Fête du Saint-Sacrement

1. Ils étaient nombreux et le soir tombait dans cette région peu fréquentée. Vint l’heure du repas. Les disciples s’inquiètent. « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger. » Mais ils ne s’attirent qu’une réponse cinglante : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Cinq pains, deux poissons : mission impossible.

2. Le pain que nous mangeons a valeur de symbole de vie. Sa pénurie porte vers la mort, la guerre d’Ukraine vient de nous le rappeler. Le dernier rapport de l’ONU, daté de mai dernier, révèle que plus de 193 millions de personnes à travers 53 pays ont connu des épisodes de faim aiguë en 2021 et ont besoin d’une aide urgente pour l’accès à la nourriture et la préservation de leurs moyens de subsistance. Devant l’ampleur de toutes les famines physiques et morales nous nous sentons impuissants et préférons peut-être ne pas y penser et renvoyer à d’autres le soin de trouver des réponses. Comme vient de décider le parlement anglais de transférer au Rwanda les migrants arrivés par mer, en le chargeant de s’en occuper contre le versement de 140 millions d’euros. Comme les disciples l’avaient pensé ce soir-là : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger ! » Qu’ils se débrouillent en quelque sorte. En leur disant « Donnez-leur vous-mêmes à manger », Jésus les invite à ne pas se défausser, même s’ils n’ont que 5 pains et 2 poissons, c’est-à-dire rien vu l’ampleur des attentes. Mais, poursuit le récit, les cinq furent multipliés par mille, chiffre tout à fait symbolique pour dire la plénitude comme souvent dans la bible. Les morceaux qui restaient remplirent douze paniers, autant que le nombre des apôtres. Il faut dépasser l’aspect merveilleux du récit pour en trouver le sens.

3. Ce n’est pas sans raison que la lecture de ce récit a été précédée par celui de la Cène, telle que nous la rapporte l’apôtre Paul, le premier à nous transmettre ce qui se fit ce Jeudi saint. Les gestes de Jésus sont en effet identiques à ceux de la Cène : après avoir pris le pain et prononcé sur eux la bénédiction, il en fit des parts qu’il distribua à ses disciples. Il avait demandé alors à ses disciples de les distribuer ; ce Jeudi saint, il les distribua lui-même avec ces mots : « Ceci est mon corps qui est pour vous. » Les mots sont forts mais le sens énigmatique : comment ce pain peut-il être son corps, ce vin son sang ? Une présence réelle comme disent les Eglises catholique et luthérienne ou seulement mémorielle comme l’affirme l’Eglise réformée. Un mystère pour la raison. Une méditation pour le croyant.

4. « Ceci est mon corps qui est pour vous. » « Mon corps… pour vous. » "Pour vous !". Il faut insister sur ces mots. Des mots qui disent le don, le don qu’il fait de lui. Il en avait donné l’eau à la bouche à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu ! » Le don va bien plus loin qu’un partage. Il ne lui restera rien du pain qu’il a entre les mains, parce qu’il aura tout donné. Il ne restera rien non plus du corps qu’ils ont devant eux. Mais restera ce pain qu’il dit leur laisser de lui. Pour que nous le consommions. Pour que nous entrions en communion avec lui. Non pas seulement moralement, spirituellement mais existentiellement. Pour saint Augustin « Manger cette nourriture c’est donc demeurer dans le Christ et avoir le Christ demeurant en soi ».

4. « Prenez et mangez. » C’est une invitation qui nous est faite à chaque célébration. Une invitation qu’Alphonse de Liguori décrit avec beaucoup de sensibilité. « Dans l’eucharistie Jésus Christ n’obéit pas seulement au Père, mais encore à l’homme, pas seulement jusqu’à la mort, mais « jusqu’à la consommation des siècles. » Lui, le Roi du ciel, en descend sur l’ordre d’un homme : une fois sur l’autel, il semble n’y demeurer que pour obéir aux hommes, comme s’il ne pouvait, semble-t-il, se séparer d’eux, même un instant. Il y reste privé de tout mouvement spontané : il se laisse placer où l’on veut, exposer dans l’ostensoir, ou renfermer dans le ciboire ; il se laisse porter au gré du prêtre, dans les maisons, sur les routes, donner à la sainte table aux justes comme aux pécheurs. Quand il vivait sur la terre, disait saint Luc, « il était soumis à Marie et à Joseph » ; dans l’Eucharistie, il se soumet à autant de créatures qu’il y a de prêtres dans l’univers. » Emouvantes paroles. On doit entendre dans cette invitation ce "Venez à moi" que Jésus lança sur les marches du Temple. Il s’était mis aux pieds de ses disciples pour "la geste du lavement" que Pierre voulait refuser ; dans l’invitation à le recevoir dans l’eucharistie il se met encore à genoux pour solliciter notre bon vouloir. Ne lui refusons pas.

Seigneur, lorsque je tendrai la main pour recevoir le pain qui cache ton corps, lorsque je mettrai le mien à genoux devant le soleil d’or de l’ostensoir, donne-moi d’entrer chaque fois un plus profondément en communion avec ton cœur.


Méditation

Tu le vois, Seigneur, nous sommes tant rassasiés
Que nous savons plus ce qui peut nous manquer
A force de courir aux marchés super garnis
Le cœur se vide de tout ce que tu lui avais mis.

Nous avons plus besoin des iPhones derniers
Pour nous dire ce que nous devons penser.
Nous avons plus besoin de GPS sophistiqués
Pour nous dire comment et où nous devons aller.

Aux disciples qui se voyaient manquer de pain
Pour apaiser tant de monde de leur terrestre faim,
Tu demandas d’apporter ce peu et ce rien
Qui devinrent bénédictions multipliées sans fin.

Donne-moi d’arrêter ma course, de faire une pause,
Et dans le silence qu’on ne trouve qu’au fond de soi
Te présenter ce peu, ce rien, ma pauvre chose :
Bénis-les, Seigneur, pour qu’ils me donnent faim de toi.

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 19/06/2022