Au bout du couloir

Je n’ai pas besoin de demander où est la chambre de mon vieil ami… je le vois, seul, au bout du couloir, assis dans son fauteuil roulant, face à une fenêtre d’où il peut voir le va-et-vient des voitures dans la rue voisine.Avant même qu’il ait dit “Michel” sur un ton quelque peu étonné, dès son premier regard, il me reconnaît. J’en suis tout heureux tant je craignais d’être devenu un étranger pour lui !

Seul au bout du couloir, il attend qu’on le descende à la salle commune, rejoindre les autres résidents de cette maison de retraite composée, pour la plupart, de religieux et religieuses.
En revoyant ce vieil ami, ancien professeur du grand séminaire, des souvenirs me reviennent à l’esprit. Pendant longtemps, il avait été membre du Conseil Général de sa congrégation. À ce titre, il avait parcouru de nombreux pays, en Amérique, en Afrique ou en Asie, pour rencontrer les communautés de confrères. Il avait été un des initiateurs des centres de formation pour de jeunes séminaristes lazaristes, venus de Chine ou d’Amérique Centrale. Il avait écrit plusieurs livres sur saint Vincent de Paul et des figures de sa congrégation, tout en assurant de nombreuses traductions, jusqu’à ces dernières années.

Homme de grande envergure intellectuelle, le voilà… seul au bout du couloir. Surprise et questionnement de ma part : une vie qui arrive à son terme, cela se perçoit mais “ne se parle pas”… Quels sentiments sont les siens là, à l’instant où il me voit ? Un éclair lumineux dans ses yeux et un “Michel” répété, semblent résumer toute l’histoire d’une relation de plus de 40 ans !

Je lui donne une photo sur laquelle il est en présence du pape Jean-Paul II. Il sourit, étonné. Quels souvenirs lui reviennent de cette rencontre qui remonte à dix ans ? Je n’en saurai rien. Tout comme mon vieil ami, plusieurs de ces résidents ont assumé de grandes responsabilités dans l’Église. Aujourd’hui, tout doucement, ils nous quittent. L’attention du personnel à leur égard leur apporte des étincelles de vie. Devant l’ascenseur, j’en croise plusieurs, marqués par leur grand âge. Ils me regardent, étonnés, s’accrochant à mon propre regard comme si je les rejoignais dans leur grande solitude. C’est dans le regard des autres que les personnes âgées peuvent encore se reconnaître vivantes.

À cette étape de la vie, ne perçoit-on pas plus vivement encore, pour ces religieux, hommes et femmes célibataires, l’absence d’une famille et de proches ? Même dans des congrégations religieuses la vieillesse isole.

Tout en me faisant cette réflexion, comme pour me prendre en défaut, à la sortie de l’ascenseur, je croise un de ses jeunes confrères, une bouteille de vin à la main, venant le saluer. Pour un temps, “au bout du couloir”, un autre signe de fraternité !

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/06/2018