ce qu’ils avaient de meilleur.

Les années passèrent et l’histoire ne cessa de se répéter, chaque siècle connut ses Hérode puissants et cruels qui usurpaient tous les biens au mépris de leur peuple. Mais heureusement, tout au long des siècles il y eu aussi des mages, poussés par un feu intérieur, que certains appelleront « le feu de l’Esprit », qui se mettront en route, humblement, patiemment pour aller au devant de ces visages souffrants, oubliés, douloureux et qui y reconnaîtront le visage de Dieu.

Mes chers amis, aujourd’hui rien n’a changé, même dans un pays de cocagne comme le nôtre, nous voyons une minorité de plus en plus riche, détenant tous les pouvoirs et une majorité vivant dans une situation de plus en plus précaire, désastreuse. Oui, il ne faut pas aller très loin sur la route pour rencontrer des hommes qui se débattent dans leur misère, leur souffrance et leur solitude, et qui ne voient pas comment ils pourront un jour en sortir.

En ce début d’année, je vous souhaite de rencontrer Dieu là où il se trouve vraiment, le rencontrer mais aussi le servir en lui donnant ce que vous avez de meilleur. Je vous souhaite également d’aider celles et ceux qui le cherchent encore dans les villes saintes et les grandes cathédrales, les aider à se remettre en route pour le trouver vraiment dans la fragilité de leur vie.

Piste 3

A l’occasion du ramadan, la TV interviewait un musulman : « Que pensez-vous du ramadan ? »
Il répondit : « Il est d’abord un temps de repentir, il est bon au moins une fois l’an de reconnaître ses faux pas, mais ajoutait-il encore, le ramadan est aussi un moment particulier pour penser aux pauvres et partager avec eux. »
Lorsqu’on entend cette réflexion, ces musulmans qui nous font peur, ne nous rejoignent-ils pas dans notre foi chrétienne ?
Serait-il possible, est-ce invraisemblable d’espérer qu’un jour tous les peuples, quelle que soit leur religion, se tournent vers un seul et même Dieu ?
Aujourd’hui en cette fête de l’Epiphanie, Dieu se manifeste justement comme étant le Dieu de tous les peuples. Le problème c’est que nous les chrétiens, mais je pense qu’il en va de même pour toutes les autres religions, nous remplaçons le mot « Dieu » par le mot « religion », ce qui fait qu’au lieu de dire « Dieu est le Dieu de tous les peuples », nous disons plus facilement que « nous devons étendre notre religion à tous les peuples ».

Ecoutons ce que dit le prophète Isaïe : « Toutes les nations marcheront vers la lumière et les rois vers la clarté de ton aurore. » Quelle est donc cette lumière, cette clarté qui doit attirer vers elle toutes les nations ? Cette lumière nous la retrouvons dans l’Evangile : l’étoile des mages ! Et cette étoile où va-t-elle les conduire ? Au dessus d’une étable. Et dans cette étable qu’y a-t-il ? Il y a un nouveau-né, un être fragile, un pauvre ! Là est Dieu.
Autrement dit le seul Dieu qui peut rassembler tous les peuples qu’ils viennent d’orient ou d’occident, c’est le Dieu qui a pris visage de pauvre, qui a mis le pauvre au cœur de sa vie.

Si toutes les religions décidaient de quitter leurs temples faits de pierre, si tous les croyants décidaient d’établir leur temple dans les étables du monde et de se tourner vers les plus pauvres d’entre tous, toutes les guerres, en commençant par les guerres de religion, cesseraient aussitôt.
Si tous les responsables religieux décidaient de ne plus d’abord essayer de sauver leur loi, leur religion mais de sauver d’abord les femmes et les hommes les plus pauvres, tous les exclus deviendraient des élus.
Si tous nous renoncions à chercher Dieu dans la puissance, nous le découvririons dans la faiblesse des petits.
Si toutes les religions acceptaient de faire la guerre à l’injustice, le règne de Dieu serait universel.
Mais tant que le Dieu de l’étable sera méconnu, ignoré voire méprisé, les peuples continueront au nom de leur religion à se déchirer.

Dieu se trouve donc dans la faiblesse et cette faiblesse siège au fond de chacun d’entre nous. Voir les faiblesses, les manques, les défaillances des autres n’est-ce pas ce qu’il y a de plus facile ? Et bien c’est là que nous pouvons d’abord rencontrer Dieu, non pas que Dieu soit dans l’erreur, la faute ou la défaillance, mais il est là où l’on peut aider, faire grandir, faire avancer.
En ces premiers jours de l’année je vous souhaite de découvrir ce Dieu qui vient remplir nos vides, combler nos pauvretés et raffermir notre fragilité, en un mot, le Dieu qui nous fait advenir à une véritable humanité.

Piste 4

Si nous faisons l’effort de relire tout l’Evangile de l’enfance de Jésus, nous nous apercevrons très vite que sous une apparence naïve, ces récits sont non seulement très symboliques mais aussi savamment élaborés.
Je l’ai déjà dit, mais il est bon de se le rappeler, les Evangiles ont été écrits à l’envers, en commençant par la résurrection, puis la passion, puis la vie publique et enfin les récits de l’enfance de Jésus.
Ces écrits ont été rédigés par les 1res communautés chrétiennes établies pour la plupart en terre païenne. Ils se devaient donc de manifester dès la naissance de Jésus qu’il n’était pas seulement sauveur d’Israël, ni des plus méprisés de la société représentés par les bergers mais qu’il était aussi le Dieu des païens, le Dieu des étrangers qui sont représentés ici par les mages.
Il est vrai que les légendes, s’inspirant des évangiles apocryphes, ont beaucoup brodé sur ce récit de l’Epiphanie. L’Evangile est pourtant très sobre et ne donne aucun détail : « Voici que les mages venus d’orient, arrivèrent à Jérusalem. » Remarquez donc que Matthieu ne précise pas qu’ils étaient 3, ni encore qu’ils étaient rois, qu’ils ne s’appelaient ni Melchior, ni Gaspard ni Balthazar, ni encore qu’ils étaient noir, jaune et blanc !
L’Evangile ne dit pas non plus qu’ils étaient astrologues. Les mages étant plutôt interprètes des songes et des signes. Les mages pour Matthieu sont donc ceux qui ont su reconnaître les signes de Dieu, ici, le signe de l’étoile.
Il est aussi utile de se rappeler, comme lorsque nous avons lu l’Evangile de la conception virginale de Jésus, que la règle élémentaire pour lire les Ecritures est très simple : il ne faut jamais se poser des questions telles que « Comment cela a-t-il bien pu se réaliser ? » « Comment donner une explication scientifique ? » mais bien : « Qu’est-ce que ce récit veut nous dire aujourd’hui ? » Quel est le message que l’auteur veut nous transmettre ? Qu’est-ce que cela nous révèle de Dieu et de l’Homme ?...
Ainsi donc dans l’Evangile de ce jour, ne cherchons pas identifier l’étoile à une pleine lune ou à la comète de Halley ou autre… non, cette étoile n’est pas de la voûte céleste, elle est comme le récit : symbolique. Elle signifie que même les peuples païens ont reconnu en Jésus la lumière qui guide les hommes.
Cette étoile qui descend sur la crèche montre que le Dieu de Jésus n’est plus à chercher dans le ciel mais pour le découvrir nous devons baisser notre regard vers la terre.
Ensuite les mages offrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Etranges cadeaux pour un bébé ! L’or passe encore mais l’encens et la myrrhe ? Ces 3 cadeaux ont aussi leur signification : l’or symbolise la royauté, l’encens la divinité et la myrrhe était le parfum avec lequel on ensevelissait les morts. Ils sont les signes de ce que Jésus est reconnu comme Roi, fils de David ; qu’il est Dieu et qu’il va se donner jusqu’à la mort.
Ce récit contient encore bien d’autres signes tels que cette question des mages : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » Cette question nous renvoie déjà à la croix sur laquelle il sera inscrit : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
Je voudrais terminer par cette opposition entre les chefs religieux d’Israël, qui sont les interprètes officiels des Ecritures mais qui ne bougent pas, ils restent auprès du temple, et les mages païens qui eux ont découvert le signe de l’étoile qui montre le chemin de Dieu mais qui, en plus de ce signe, se voient ouvrir les Ecritures qu’ils accueillent dans la foi - ils vont se mettre en route et arriver dans la maison où se trouve Jésus. Cette maison symbolise la jeune Eglise dans laquelle finalement ce sont les païens, les païens au cœur ouvert à tous les signes, qui arrivent les premiers à la rencontre de Jésus le Fils de Dieu.

Au seuil de cette année, je vous souhaite aussi de découvrir les signes de la présence et de l’amour de Dieu. Ne levons plus nos yeux vers le haut, vers les étoiles du ciel car Dieu n’y est pas, il est sur notre route. Avançons et regardons vers le bas ; alors nous pourrons le voir, nous agenouiller, nous abaisser car il est toujours sur la paille aujourd’hui.

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 07/12/2023