33e dim. ordinaire (19/11) : Commentaire

La venue du Seigneur, que nous attendons à chaque rassemblement dominical, il nous faut la préparer activement et faire valoir les talents que le Christ nous a confiés (évangile). Nous est donnée en exemple la femme vaillante, active, charitable (première lecture). Alors, quand le Seigneur viendra, nous ne serons pas pris au dépourvu. Soyons donc vigilants et ne restons pas endormis (deuxième lecture).

Première lecture : Pr 31,10-13.19-20.30-3l

Un poème d’une finesse exquise - et soigné jusque dans sa forme. Un acrostiche : chacun des vingt-deux versets commence avec une des vingt-deux lettres, dans l’ordre, de l’alphabet hébreu. On gagnera à lire le poème en son entier ().

L’idéal féminin qu’il nous chante est dépassé, sur bien des points. Nos dames ne saisissent plus guère la quenouille, leurs doigts ne dirigent plus le fuseau. Mais comparez ce poème avec les conceptions de la femme, plutôt basses, de l’ancien Orient. Et le portrait n’est pas si démodé. On y exalte la femme vaillante, non la faible. Elle a de l’initiative, elle travaille, gagne de l’argent : au lieu de coûter cher à son mari (!), elle l’enrichira. Elle ne mise pas sur “l’extérieur”, décevante est la grâce, vaine est la beauté.

Cette femme, dans laquelle son mari a confiance, dont on fait l’éloge sur la place publique, d’où tire-t-elle sa force ? Certainement pas d’une déplaisante bigoterie, elle n’en a pas le temps, elle est active. Elle tire sa force de sa crainte du Seigneur, nous dirions aujourd’hui de sa foi profonde.

Cette femme devient ainsi une pré-illustration de l’évangile, une façon modèle d’utiliser les talents que Dieu nous a donnés. Belle occasion pour nos maris d’apprécier à nouveau, leur épouse.

Psaume : Ps 127

Après l’éloge de la femme vaillante (première lecture), l’éloge de la famille. Il s’adresse, selon les mœurs orientales, à l’homme.

Heureux es-tu, toi qui crains (honores) le Seigneur et marches selon ses lois. Heureux es-tu ! A toi le vrai bonheur ! Tu seras béni par Dieu dans ton travail qui te permettra de vivre honnêtement, de te nourrir. Tu seras béni dans l’épouse, femme vaillante, garante de l’intimité de ta maison, prospère comme une vigne généreuse. Dans tes fils et tes filles rangés autour de la table familiale, tels de magnifiques plants d’olivier (vignes et oliviers étaient les signes par excellence de la bénédiction du Seigneur). Voilà comment sera bénie la famille qui craint le Seigneur. Oui, que le Seigneur vous bénisse, pendant cette eucharistie et tous les jours de votre vie ! Vivez heureux, longtemps, assez pour voir encore les fils de vos fils.

Deuxième lecture : 1 Th 5,1-6

Si Paul écrit qu’il n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates, au sujet de la venue (finale) du Seigneur, c’est pur artifice, car des membres de la communauté supputaient les mois, les jours. Cette venue de Jésus, on la croyait imminente. Vous savez très bien, sous-entendez : vous devriez bien savoir que le jour du Seigneur, expression biblique pour l’avènement final du Christ en gloire, viendra comme un voleur dans la nuit, au moment où l’on dort, où l’on s’y attend le moins. Jésus lui-même avait utilisé cette image (). Donc vos calculs sont erronés de toute façon.

La pensée de Paul se tourne alors vers l’autre extrême, vers l’entourage païen qui ne se doute de rien, n’attend rien, qui vit dans l’insouciance et se dit : "Quelle paix ! quelle tranquillité !" Comme ils seront surpris ! C’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs, dont il est impossible de prévoir le moment sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper.

Puis, plus positivement, Paul campe l’homme de foi qu’il appelle fils de lumière. Ni inquiet à calculer les jours, ni insouciant, aveugle. Vraiment fils de lumière, fils du jour qui n’a pas besoin de craindre. Il doit donc vivre en fils du jour, et ne pas se conduire en fils des ténèbres, ne pas rester endormi. Activement vigilant. Loin de vivre dans l’inquiétude fébrile, qu’il se tienne dans une sobre et calme attente du Seigneur.

Aujourd’hui, beaucoup d’hommes vivent dans la psychose d’une catastrophe cosmique, alimentée par les possibilités modernes de destruction totale. Beaucoup d’autres vivent en têtes de linotte sans se poser la moindre question. Vivons en fils de lumière, à la fois calmes et vigilants, soucieux de faire fructifier les talents que Dieu nous a donnés et dont il nous demandera compte (évangile).

Évangile : Mt 25,14-30

L’évangile de l’avant-dernier dimanche de l’année liturgique est tiré - comme le précèdent et celui qui va suivre - du “discours eschatologique” où Jésus parle à ses disciples de sa venue finale.

Un homme qui partait en voyage. C’est on ne peut plus clair : Jésus, après sa résurrection, quitte sa communauté pour un temps assez long. Jésus part, il est absent, invisible. Avant de partir l’homme appela ses serviteurs et leur confia ses biens. Ce que nous avons, nous ne l’avons pas en propre, cela nous est confié. Ces biens, ce sont mes qualités personnelles, mais plus encore les biens de Dieu, ses biens que sont l’Evangile, les sacrements. Devines-tu l’énorme confiance que te fait le Christ, et ta responsabilité ?

A l’un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux, à un troisième un seul. Un seul talent, c’était déjà beaucoup. Selon l’unité de mesure, 35 à 60 kilos en or ou en argent. De quoi rêver. Quel dépôt, quelle richesse Dieu ne m’a-t-il pas confiés !

A chacun selon ses capacités. Inutile de jalouser celui qui en a reçu plus que moi. Je ne serais pas capable de gérer ce plus, ce serait trop pour mes forces et je me découragerais. Ah ! si j’étais prêtre ! Reste bon père de famille, tu as de si grands talents à faire valoir.

Les deux premiers font valoir et doubler la somme confiée. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un creuse la terre et enfouit l’argent de son maître.

Longtemps après... un peu comme dans la parabole de l’époux qui tarde (voir dimanche précédent) leur maître revient. C’est le moment de l’avènement final de Jésus. Il vient en juge de notre vie, il demande des comptes. Pour éviter tout risque d’erreur sur le personnage, ce maître sera appelé, un verset plus loin, de son vrai titre de Ressuscité : Le Seigneur. Ce Seigneur peut aussi désigner le Père, comme dans la parabole des vignerons homicides, mais la portée spirituelle du texte reste la même ().

Avancent les deux premiers qui s’entendent dire chacun : Très bien, tu as été fidèle pour peu de chose (oui, même la somme énorme que l’on t’a confiée est peu en regard de ce qui va suivre), je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître. Réalisons-nous bien ? Participer à la joie de Dieu même, entrer dans son bonheur à lui, dedans. Et dire que les gens s’imaginent le ciel à s’éterniser sur un nuage comme prie-Dieu ! Avez-vous noté que le deuxième qui avait reçu moins, mais qui a travaillé tout autant, a été gratifié du même très bien et de la même joie de Dieu ? La vie est une pièce de théâtre où l’un joue le roi et l’autre le valet. Chacun sera récompensé, non selon son rôle, mais selon son jeu.

Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite. Sa démarche n’est pas de foi et de confiance : il n’appelle pas le Christ Seigneur. Maître, dit-il, du ton distant de l’esclave. Tout est dans cette méprise. Il croît connaître le Christ : Je savais que tu es homme dur. Sa relation à Dieu est faussée. Fatalement, ses actes aussi. Quand on a un maître dur, on ne prend pas de risques, j’ai eu peur, je suis allé au plus sûr, j’ai enfoui ton talent dans la terre. Le voici. Ouf ! Je ne l’ai pas perdu. Et je ne t’ai pas volé : tu as ce qui t’appartient. Rien d’anormal en soi. Enfouir un dépôt, c’était, légalement, d’après le droit rabbinique, la façon la plus sûre d’éviter le risque et de se voir dégagé de la responsabilité civile en cas de perte. Oui, rien d’anormal - quand on a affaire avec un maître, et dur de surcroît. Seulement voilà, il s’est trompé de personnage. Dieu ne voulait pas se poser en maître. Dieu voulait lui faire confiance, voulait le voir en associé, en partenaire, comme un père fait entrer son fils dans les affaires. S’il savait qui est Dieu ! Non, il ne savait pas, il a eu peur.

Le Christ ne nous confie pas le talent, la foi comme un lingot à conserver dans un coffre-fort, mais comme un don à faire valoir. Quand j’ai peur de Dieu et que je me conduis en esclave religieux, “je fais ce que je dois faire et je suis en règle”. Hélas ! cette méprise me condamne : Enlevez-lui donc son talent, à ce mauvais et paresseux, jetez-le dehors dans les ténèbres, là il y aura des pleurs et des grincements de dents. C’est f... et de sa propre faute.

Le refus a stérilisé son cœur, il perd même ce peu qu’il a, tandis que celui qui correspond à l’appel de Dieu, même si c’était en peu de chose, gonfle sans cesse ses capacités : il recevra encore.
- Les talents que Dieu m’a donnés, est-ce que je les fais valoir ? Au double ?
- Les biens précieux de la foi, de l’Evangile, est-ce que je les enfouis ? Âme pusillanime qui me recroqueville sur moi-même ?
- Notre communauté est-elle paresseuse, sans imagination, conservatrice jusqu’à l’inertie ?

"Ta vie sera brève, qu’elle soit pleine."

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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 19/10/2023