L’architecture de la prière eucharistique

Les changements actuels

La constitution Sacrosanctum concilium du 4 décembre 1963 - la première votée par le concile Vatican II - a décidé une mise à jour de la liturgie, mais n’a rien précisé sur la prière eucharistique.

Quelque temps après les premières réformes, en 1967, l’épiscopat français permit de dire en français le "canon", qui était alors la seule prière eucharistique (5e ordonnance du 10 novembre 1967).
Cette décision fit perdre le silence - presque magique - qui accompagnait la prière eucharistique, mais les évêques ont préféré rendre la prière eucharistique accessible au peuple chrétien, et proposer ailleurs plusieurs temps de silence, qui seront "nourris" par ce qui les précède (après les lectures, après l’homélie, après la communion…).

Le 23 mai 1968, jour de l’Ascension, sont publiées 3 nouvelles prières eucharistiques.

Cette nouveauté apparut à certains comme une véritable transplantation cardiaque de la liturgie, mais elle rejoint la tradition des Églises d’Orient (2 prières eucharistiques chez les byzantins, 12 chez les maronites, plus de 70 chez les syriens) et des anciennes liturgies d’Occident (une pour chaque fête dans l’ancienne liturgie d’Espagne) et elle permet de retrouver la plus ancienne prière eucharistique romaine, du 3e siècle (l’actuelle prière eucharistique II).

Quelques années plus tard (en 1978), arriveront les prières eucharistiques pour la réconciliation, pour assemblées d’enfants, pour des rassemblements.
Toutes ces prières, à travers des formules différentes, ont la même structure, la même "architecture". Dans la présentation qui en est faite ici, on pourrait citer en exemple des textes indifféremment de l’une ou l’autre des prières eucharistiques.

Elles ne sont pas des prières ajoutées autour de la consécration, bien au contraire, c’est la consécration qui est insérée dans la prière d’action de grâce, dans la forme de prière habituelle du rituel juif suivi par Jésus.

L’action de grâce du Christ

La prière eucharistique est avant tout une action de grâce : "Rendons grâce au Seigneur notre Dieu" !

Rendre grâce, c’est dire merci, mais c’est bien plus qu’un merci.
Nous ne sommes pas de simples "récepteurs" de la grâce de Dieu, cette grâce nous transforme à notre tour en "émetteurs" tournés vers Dieu. Nous ne sommes pas seulement remplis de sa grâce, mais aussi d’un dynamisme qui nous ramène à l’auteur de la grâce.
Cet élan que la grâce de Dieu met en nous, nous associe à l’élan du Christ vers le Père.
A travers les diverses prières eucharistiques, l’Église célèbre et continue aujourd’hui cette action de grâce, qui est toute la vie du Christ. A travers les différents textes qu’elles nous donnent, c’est ce même élan qu’elles expriment.
"Élevons notre coeur" n’est pas seulement une belle et pieuse formule, c’est une invitation à mettre notre coeur à la hauteur du coeur du Christ pour entrer dans son action de grâce.

Adressée au Père

Puisque la prière eucharistique nous lance vers le Père, on comprend que toute la prière eucharistique soit toujours adressée au Père.
Les autres prières, par exemple les prières adressées aux saints, ont leur place ailleurs, mais pas ici, pas dans la prière eucharistique.
Il y a pourtant dans la prière eucharistique une parenthèse : après l’anamnèse adressée au Père par le célébrant, l’assemblée chante une anamnèse adressée au Christ.
On appelle anamnèse le rappel du passé devenu présent par le sacrement.
L’anamnèse du célébrant et celle de l’assemblée nous rappellent que l’élan du Christ vers le Père passe par sa mort et sa résurrection, et nous conduit vers son retour dans la gloire.
Le missel a prévu plusieurs chants d’anamnèse :
Le deuxième cite le texte de saint Paul (1 Co 11,26) Quand nous mangeons ce pain…
Le troisième rapelle l’acte de foi de l’Apôtre Thomas (cf Jn 20,28) : Mon Seigneur et mon Dieu !

Par l’Esprit Saint

Cette présence de l’action de grâce de Jésus, cette continuation en nous de son élan vers le Père, n’est possible que par la puissance de l’Esprit Saint.
C’est lui qui guide l’Église aujourd’hui.
Toute messe comprend trois épiclèses (On appelle épiclèses les prières qui demandent la venue de l’Esprit Saint) :
1 - Une épiclèse faite par l’évêque une fois pour toutes sur celui qui préside l’eucharistie. C’est l’ordination, sans laquelle il n’y a pas d’eucharistie, et grâce à laquelle toute eucharistie est oeuvre d’Église.
2 - Une épiclèse dans la prière eucharistique, sur le pain et le vin, pour que l’Esprit les transforme au corps et au sang du Christ. Quand le prêtre prononce les paroles du Christ : "Ceci est mon corps, ceci est mon sang", c’est l’Esprit Saint qui les rend efficaces.
Depuis le 13e et le 14e siècle, la prière eucharistique est alors interrompue par un moment de silence, pendant lequel le prêtre nous montre le corps du Christ puis le calice. La dernière édition de l’introduction du missel (pas encore publiée mais déjà sur internet) précise que les concélébrants regardent l’hostie et le calice et ensuite s’inclinent profondément (n. 227), si possible tous ensemble. Il serait souhaitable que les fidèles saluent eux aussi le saint sacrement de la même façon, en regardant puis en s’inclinant.
3 - Une autre épiclèse dans la prière eucharistique, dans les formules qui suivent la consécration, pour que l’Esprit Saint vienne sur ceux qui vont communier, afin que leur communion soit efficace et fructueuse.

En Église

Dans cette lancée de la prière eucharistique, on a plusieurs fois l’impression de s’arrêter pour faire mémoire des saints, pour penser aux amis défunts.
Ce n’est pas une parenthèse dans notre élan, mais un regard vers ceux qui nous précédent dans cette marche vers le Père et que nous retrouverons un jour.
C’est le regard fixé vers cet avenir que nous pouvons déjà chanter avec eux Saint, saint, saint, le Seigneur.
Nous pensons aussi à nos amis vivants pour que notre prière les entraîne eux aussi vers le Père.

Amen

La prière eucharistique se conclut par "… tout honneur et toute gloire pour les siècles"
C’est bien plus qu’une belle formule, avec un beau geste d’élévation, c’est l’aboutissement de cette grande prière qui nous a fait entrer dans le dynamisme de toute la vie du Christ.
Avec tous ceux qui participent à la messe, lorsque nous répondons "Amen", c’est à toute cette grande prière que nous donnons notre adhésion, c’est à tout ce dynamisme du Christ que nous disons notre OUI.

Nous sommes alors tellement associés à Jésus Christ que nous pouvons prier ensemble comme il nous l’a appris :
Après la prière eucharistique nous sommes vraiment prêts à dire NOTRE PÈRE.

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René MOURET

Prêtre du diocèse de Toulouse, de Reims, du Val de Marne, enseignant à l’Institut catholique Paris († 2009).

Publié: 01/12/2007