Quelques mètres carrés

Comme tous les matins le voici, fidèle au rendez-vous de ceux qui vont « au pain » ou "au journal". Il est là dans sa tenue d’employé municipal, le balai à la main et sa poubelle ambulante. Il connaît tous les coins et recoins de la rue, les mètres carrés où il doit passer avec encore plus d’attention. Il est soucieux de la propreté et du travail bien fait. Il avance à son rythme, saluant les habitués qui le connaissent : « Bonne journée ! Pas trop froid ce matin ? »

Sur son territoire, il vient de s’arrêter devant les panonceaux publicitaires du marchand de journaux. Son balai se faufile sous les gros titres matinaux où il est encore question de la guerre en Irak. Le choc des photos le saisit. Il se dit qu’il n’est pas guerrier comme ces hommes brandissant un fusil. Il se sait décalé : son équipement serait bien dérisoire en temps de guerre. Il enlève mégots et papiers gras sur son terrain d’opération, loin des grands espaces du désert irakien et des vastes quartiers urbains de Bagdad : trente cinq kilomètres de long, lui dit-on.

Mon balayeur ne sait peut-être pas qu’ils n’ont rien inventé de bien nouveau, ceux qui ont construit cette mégapole. A quelques kilomètres de Bagdad, les vestiges de la ville de Ninive rappellent que Jonas avait eu peur d’affronter cette ville si grande qu’il fallait trois jours pour la traverser !

Le balayeur de service règne pour un temps sur les rues de la cité. C’est lui l’occupant du matin. Pacifique avec son balai, sur son fief, il ne soupçonne pas qu’il possède ainsi le monde, qu’il est le maître de ce royaume et qu’il lui sera demandé des comptes. Peut-être entendra-t-il Martin Luther King, parlant des balayeurs noirs, au temps de l’apartheid : « Je reconnais que vous êtes un grand balayeur, le plus grand parce que vous avez fait votre travail pour embellir la face du monde. » Jusqu’au bout de la rue voisine, pour le plaisir des yeux, ceux des riverains et des passants, mais aussi les siens, il poursuit son travail, grand maître en propreté, dans les impasses, les rues, les caniveaux et sur les trottoirs. Il est responsable de ce coin du monde, pour qu’il soit agréable et beau. S’il le déserte, il sera tout autre, car personne ne pourra y voir la trace de son passage.

Ce matin, mon pain sous le bras, je me faisais cette réflexion : « Quelle portion du monde m’est confiée, à moi aussi, aujourd’hui, pour qu’il puisse être éclat de bonheur et de joie pour tous les hommes ? »

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/02/2014