5e dimanche de Pâques

1. Jésus leur avait parlé tellement de son Père. Non pas d’un Père, créateur du ciel et de la terre, mais d’un Père très aimant, soucieux de ses enfants, inquiet pour celui qui est parti au loin. Dans le récit de ce jour nous l’avons entendu nommer 14 fois, et c’est à 122 reprises dans l’évangile de Jean, que Jésus parle de Dieu comme de son Père, dont il est le Fils, dans la maison duquel il retourne. Non pas du Père des croyants seulement, mais du Père de tous les hommes. On comprend l’apôtre Philippe lorsqu’il finit par lui demander : « Montre-nous le Père, cela nous suffit. » La réponse de Jésus a dû les surprendre : « Celui qui m’a vu a vu le Père ! »

2. Toutes les religions ont donné de multiples images de Dieu. Façonnées par les cultures de leurs chercheurs de Dieu. L’hindouisme le voit à travers de nombreuses représentations inspirées par toutes les attentes de l’homme en recherche de bonheur. Pour le bouddhisme, Dieu est immanent dans le monde visible qui finira par être un avec lui. Pour d’autres il est perçu comme une Puissance qu’il faut plutôt craindre et devant laquelle il faut s’incliner pour attirer sa bienveillance. Au mont Sinaï, Moïse avait demandé son nom à celui qui lui parlait du milieu du buisson ardent. Il n’avait eu qu’une réponse : « Je suis Celui qui suis. » Sans donner de nom parce que Dieu n’est pas nommable par les créatures, parce qu’il n’a pas les contours qui nous permettent de nous identifier les uns par rapport aux autres. Et depuis ce temps-là, le croyant juif ne prononce jamais ce nom caché derrière les quatre lettres hébraïques intraduisibles sinon par D.

3. En déclarant « Celui qui m’a vu a vu le Père », Jésus donne un visage de Dieu à voir, des paroles de Dieu à entendre, des gestes de Dieu à imiter. Au-delà de tout ce à quoi on espérait. « Une image du Dieu invisible » dira Paul. Cela reste pour notre raison un grand mystère que de voir l’Eternel, l’infiniment grand, le Tout Puissant, sous le visage de Jésus que la mort détruira, sans même qu’il ait levé le petit doigt pour montrer sa toute puissance. Voilà qui a tant scandalisé ses compatriotes, ceux qui ramassèrent un jour des pierres pour le lapider « parce que, lui disaient-ils, toi qui es un homme, tu te fais Dieu ». Jésus s’est bien rendu compte du scandale qu’il provoquait. Il ajoute donc : « Si vous ne me croyez pas, croyez au moins à cause des œuvres elles-mêmes. » Parce que, dit-il, « le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres » car « le Père aime le Fils et a remis toutes choses entre ses mains ». Mais ses œuvres que l’on doit voir, quelles sont-elles ?

4. Nous pensons peut-être à ces « miracles », ces faits extraordinaires comme le changement de l’eau de Cana en vin de fête, la marche sur les eaux, la multiplication des pains, la pêche miraculeuse ? Mais Jésus les a récusés. Il n’a jamais voulu passer pour un faiseur de miracles, un thaumaturge. Il a imposé le silence au lépreux guéri qui n’en a pas tenu compte. Il a refusé des signes venus du ciel demandés par les chefs religieux. Il a échappé à la foule qui voulait le faire roi après la multiplication des pains. Alors vers quelles œuvres faut-il regarder ?

5. Jésus nous met sur le chemin : regarder dans le cœur, le sien, celui des hommes qui fut changé dès qu’ils l’ont rencontré. La générosité a débordé du cœur de Zachée, le collecteur des impôts honni, dès que Jésus lui a demandé de demeurer chez lui. Le cœur de cet aveugle assis au bord du chemin a changé lorsqu’il a entendu Jésus l’appeler et il s’est mis à le suivre. Le cœur de celle qu’on appelait pécheresse a changé lorsqu’elle a senti la miséricorde l’envelopper. Le cœur de ce Samaritain lépreux a changé et l’a fait revenir sur ses pas pour remercier. Tous ont senti passer sur eux un regard qui allait au fond d’eux-mêmes, tous ont senti leur cœur percé de cet amour qu’il irradiait, de cet amour venu du Père comme l’entendra Jean le Baptiste : « En lui j’ai mis tout mon amour. » C’est pourquoi le Fils, lui qui né de Dieu-Amour, sèmera l’amour à la volée, en paroles et en actes, dans les ronces et sur les chemins pierreux, sur les places publiques et dans les endroits cachés et jusque sur la colline des suppliciés.

6. Aujourd’hui la question de Philippe est toujours posée au croyant : « Où est ton Dieu ? » Saint Augustin s’en fait l’écho : « A force d’entendre chaque jour : ‘“Où est ton Dieu ?”’ et de me nourrir chaque jour de mes larmes j’ai médité jour et nuit cette parole : “Où est ton Dieu ?” et à mon tour j’ai cherché mon Dieu, afin d’essayer si je ne pourrais point seulement croire, mais encore voir quelque chose. » Il trouva la réponse : Dieu est en toi et c’est à toi de le faire voir. Il est en toi comme le négatif d’une photo qui apparaîtra après « le bain révélateur », une nouvelle naissance. Le Père habite en toi et Père se fait voir en toi chaque fois que tu as accompli un geste d’amour, chaque fois que tu as porté un regard de bienveillance, chaque fois que tu as donné une parole de réconfort, chaque fois que tu as posé un geste de solidarité, chaque fois que tu as engagé un combat pour la justice. Mais tu l’as rendue floue ou obscure ou invisible chaque fois que tu as pris les chemins contraires. Ainsi donc, Dieu se laisse voir dans le cœur de tout homme qui suit ce chemin-là, qu’il soit chrétien ou non, croyant ou non. En prenant le risque d’être crucifié d’une manière ou d’une autre. Là où est l’amour, l’amour avec un grand A, là est Dieu : « Ubi caritas et amor, Deus ibi est. » Parce que l’amour ne vient pas des hommes mais de Dieu et il est passé par Jésus. Amen.


Méditation

Je suis leur père, dit Dieu. Notre Père, qui êtes aux Cieux.
Mon fils le leur a assez dit, que je suis leur père.
Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur père.
Je suis surtout leur père. Enfin je suis leur père.
Celui qui est père est surtout père. Notre Père, qui êtes aux Cieux.
Celui qui a été une fois père ne peut plus être que père.
Ils sont les frères de mon fils ; ils sont mes enfants ; je suis leur père.
Notre Père, qui êtes aux Cieux, mon fils la leur a enseigné cette prière.
Sic ergo vos orabitis. Vous prierez donc ainsi.
Notre Père, qui êtes aux Cieux, il a bien su ce qu’il faisait ce jour-là, mon fils qui les aimait tant.
Qui a vécu parmi eux, qui était un comme eux.
Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux.
Qui souffrait. Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux.
Et qui les aime tant les ayant connus.
Qui a rapporté dans le ciel un certain goût de l’homme, un certain goût de la terre.
Mon fils qui les tant aimés, qui les aime éternellement dans le ciel.
Il a bien su ce qu’il faisait ce jour-là, mon fils qui les aime tant.
Quand il a mis cette barrière entre eux et moi, Notre Père, qui êtes aux Cieux, ces trois ou quatre mots.
Cette barrière que ma colère et peut-être ma justice ne franchira jamais.
Heureux celui qui s’endort sous la protection de l’avancée de trois ou quatre mots.
Ces mots qui marchent devant toute prière comme les mains du suppliant marchent devant sa face.
Comme les deux mains jointes du suppliant s’avancent devant sa face et les larmes de sa face.
Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l’invincible.
Et qu’ils font marcher devant leur détresse comme deux mains jointes invincibles.
Ces trois ou quatre mots qui s’avancent comme un bel éperon devant un pauvre navire. Et qui fendent le flot de ma colère.
Et quand l’éperon est passé, le navire passe, et toute la flotte derrière…
Notre Père, qui êtes aux Cieux, mon fils a très bien su s’y prendre.
Pour lier les bras de ma justice et pour délier les bras de ma colère…
Notre Père, qui êtes aux Cieux.
Evidemment quand un homme a commencé comme ça.
Quand il m’a dit ces trois ou quatre mots.
Quand il a commencé par faire marcher devant lui ces trois ou quatre mots.
Après il peut continuer, il peut me dire ce qu’il voudra.
Vous comprenez, moi, je suis désarmé. Et mon fils le savait bien
Qui a tant aimé les hommes.

Le Mystère des Saints Innocents (Péguy)

Une faute d'orthographe, une erreur, un problème ?   
 
Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 07/05/2023