Dimanche des Rameaux et de la Passion

1. « Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir. Car ils se disaient : pas en pleine fête, pour éviter des troubles dans le peuple. » Et voilà que Jésus entre dans la ville comme pour une intronisation. Ce fut un pas de trop. Entré par la porte de la Miséricorde (porte Dorée), à laquelle conduisait un chemin qu’on avait couvert de feuillages, précédé de disciples enthousiastes, il en sortirait par la porte des Lions, par la Via dolorosa, dans le silence des siens, conduisant au mont du Calvaire, pour y être déshabillé et hissé sur une croix. Horriblement, indécemment crucifié, à la vue de tous, par Pilate. Quel destin !

2. Qui fut et reste toujours le destin de tant d’hommes, de communautés d’hommes, de peuples d’hommes. Depuis Caïn et Abel, images de la souffrance de l’un et de l’envie de faire souffrir de l’autre. « Agis bien. Pour que le péché tapi à la porte, avide de toi ne l’emporte » avait dit le Seigneur à Caïn jaloux de son frère. Il ne l’entendra pas et Abel mourra. Deux frères, deux visages de l’homme ou, plutôt, l’homme aux deux visages. Parce qu’au cœur de l’homme, de chaque homme, cohabitent celui qui souffre et celui qui peut faire souffrir. Abel un jour, Caïn demain. Qoheleth, ce sage du premier testament, en fera l’amère constatation en reconnaissant que l’homme partage son temps, entre le temps d’aimer et le temps de haïr, le temps de déchirer et le temps de coudre, le temps de démolir et le temps de construire, le temps de planter et le temps d’arracher, le temps de guerre et le temps de paix. Mais en définitive, très désabusé, il ne saura que dire : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Et de conclure avec amertume : « Plus heureux celui qui n’a pas été, puisqu’il n’a pas vu l’œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. » Et c’est grande détresse, grand désespoir qui vient comme le dit Albert Camus « de ce qu’on ne connaît plus ses raisons de lutter et si, justement, il faut lutter ».

3. Jésus aurait pu se taire ou, pour le moins, accepter quelque compromis, accepter que l’homme pût avoir deux visages, celui de Caïn et d’Abel. Le Père ferait bien le tri. Mais il ne voulait pas, il ne pouvait pas ne pas dire que l’amour seul devait être aux commandes de nos relations les uns avec les autres. Catherine de Sienne, cette femme exceptionnelle qui passa la plus grande partie des trente-trois ans de sa vie à réconcilier des hommes, a écrit dans une de ses lettres, adressées même aux puissants de l’époque dont le roi de France : « Vous savez bien que ni la terre ni la pierre n’auraient pu fixer la Croix, que ni les clous ni la Croix n’auraient pu retenir le Verbe, le Fils de Dieu, si l’amour ne l’eût pas attaché. C’est donc l’amour que Dieu eut pour notre âme qui a été la pierre et les clous qui l’ont retenu ».

4. La Semaine sainte qui s’ouvre va mettre sous nos yeux la croix pour que cette image de mort, devienne le support de notre méditation. Ce que firent tant de nos devanciers qui se convertirent devant elle. Comme Thérèse d’Avila qui, devant une statue en bois du Christ flagellé, toujours visible, raconte : « Le Christ, lorsque je le vis, imprima en moi son immense beauté, elle y est toujours, elle y est encore aujourd’hui ; il a suffi d’une seule fois… Si nous ne le regardons jamais, si nous ne considérons pas ce que nous lui devons et la mort qu’il a subie pour nous, je ne sais comment nous pouvons le connaître, ni agir à son service. » Nous nous réjouissons de célébrer Pâques, mais avant, ne faut-il pas, comme nos frères protestants, donner au Vendredi saint une place de choix ? Pour une contemplation avec un merci au cœur. Mais aussi, avec Simon de Cyrène, pour ne pas le laisser seul. Saint Jean de la Croix, contemporain de Thérèse d’Avila, écrivit ce poème au cours d’une extase douloureuse :

1. Un Pastoureau, esseulé, s’en va peiné.
Il n’est plus pour Lui, ni plaisir, ni liesse,
Car II songe à sa pastourelle sans cesse,
Le cœur d’amour tout navré.

2. Il ne pleure pas que l’amour L’ait blessé.
D’être ainsi dolent, là n’est pas sa douleur,
Bien que sa douleur Lui poigne le cœur,
Mais Il pleure en pensant qu’Il est oublié

3. Or, à ce seul penser qu’Il est oublié
De sa belle pastourelle, en grande peine
Il se laisse outrager en terre lointaine,
Le cœur d’amour tout navré.

4. Puis, longtemps après, lentement il monta
Sur un arbre où Il étendit ses beaux bras ;
Et Il mourut, par eux toujours attaché,
Le cœur d’amour tout navré.


Méditation

A bout de bras, Seigneur, tu as porté
Les croix des hommes et leurs déchirures
En venant marcher à leurs côtés
Et les mener par les chemins de droiture.

Sur les bras de la croix, tu t’es laissé crucifier
Pour ne pas échapper au sort des maltraités
Et connaître les bourreaux et leur cruauté
Qui ne savent pas quel amour ils font exploser.

Sous les bras de la croix tu es descendu, reposé,
Remis à nouveau entre les mains des hommes
Pour qu’ils puissent présenter au Père Bien-Aimé
La seule offrande digne de l’Amour qu’il leur donne.

Ne laisse pas, Seigneur, mes bras se refermer
Sur la botte de tous mes vains espoirs déçus.
Que mon regard, à ta croix suspendu,
Les ouvre à celui qui me les tend, tout à côté.

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 10/04/2022