7e dim. de Pâques (1/6) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Vous avez certainement déjà constaté, en ce moment d’élections, que tous les partis mobilisent leurs partisans. On organise des congrès, on refait un peu le ménage et tous les membres applaudissent d’un seul cœur le discours du chef. Pendant quelques semaines ils vont oublier leurs divergences pour donner au peuple l’image d’un parti solide et unifié. A l’exception de quelques innocents naïfs, tout le monde se rend compte que c’est une unité de façade nécessaire pour préserver l’image de marque et attirer des voix.

Ce genre d’unité, nous la retrouvons parfois chez nous à la maison. On est en pleine dispute, si quelqu’un arrive à ce moment, nos visages crispés retrouvent un joli sourire et on fait comme si de rien n’était, on donne l’image d’une bonne entente qui est tout à fait factice.
Il y a ainsi beaucoup de formes d’unité :
 L’unité à la sauce militaire, tout le monde marche d’un même pas, on n’a d’ailleurs pas le choix sous peine de sanction.
 L’unité pour préserver son image de marque ou pour se donner bonne conscience.
 Il y a l’unité de la langue de bois et de faux semblant qui met aux oubliettes les différences et refuse le dialogue.
 Il y a l’unité de la discipline et de la peur utilisée par les dictateurs et même par certains petits chefs de bureau ou de chantier, il faut se soumettre ou se retirer.
 Il y a encore l’unité qui se prend elle-même pour objectif et trouve en elle-même sa légitimité qui ne respecte ni la dignité ni le droit des personnes.
Or nous venons d’entendre ici dans son dernier discours à ses apôtres, que Jésus parle aussi d’unité : Il prie son Père pour que tous soient « un ». On n’imagine pas Jésus prier pour une unité qui mutilerait la personnalité en la privant de s’exprimer librement, une unité qui empêcherait de rechercher ensemble la vérité.
Ce genre d’unité n’est généralement qu’une façade : on se serre la main, on s’assied l’un près de l’autre, en face de l’autre, on se sourit un peu comme lorsque le 1er ministre israélien serre la main du président palestinien. Des gestes qui sont des leurres et tout le monde sait qu’ils ne correspondent à rien des sentiments intérieurs. C’est une unité de convention, de convenance.
L’unité dont parle Jésus est toute différente. « Faire un » comme Jésus le propose, cela nous touche intérieurement. Nos gestes extérieurs correspondent à nos sentiments profonds.
« Faire un », c’est avoir vraiment le souci de l’autre et réciproquement.
« Faire un », c’est pousser l’autre en avant, l’élever comme on disait le jour de l’Ascension, c’est le mettre au centre de nos préoccupations. Il n’y a pas ici de semblant, de façade d’obligation, c’est spontané, gratuit, authentique.
Nous comprenons alors que l’eucharistie que nous célébrons chaque dimanche ne doit pas être de ce genre d’unité apparente, mais le signe que, vraiment, entre nous, nous ne faisons qu’un. Lorsque l’un de nous est dans la peine, tous sont dans la peine, lorsque l’un ou l’autre est dans la joie, tous nous la partageons. C’est donc créer des liens.
Cela ne signifie pas qu’entre nous il ne peut avoir aucun différent, aucun désaccord, ce ne serait pas normal et même troublant. Mais ne faire qu’un c’est chercher ensemble des compromis qui débouchent sur les solutions les plus justes possibles. En un mot « ne faire qu’un » c’est offrir à l’autre ce que nous avons de meilleur, c’est-à-dire ce que nous souhaitons que les autres fassent pour nous.

Piste 2

Lorsque j’étais chef scout (ou patro) je me souviens d’un jeu un peu viril, inspiré du Sumo, combat typiquement japonais, avec des lutteurs énormes. On dessinait donc sur le sol un grand cercle, tout le monde se mettait à l’intérieur. Le but du jeu était de se pousser mutuellement afin d’éjecter les autres du cercle. Le dernier qui restait était le grand vainqueur.
Qu’est-ce qui fait que je me remémore ce jeu aujourd’hui ? Tout simplement parce qu’il est à l’opposé de l’unité dont nous parle l’Evangile « Que tous ils soient un, comme toi, Père tu es en moi et moi en toi ».
L’unité dont nous parle saint Jean, nous pourrions l’imaginer comme étant justement un grand cercle où l’on se pousse non pas pour s’éjecter mutuellement mais au contraire pour essayer de mettre l’autre au centre.
Une des grandes caractéristiques de la vie de Jésus est d’avoir voulu mettre les plus petits au centre de toutes ses attentions : qu’ils soient boiteux, aveugle, paralysé, pécheur ou voleur comme Zachée… ce sont eux qui sont l’objet de toute sa sollicitude. Jésus oblige ainsi son entourage à changer son regard sur eux. Tandis que lui, refuse les honneurs et s’enfuit lorsque la foule tente de le faire roi.
Si on nous demandait de dessiner l’unité, que ferions-nous ? Nous essaierions de représenter un ensemble harmonieux, des objets bien en ordre, une foule de gens qui se donnent la main… Dans l’un ou l’autre cas il s’agit chaque fois de quelque chose de fixe, de statique.
Or Jésus nous fait comprendre que l’unité n’est justement pas quelque chose de statique mais toujours en mouvement, un mouvement perpétuel qui consiste à mettre le plus petit, le plus fragile, le plus faible au centre, au centre de nos attentions, de nos préoccupations. Nous ne pouvons donc jamais dire : « J’ai fait l’unité » parce que l’unité est toujours à faire, elle n’est jamais atteinte définitivement, elle est toujours à construire. Elle est un mouvement vécu dans la réciprocité, chacun tentant de mettre l’autre à l’honneur, de le faire grandir, de lui donner la première place.
L’unité est donc bien à l’opposé de ce jeu dont je vous parlais il y a un instant. L’unité dont Jésus nous parle consisterait à se pousser pour que chacun finalement parvienne au centre du cercle, soit reconnu et aimé pour ce qu’il est. Il n’y aurait donc pas un vainqueur mais tous seraient vainqueurs.
Imaginez un monde, une société qui fonctionnerait ainsi !
Cela semble une utopie mais n’est-ce pas les utopistes qui font avancer le monde ?
Ils sont bien plus nombreux qu’on ne l’imagine celles et ceux qui vivent de cette façon, celles et ceux dont la première préoccupation est de relever celui qui est tombé, raviver celui qui est découragé, soigner celui qui est blessé…
Il nous suffit de nous joindre à cette immense « armée » d’hommes et de femmes de bonne volonté qui dans le silence mettent les petits au cœur de leurs préoccupations.

Piste 3

Si je vous demandais : « Connaissez-vous la prière de Jésus ? » et « Quelle est cette prière ? » vous me répondriez certainement d’un seul cœur : « Le Notre Père. »
C’est bien juste ! Et pourtant il est une autre prière de Jésus moins connue mais non moins importante, la « prière sacerdotale » dont nous venons d’entendre un extrait et que l’évangile de Jean a mis dans la bouche de Jésus peu avant son arrestation et sa mort.
Dans cette prière il nous exprime son profond désir d’unité : « Que tous soient un comme toi Père tu es en moi et moi en toi. »
J’aime souligner ici une petite nuance qui doit avoir son importance : Jésus ne dit pas « soyez unis » mais bien « que tous soient un ».
Lorsqu’on parle du Dieu « Père Fils et Esprit » on ne dit pas « qu’ils sont unis » mais « ne font qu’un ». De même dans le livre de la Genèse on ne dit pas que l’homme quittera son père et sa mère pour s’unir à sa femme mais « ne font qu’un ».
Quelle est donc la différence entre « être unis » et « ne faire qu’un » ?
Lorsqu’on dit « être unis » ça signifie plutôt quelque chose d’extérieur, on s’unit pour réaliser un même projet, cela fait penser à une cordée, on unit ses destinées, on se lance dans la même aventure. C’est être ensemble autour de la même table, partager le même pain, la même amitié, c’est adhérer librement à une règle commune… celui qui n’est pas d’accord a toujours le loisir de s’exclure !
N’est-ce pas l’image idéale que nous nous faisons de l’unité, un assentiment libre et responsable de tous pour un même idéal ?
C’est vrai et c’est aussi très beau, mais je crois que l’unité dont nous parle ici Jésus est bien différente.
Que signifie donc ce « ne faire qu’un » de Jésus ? C’est presque à l’opposé de cette unité que je viens de décrire où tout le monde se retrouve harmonieusement dans un même ensemble.
« Ne faire qu’un » c’est au contraire, se retirer soi-même du centre pour y mettre l’autre afin que lui soit à l’honneur. C’est s’abaisser pour élever l’autre. « Ne faire qu’un » c’est se retirer, s’effacer, se mettre dans l’ombre, pour que l’autre soit mis en évidence.
Comme Dieu s’est abaissé en prenant notre condition humaine pour élever l’homme à sa divinité. Telle a toujours été la préoccupation de Jésus, se faire serviteur pour élever les plus petits.
Cette unité que Jésus nous propose est une unité mobile, tournante, ou chacun dans une réciprocité sans fin tente de mettre l’autre à l’honneur. C’est bien ce que Jésus dit dans cette belle prière qu’il adresse à son Père : « Je leur ai, dit-il, donné la gloire que tu m’as donnée », il ne garde donc pas cette gloire pour lui mais il la donne à l’homme qu’il met au centre. Il dit encore : « Je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître encore. » Ici c’est le Père qu’il met à l’honneur, un honneur qu’il a reçu lui-même du Père.
Jésus termine en disant : « Pour qu’ils aient l’amour en eux. » La caractéristique de l’amour dont Jésus nous parle ce n’est pas d’être unis, former un petit cercle statique où l’on est bien ensemble. Aimer, ne faire qu’un, c’est vivre un échange dans un mouvement perpétuel où chacun trouve son bonheur à mettre l’autre au centre tandis que l’autre fait de même à mon égard. Aimer n’est-ce pas trouver son bonheur à créer le bonheur de l’autre et à recevoir le sien des autres qui veulent eux aussi me mettre à l’honneur ?

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 01/05/2025