Toute vérité n’est pas bonne à dire

Cette remarque est particulièrement intéressante parce que particulièrement difficile. Disons qu’elle est à la fois dangereuse et empreinte d’une certaine sagesse.

Elle est dangereuse en ce sens que sa mise en application est extrêmement complexe. En effet, quels sont les critères qui permettront de dire qu’une vérité est bonne à dire ou non ? Ne risque-t-on pas d’être laxiste à l’égard de la vérité ? Ne risque-t-on pas de mettre en œuvre ce dicton en fonction des circonstances et des situations ? En vue de quoi, une vérité ne serait pas bonne à dire ? Mon intérêt immédiat ? L’intérêt de telle personne, tel enfant qui ne serait pas capable de recevoir telle ou telle révélation ?

Il s’agit, dès lors qu’on perçoit les risques évidents de perte des valeurs et de relativisme, de se redire pourquoi le service de la vérité est structurant pour toute personne humaine et pour la société dans son ensemble. La vérité est fondamentale pour la stabilité d’une vie sociale, d’une vie politique démocratique, d’une vie économique... Sans vérité, il n’est que chaos. Et il importe qu’existent une ou plusieurs instances publiques dont la charge consiste à faire la lumière sur les événements. La justice est l’institution fondamentale qui doit préserver le contexte de vérité des relations humaines. La presse, libre et responsable, y contribue aussi pour sa part.

On le voit bien, la vérité est donc au service de la vie. Elle est organiquement reliée aux grandes valeurs du respect d’autrui, de la vie conjugale, de la propriété individuelle et des exigences de la vie en société qui se doit de protéger les plus faibles (lesquels seraient les premières victimes d’une situation de mensonge institutionnalisée).

Le seul cas où il est envisageable de ne pas dire la vérité c’est-à-dire de se taire (il n’est pas toujours nécessaire de mentir pour ne pas dire la vérité) c’est lorsque celui ou celle qui exige la vérité l’exige pour aller contre le vœu même de la vérité : la vie sociale et personnelle de tous et de chacun. On ne peut exiger la vérité contre ce qu’elle veut promouvoir de toutes ses forces comme la paix et la vie. Ce serait la pervertir.

Même le Christ a été affronté à cette question, en  :
Il était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent et lui dirent : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné cette autorité ? »
Jésus leur répondit : « De mon côté, je vais vous poser une question, une seule ; si vous m’y répondez, moi aussi je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d’où était-il ? Du ciel ou des hommes ? » Mais ils se faisaient en eux-mêmes ce raisonnement : « Si nous disons : “Du ciel”, il nous dira : “Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ?” Et si nous disons : “Des hommes”, nous avons à craindre la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète. »
Et ils firent à Jésus cette réponse : « Nous ne savons pas. » De son côté il répliqua : « Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela. »
Le Christ ne peut donner la vérité à qui n’a pas le cœur droit pour l’entendre. Exiger la vérité ne peut se faire qu’à la condition d’être vrai avec cette vérité. La redondance de la formule n’est qu’apparente. Ce que l’on dit ici, c’est que l’on ne peut prendre les valeurs séparées les unes des autres sans tomber dans la perversion.

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Bruno FEILLET

Évêque de Séez, ancien équipier de PSN.

Publié: 01/09/2023