Introduction à la Nativité

Pendant quatre dimanches, comme en quatre étapes, nous nous sommes préparé le cœur. Avec Isaïe, nous avons levé les yeux vers cette route du désert d’où viendrait le Sauveur. Jean, de son doigt démesuré, nous a désigné le plus grand que lui, en nous demandant de lui préparer la route. Et, plus loin, se dessinait la gloire du Christ revenant en puissance et majesté, tandis qu’avec le psaume montait notre désir : "Fais-nous voir, Seigneur, ton amour !" Nous chantions encore le “Réjouissez-vous, car le Seigneur est proche”, que déjà les prophéties se concrétisaient sur un descendant de David qui naîtrait d’une vierge et sortirait de Bethléem. Marie, la dernière de l’Ancien Testament, va maintenant devenir la première du Nouveau.

Le cœur s’est préparé dans la prière plus intense et l’effort joyeux, la pénitence librement consentie et le souci des autres - car c’est aussi le temps du petit, de l’étranger et du pauvre que nous allons célébrer.

Il n’est pas jusqu’aux accessoires - ils ont leur importance - que nous n’ayons préparés : la table, chez nous, où l’eucharistie se prolongera en fête familiale, les cadeaux, signes du cœur.

Oui, le cœur, le cœur est prêt ; il se hâte vers les “saints mystères” qui vont être célébrés avec ce mélange de joie et de gravité où l’exultation est marquée, cette nuit, d’une certaine qualité de silence.

Que ce soit dans les fastes d’une liturgie de cathédrale ou dans une petite église aux moyens pauvres, l’important est d’accueillir, le cœur grand ouvert Celui que nous avons tant attendu.

A vrai dire, le chrétien des premiers siècles, s’il revenait chez nous, serait bien surpris de la façon dont la majorité fête aujourd’hui Noël, cette insistance poussée sur l’enfance du Christ et ce romantisme de la crèche. Par contre, il se retrouverait assez aisément dans la liturgie qui parle d’un Christ de gloire, d’une épiphanie (manifestation) du Verbe fait chair, accepté par les uns et refusé par les autres. Il aimerait ce coup d’œil génial, ce raccourci saisissant où la Lettre aux Hébreux voit, en une même vision, la naissance éternelle du Verbe, sa naissance parmi les hommes et sa naissance de Ressuscité, assis à la droite de la Majesté divine (Noël, messe du jour, épître).

Pour la plupart, Noël, c’est la crèche, les bergers, les anges, l’étoile, les rois-mages. Ils fêtent en pièces détachées et ne voient pas que Noël est un début : aujourd’hui est né le Sauveur ; le début d’une montée jusqu’au sommet du calvaire où ce Sauveur, sur la croix, nous libérera, celui dont la Nuit de Pâques chantera “la renaissance” et grâce auquel naîtront, dans les eaux du baptême, des enfants de Dieu. Si Noël est une naissance, c’est en vue de la renaissance pascale.

Message global que proclame la tête en son sommet, dans l’évangile de la messe du jour : "Le Verbe s’est fait chair (à Noël) et nous avons vu sa gloire (à Pâques) et, à ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir (par le baptême) de devenir enfants de Dieu" ().


Historique

Alors que le christianisme primitif s’est soucié très tôt de dater la fête de Pâques - pour la naissance du Christ ce souci est inexistant. Au début du 3e siècle, l’Égypte nomme le 20 mai ; le plus ancien calendrier connu fixe et la naissance et la mort du Christ au même jour, le 14 nisan. Une véritable fête de la naissance du Christ est mentionnée pour la première fois dans un calendrier romain de 354, à la date du 25 décembre ; vers la même époque, on trouve une fête semblable en Orient au 6 janvier. Le choix de ces deux dernières dates est symbolique : les deux sont, en effet, des fêtes du soleil qui, à cette époque de l’année, commence à remonter sa courbe. On voulait moins fêter la naissance du Christ que toute sa personne et toute son œuvre, en opposition à la fête du “Sol invictus”, du soleil invaincu que l’empereur Aurélien avait instaurée au 25 décembre pour consolider l’empire. Le rapide succès de la fête s’expliquait par la réaction de la chrétienté contre l’hérésie arienne qui niait la divinité du Christ.

Assez vite Rome adopta l’Epiphanie orientale, tout comme les orientaux acclimatèrent la Nativité latine. D’où, dans les deux liturgies, le doublet festif qui fait deviner l’heureuse communion des Églises d’alors et leur enrichissement mutuel.


Le cycle du Soleil

Pâques s’oriente au cycle lunaire : elle se fête le premier dimanche après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps (soit entre le 22 mars et le 25 avril).

Noël se dirige d’après le soleil, et se fête après le solstice d’hiver, quand (dans notre hémisphère) le soleil remonte, le jour gagne sur la nuit.

Cet aspect climatique ne vaut évidemment pas pour les Églises situées à l’équateur ou à nos antipodes. Mais la datation et l’origine culturelle des fêtes chrétiennes ne nuisent en rien à leur contenu. Noël n’est pas une fête d’hiver, elle est la fête du Christ venant en ce monde ; Pâques n’est pas la fête du printemps, mais du Christ ressuscité.


Les trois messes de Noël

La coutume de célébrer trois messes à Noël peut venir de Palestine où les chrétiens célébraient une première eucharistie, la nuit, dans la grotte de la nativité de Bethléem ; puis ils rentraient à Jérusalem (distante de 7 km) où ils arrivaient à l’aurore et célébraient une deuxième messe pour, en fin de matinée, en célébrer encore une troisième, et prolonger ainsi, avec une profusion tout orientale, les fastes de ce jour béni.

A Rome, on parcourut le chemin inverse. On célébra d’abord une messe le jour, à Saint-Pierre ; un siècle plus tard, sous l’influence de Jérusalem, s’ajoute la messe de minuit, à Sainte-Marie-Majeure ; un siècle plus tard encore (au 6e, nous sommes à l’époque où Byzance domine Rome) le pape fait la politesse aux diplomates orientaux en célébrant, dans leur église Sainte-Anastasie, une troisième messe à l’aube.

La coutume romaine se répandit dans toute l’Église latine. D’où notre messe de minuit, celle de l’aurore (encore dite celle des bergers) et celle du jour. On remarquera la belle progression : lumière de la nuit, lever du soleil, éclat de midi - à laquelle correspondent dans les évangiles : Marie, comme seule dans la nuit, les humbles bergers au petit matin et, le jour, tous les hommes éclairés par le Verbe.


Interroger la Joie

Aux grandes fêtes, à Noël en particulier, la joie liturgique atteint un sommet, et les réticences à fêter se font aussi plus fortes : comment fêter la paix au milieu de tant de haine ? Et comment se réjouir quand tant d’hommes sont malheureux ?

Ce qui est en cause, ce sont la joie et la paix fausses, parce que égoïstes. Il n’est de vraie joie que partagée. Aussi faut-il laisser entrer dans notre joie le pauvre, le malade, l’isolé. Aussi faut-il travailler, toute l’année, à la justice et à la paix.

Il n’est pas question de renoncer à la joie. Une mine triste ne consolera pas celui qui manque de bonheur. Soyons joyeux, si pleins de joie profonde qu’elle rayonne et réchauffe - et n’oublions pas que nos joies terrestres ne seront toujours que des amorces, des débuts incomplets de la vraie joie et de la vraie paix qui sont à venir.

De quelle qualité est ma joie de Noël ?


Que veut dire : “Incarnation” ?

Si Jean dit : "Le Verbe s’est fait chair" (), c’est pour affirmer que le Fils de Dieu n’a pas fait semblant d’être homme, qu’il est véritablement entré dans notre monde, dans notre condition humaine, dans un corps et un esprit humains ; il a tout assumé, sauf le péché. Le but de cette incarnation était de redresser et de sanctifier “de l’intérieur" l’humanité entière dont le Christ est devenu le représentant, le “nouvel Adam”.

L’incarnation du Christ se continue dans son corps mystique qu’est l’Église : nous sommes les membres de son corps (). L’Église continue l’incarnation du Christ dans notre temps, elle est le "Christ continué". “Jésus oui - l’Église non” est un refus des conséquences de l’incarnation du Christ. On ne peut séparer le Christ et l’Église qui l’incarne aujourd’hui.

Enfin nous devons continuer l’incarnation du Christ en nous incarnant nous-mêmes dans les tâches d’aujourd’hui. Les fuir dans une liturgie étrangère aux soucis de ce monde serait nier indirectement l’incarnation de Jésus. Aimons notre monde, portons-lui le Christ qui, seul, peut le conduire à son achèvement.

On peut prolonger à loisir cette incarnation. Ainsi la foi doit-elle s’incarner dans la pensée d’aujourd’hui, la liturgie se célébrer selon la sensibilité africaine, asiatique...

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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 01/12/2006